CE 5/6 ch.-r., 07-11-2024, n° 472625
A38896ER
Référence
Par une décision n° 437875 du 29 septembre 2021, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a, d'une part, annulé l'arrêt n° 17NT02615 du 26 novembre 2019 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes avait annulé, sur appel de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), le jugement n° 1601158 du 22 juin 2017 par lequel le tribunal administratif de Caen l'avait condamné à verser à Mme B C un capital de 367 418,29 euros et une rente annuelle de 9 911 euros en réparation des préjudices subis en raison des vaccinations imposées dans le cadre de ses activités professionnelles et rejeté la demande indemnitaire de Mme C et, d'autre part, renvoyé l'affaire devant la cour administrative d'appel de Nantes.
Par un arrêt n° 21NT02721 du 3 février 2023, la cour administrative d'appel de Nantes⚖️, statuant sur renvoi du Conseil d'Etat, a annulé le jugement de première instance et rejeté la demande de Mme C.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 31 mars, 27 juin, 14 septembre et 20 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme C demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de l'ONIAM ;
3°) de mettre à la charge de l'ONIAM la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Amel Hafid, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de Mme C et à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affectations iatrogènes et des infections nosocomiales ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 9 octobre 2024, présentée par Mme C ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 10 octobre 2024, présentée par l'ONIAM ;
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme C, infirmière au centre hospitalier universitaire de Caen, a été vaccinée à plusieurs reprises entre 1992 et 2002, à titre obligatoire en raison de ses activités professionnelles, d'une part contre l'hépatite B et, d'autre part, contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite. Elle a ressenti, à partir de novembre 2007, divers troubles qu'elle a imputés à cette vaccination, en lien avec une myofasciite à macrophages par ailleurs diagnostiquée en avril 2009. Mme C a formé une demande préalable d'indemnisation auprès de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), qui l'a rejetée le 14 avril 2016. Par un jugement du 22 juin 2017, le tribunal administratif de Caen a partiellement fait droit à sa demande d'indemnisation sur le fondement de l'article L. 3111-9 du code de la santé publique🏛. Par une décision du 29 septembre 2021, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a annulé l'arrêt par lequel la cour administrative d'appel de Nantes avait annulé ce jugement et rejeté la demande de Mme C. L'intéressée se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 3 février 2023 par lequel la cour administrative d'appel, statuant sur renvoi du Conseil d'Etat, après avoir, en application de l'article R. 625-3 devenu l'article R. 626-3, du code de justice administrative🏛, invité l'Académie nationale de médecine à produire des observations d'ordre général destinées à l'éclairer sur la solution à donner au litige, a de nouveau annulé le jugement du tribunal administratif et rejeté sa demande indemnitaire.
Sur le pourvoi en cassation de Mme C :
2. Saisis d'un litige individuel portant sur la réparation des conséquences pour la personne concernée d'une vaccination présentant un caractère obligatoire, il appartient aux juges du fond, dans un premier temps, non pas de rechercher si le lien de causalité entre la vaccination et l'affection présentée est ou non établi, mais de s'assurer, au vu du dernier état des connaissances scientifiques en débat devant eux, qu'il n'y a aucune probabilité qu'un tel lien existe. Il leur appartient ensuite, soit, s'il ressort de cet examen qu'il n'y a aucune probabilité qu'un tel lien existe, de rejeter la demande, soit, dans l'hypothèse inverse, de procéder à l'examen des circonstances de l'espèce et de ne retenir alors l'existence d'un lien de causalité entre la vaccination obligatoire subie par la victime et les symptômes qu'elle a ressentis que si ceux-ci sont apparus, postérieurement à la vaccination, dans un délai normal pour ce type d'affection, ou se sont aggravés à un rythme et une ampleur qui n'étaient pas prévisibles au vu de son état de santé antérieur ou de ses antécédents et, par ailleurs, qu'il ne ressort pas du dossier qu'ils peuvent être regardés comme résultant d'une autre cause que la vaccination.
3. Pour rejeter la demande d'indemnisation de Mme C, la cour administrative d'appel a, aux points 6 à 8 de son arrêt, analysé les observations d'ordre général de l'Académie nationale de médecine qu'elle avait sollicitées, et en a déduit, au point 10, qu'" en l'état des connaissances scientifiques (), aucune probabilité d'un lien de causalité entre l'injection du vaccin contre le virus de l'hépatite B contenant ou non un adjuvant aluminique et la survenue de symptômes pouvant se rattacher aux manifestations cliniques caractéristiques d'une myofasciite à macrophages ne peut être retenue ".
4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que des travaux scientifiques, conduits pour l'essentiel par une équipe du centre hospitalier universitaire Henri Mondor à partir de 1998, ont formulé l'hypothèse d'un lien entre l'administration de vaccins comportant des adjuvants à base de sels d'aluminium et la survenance d'un ensemble de symptômes de douleurs musculaires et articulaires, d'asthénie et de troubles cognitifs rattachés à la myofasciite à macrophages et qu'en 1999, puis à nouveau en 2002, l'Organisation mondiale de la santé a recommandé de mener des recherches complémentaires sur cette question. Les observations d'ordre général de l'Académie nationale de médecine, sollicitées par la cour administrative d'appel de Nantes, après avoir rappelé ces éléments, indiquent que les recherches ultérieures, ainsi que plusieurs rapports consacrés aux adjuvants vaccinaux par l'Académie nationale de médecine en 2012, le Haut conseil de la santé publique en 2013 et l'Académie nationale de pharmacie en 2016, ont permis d'établir un lien entre les vaccinations comportant, à l'instar de celle reçue par Mme C des adjuvants à base de sels d'aluminium et l'existence de lésions histologiques autour du site d'injection, constitutives de la myofasciite à macrophages, mais n'ont jamais validé l'association entre ces lésions et les signes cliniques mentionnés ci-dessus et relevés chez certains des patients qui en étaient atteints, ce dont elles concluent que le " rôle éventuel [des adjuvants à base de sels d'aluminium] dans la mise en œuvre d'une maladie clinique générale, qu'elle soit inflammatoire et/ou auto-immune () n'est pas démontré à ce jour ".
