Jurisprudence : CE 5/6 ch.-r., 06-11-2024, n° 490435

CE 5/6 ch.-r., 06-11-2024, n° 490435

A11416EY

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Abstract

► Le Conseil d'État rejette le pourvoi de l'association " Anticor " et confirme l'arrêt rendu par la cour administrative d'appel, jugeant que le renouvellement de son agrément, délivré par le Premier ministre en 2021 pour se constituer partie civile, était illégal.


CONSEIL D'ETAT
statuant
au contentieux
DP
490435
__________
ASSOCIATION ANTICOR
__________
M. Antoine Berger
Rapporteur
__________
M. Frédéric Puigserver
Rapporteur public
__________
Séance du 30 septembre 2024
Décision du 6 novembre 2024
__________
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 6ème et 5ème chambres réunies)
Sur le rapport de la 6ème chambre
de la Section du contentieux
Vu la procédure suivante :
M. C... B... et M. A... D... ont demandé au tribunal administratif de Paris
d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 2 avril 2021 par lequel le Premier ministre, exerçant
les attributions du garde des sceaux, ministre de la justice, a renouvelé l'agrément de
l'association Anticor en vue de l'exercice des droits reconnus à la partie civile, en application de
l'article 2-23 du code de procédure pénale. Par un jugement n° 2111821 du 23 juin 2023, le
tribunal administratif de Paris a, après avoir jugé que M. D... ne justifiait pas d'un intérêt à agir,
fait droit à la demande en tant qu'elle émanait de M. B... et prononcé l'annulation de l'arrêté
contesté.
Par un arrêt nos 23PA03811, 23PA03813 du 16 novembre 2023, la cour
administrative d'appel de Paris a, sur appel de l'association Anticor et appel incident de MM. D...
et B..., annulé ce jugement en tant qu'il a rejeté comme irrecevables les conclusions présentées
par M. A... D... et rejeté les conclusions d'appel formées par l'association Anticor.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un nouveau mémoire
et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 décembre 2023, 6 février, 14 et 20 juin 2024 au
secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Anticor demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions de première
instance ;
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3°) de mettre à la charge de MM. B... et D... la somme de 5 000 euros au titre
de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
…………………………………………………………………………
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de procédure pénale ;
- le décret n° 2014-327 du 12 mars 2014 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Antoine Berger, auditeur,
- les conclusions de M. Frédéric Puigserver, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Sevaux,
Mathonnet, avocat de l'association Anticor, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de M. B... et de
M. D... et à la SCP Foussard, Froger avocat du Premier ministre ;
Considérant ce qui suit :
1. L'article 2-23 du code de procédure pénale dispose que : « Toute association
agréée déclarée depuis au moins cinq ans à la date de la constitution de partie civile, se
proposant par ses statuts de lutter contre la corruption, peut exercer les droits reconnus à la
partie civile en ce qui concerne les infractions suivantes : / 1° Les infractions traduisant un
manquement au devoir de probité, réprimées aux articles 432-10 à 432-15 du code pénal ;
/ 2° Les infractions de corruption et trafic d'influence, réprimées aux articles 433-1, 433-2,
434-9, 434-9-1, 435-1 à 435-10 et 445-1 à 445-2-1 du même code ; / 3° Les infractions de recel
ou de blanchiment, réprimées aux articles 321-1, 321-2, 324-1 et 324-2 dudit code, du produit,
des revenus ou des choses provenant des infractions mentionnées aux 1° et 2° du présent article
; / 4° Les infractions réprimées aux articles L. 106 à L. 109 du code électoral. / Un décret en
Conseil d'Etat fixe les conditions dans lesquelles les associations mentionnées au premier alinéa
du présent article peuvent être agréées. / Toute fondation reconnue d'utilité publique peut
exercer les droits reconnus à la partie civile dans les mêmes conditions et sous les mêmes
réserves que l'association mentionnée au présent article ». Aux termes de l'article 1er du décret
du 12 mars 2014 relatif aux conditions d'agrément des associations de lutte contre la corruption
en vue de l'exercice des droits reconnus à la partie civile : « L'agrément prévu à l'article 2-23 du
code de procédure pénale peut être accordé à une association se proposant par ses statuts de
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lutter contre la corruption lorsqu'elle remplit les conditions suivantes : / 1° Cinq années
d'existence à compter de sa déclaration ; / 2° Pendant ces années d'existence, une activité
effective et publique en vue de lutter contre la corruption et les atteintes à la probité publique,
appréciée notamment en fonction de l'utilisation majoritaire de ses ressources pour l'exercice de
cette activité, de la réalisation et de la diffusion de publications, de l'organisation de
manifestations et la tenue de réunions d'information dans ces domaines ; / 3° Un nombre
suffisant de membres, cotisant soit individuellement, soit par l'intermédiaire d'associations
fédérées ; / 4° Le caractère désintéressé et indépendant de ses activités, apprécié notamment eu
égard à la provenance de ses ressources ; / 5° Un fonctionnement régulier et conforme à ses
statuts, présentant des garanties permettant l'information de ses membres et leur participation
effective à sa gestion ». Il résulte des articles 2 et 3 de ce décret que l'agrément en cause est
accordé par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice, pour une durée de trois années, et
est renouvelable dans les mêmes conditions que l'agrément initial.
2. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que l'association Anticor, créée
en 2002, a obtenu en 2015 un agrément au titre des dispositions de l'article 2-23 du code de
procédure pénale, en vue de l'exercice des droits reconnus à la partie civile. Elle a demandé, le
28 septembre 2020, le renouvellement de cet agrément. Par un arrêté du 2 avril 2021, le Premier
ministre, exerçant les attributions du garde des sceaux, ministre de la justice, a renouvelé
l'agrément de l'association Anticor, pour une durée de trois ans à compter du même jour.
M. B..., ancien membre de l'association Anticor, et M. D..., membre de cette association, ont
saisi le tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à l'annulation pour excès de
pouvoir de cet arrêté. Le tribunal a jugé la demande, en tant qu'elle émanait de M. D...,
irrecevable, faute d'intérêt pour agir, mais l'a jugée recevable en tant qu'elle émanait de M. B...
et a fait droit aux conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté. Par l'arrêt attaqué, contre lequel
l'association Anticor se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Paris a fait droit
à l'appel incident s'agissant de l'intérêt pour agir de M. D... et a rejeté l'appel formé par
l'association Anticor, en annulant en conséquence le jugement du tribunal administratif en tant
seulement qu'il avait rejeté comme irrecevables les conclusions présentées par M. D....
3. Si l'article 3 du décret du 12 mars 2014 précédemment cité dispose que
l'agrément est accordé pour trois années, la circonstance que l'arrêté litigieux du 2 avril 2021
aurait, en tout état de cause, cessé de produire ses effets le 2 avril 2024 n'est pas, contrairement à
ce que soutiennent MM. B... et D..., de nature à priver d'objet le pourvoi de l'association
Anticor, dès lors que l'arrêté litigieux avait reçu application avant son annulation par le tribunal
administratif et qu'il était susceptible de produire des effets jusqu'à la date du 2 avril 2024.
4. En premier lieu, pour juger recevable la demande de MM. B... et D..., la cour
administrative d'appel a relevé, d'une part, qu'ils se prévalaient de leur qualité de membre ou
d'ancien membre de l'association, avec laquelle ils étaient en conflit à propos de son
fonctionnement interne et des conditions dans lesquelles elle poursuit son objet social, d'autre
part, que M. D... se prévalait d'un intérêt moral personnel résultant de ces dissensions internes et
de la méconnaissance, par l'association, des principes qu'elle défend, enfin, que M. B... était
ancien vérificateur aux comptes de l'association et membre de son comité d'éthique et qu'il
avait, avant sa saisine du tribunal administratif, alerté le ministère de la justice sur des
dysfonctionnements de l'association, avant d'en être exclu et de faire l'objet d'une plainte de
l'association pour dénonciation calomnieuse. Eu égard à l'objet et à la portée de l'agrément
contesté, dont la délivrance est notamment subordonnée, en vertu de l'article 1er du décret du 12
mars 2014, au fonctionnement régulier et désintéressé de l'association, la cour administrative
d'appel n'a pas commis d'erreur de droit ni inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis
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en jugeant que MM. B... et D... justifiaient d'un intérêt personnel suffisamment direct et certain
leur donnant qualité pour demander l'annulation pour excès de pouvoir de la décision
d'agrément qu'ils attaquaient.
5. En deuxième lieu, pour confirmer l'annulation de l'arrêté attaqué, la cour a
retenu que les motifs de l'arrêté faisaient apparaître que le Premier ministre, après avoir relevé
différentes circonstances ayant affecté le fonctionnement de l'association, tenant en particulier
aux conditions du renouvellement de son conseil d'administration et à l'absence de transparence
quant à un don reçu par l'association, après avoir exposé que ces éléments étaient de nature à
faire naître un doute sur le caractère désintéressé et indépendant des activités passées de
l'association et après avoir souligné que l'absence de formalisation, par les statuts de
l'association, des procédures d'information du conseil d'administration conjuguée à la
non-information effective de celui-ci n'avait, par le passé, pas garanti l'information de ses
membres et leur participation effective à la gestion de l'association, s'était uniquement fondé,
pour renouveler l'agrément en cause, sur la circonstance que l'association avait, dans le cadre de
la procédure d'instruction de la demande de renouvellement de l'agrément, manifesté l'intention
de se doter à l'avenir d'un commissaire aux comptes pour accroître la transparence de son
fonctionnement financier et de procéder à une refonte de ses statuts et de son règlement intérieur.
La cour a jugé, après avoir énoncé que les dispositions du décret du 12 mars 2014 ne permettent
pas de délivrer l'agrément à une association qui ne remplit pas les conditions que ce décret
prévoit, que le Premier ministre ne pouvait, sans commettre d'erreur de droit, délivrer l'agrément
en se fondant sur la seule circonstance que l'association se serait engagée à prendre des mesures
correctives pour satisfaire à l'avenir à ces conditions.
6. En jugeant ainsi que la décision attaquée était illégale comme reposant sur
des motifs entachés d'erreur de droit, la cour administrative d'appel, qui n'avait alors pas à se
prononcer elle-même sur le point de savoir si les conditions mises à l'agrément par le décret du
12 mars 2014 pouvaient être regardées comme remplies à la date de la décision litigieuse, n'a pas
méconnu l'office du juge de l'excès de pouvoir statuant sur la légalité d'une décision
administrative. En jugeant en l'espèce la décision illégale pour les motifs indiqués au point 5, la
cour, qui n'a pas dénaturé les pièces versées au dossier, n'a pas commis d'erreur de droit.
7. En troisième lieu, l'administration peut, en première instance comme en
appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est
demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement
indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient
alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la
substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la
décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même
décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la
substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie
procédurale liée au motif substitué.
8. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que, dans ses
observations, la Première ministre se bornait à soutenir que les conditions de délivrance de
l'agrément étaient remplies, ainsi que l'exprimait, selon elle, la motivation de l'arrêté litigieux,
sans faire valoir que la décision dont l'annulation était demandée aurait pu être justifiée par un
motif de droit ou de fait autre que ceux initialement indiqués. L'association Anticor n'est, par
suite, pas fondée à soutenir que la cour aurait commis une erreur de droit en s'abstenant de tenir
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compte d'une demande de