5. Il résulte de l'ensemble des éléments relevés par l'arrêt attaqué et rappelés au point 4 ainsi que des autres pièces du dossier soumis aux juges du fond que si aucun lien de causalité n'a pu être établi à ce jour entre administration de vaccins comprenant des adjuvants à base de sels d'aluminium et des symptômes de douleurs musculaires et articulaires, d'asthénie et de troubles cognitifs susceptibles d'être rattachés aux lésions histologiques caractéristiques de la myofasciite à macrophages retrouvées, chez les patients concernés, autour du site d'injection, l'hypothèse qu'un tel lien existe a été envisagée par des travaux de recherche scientifique ayant donné lieu à des publications dans des revues reconnues, qui ne sont pas formellement démentis par les données actuelles de la science, notamment pas les observations d'ordre général de l'Académie de médecine précédemment mentionnées, qui se bornent à faire la synthèse de travaux déjà connus, sans s'appuyer sur des travaux de recherche ou une méthodologie d'analyse nouveaux et qui ne concluent, au demeurant, qu'à l'absence de démonstration de l'existence d'un lien entre vaccin contenant des adjuvants aluminiques et symptômes déjà mentionnés. Dès lors, en jugeant qu'au vu du dernier état des connaissances scientifiques en débat devant elle, il n'y avait aucune probabilité qu'existe un tel lien entre ces symptômes et la vaccination contre l'hépatite B, la cour administrative d'appel de Nantes a inexactement qualifié les faits de la cause.
6. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, Mme C est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
7. Conformément au second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative🏛, il incombe au Conseil d'Etat, statuant au contentieux de régler l'affaire au fond.
Sur le règlement du litige :
8. Ainsi qu'il a été dit aux points 4 et 5, la probabilité de l'existence d'un lien de causalité entre l'administration d'un vaccin contenant des adjuvants à base de sels d'aluminium et les symptômes de douleurs musculaires et articulaires, d'asthénie et de troubles cognitifs susceptibles d'être rattachés à la myofasciite à macrophages ne peut, dans le dernier état des connaissances scientifiques, être regardée comme exclue. Il y a donc lieu, de faire application des principes énoncés au point 2, en examinant, dans les circonstances de l'espèce, si les symptômes sont apparus, postérieurement à la vaccination, dans un délai normal pour ce type d'affection, ou se sont aggravés à un rythme et une ampleur qui n'étaient pas prévisibles au vu de l'état de santé antérieur ou des antécédents de l'intéressée et, par ailleurs, s'il ne ressort pas du dossier qu'ils peuvent être regardés comme résultant d'une autre cause que la vaccination litigieuse.
9. Il résulte de l'instruction que Mme C a reçu, dans le cadre de son activité professionnelle d'infirmière des injections du vaccin contre l'hépatite B Engerix B, contenant des sels d'aluminium, les 25 mai 1992, 30 juin 1992, 4 août 1992, 7 mai 1993 et 7 juillet 1998. Mme C a également reçu des injections de vaccin contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite, les 13 septembre 1992 et 13 septembre 2002. Si, comme le fait valoir l'ONIAM, la nature exacte des produits injectés lors de ces dernières vaccinations n'est pas indiquée sur le carnet de santé de l'intéressée, l'expertise médicale réalisée le 9 septembre 2015 par le Dr A, désigné par l'ONIAM, conclut à la forte probabilité qu'ait été utilisé le vaccin Revaxis, contenant des sels d'aluminium. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de retenir comme date de la dernière administration de vaccin, celle du 13 septembre 2002.
10. Toutefois, il résulte également de l'instruction que l'apparition des symptômes de la pathologie dont est atteinte Mme C, se caractérisant notamment par une asthénie, une fatigue chronique, un état algique et des troubles neurologiques, ne sont établis qu'à partir de novembre 2007, soit dans un délai de plus de cinq ans après la dernière injection du vaccin. Ce délai ne peut être regardé comme un délai normal d'apparition des symptômes susceptibles d'être rattachés à la myofasciite à macrophages alors que, comme le fait valoir l'ONIAM sans être sérieusement contredit, les études disponibles, notamment les synthèses réalisées à partir des données de pharmacovigilance par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) en 2004 puis par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) en 2012 indiquent un délai moyen compris entre un et deux ans entre la vaccination et les premiers signes cliniques de cette pathologie. Il suit de là que le lien de causalité entre les vaccinations reçues par Mme C et la pathologie dont elle se plaint ne peut être regardé comme établi et que, dès lors, l'ONIAM est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen l'a condamné à indemniser Mme C au titre de la solidarité nationale.
Sur les frais d'instance :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'ONIAM qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme C les sommes demandées par l'ONIAM à ce titre.
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Article 1er : L'arrêt du 3 février 2023 de la cour administrative d'appel de Nantes est annulé.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 22 juin 2017 est annulé.
Article 3 : La demande présentée par Mme C devant le tribunal administratif de Caen est rejetée.
Article 4 : Les conclusions présentées par les parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme B C et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
Délibéré à l'issue de la séance du 9 octobre 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, M. Stéphane Hoynck, M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, conseillers d'Etat et Mme Amel Hafid, maîtresse des requêtes en service extraordinaire, rapporteure.
Rendu le 7 novembre 2024.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Amel Hafid
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras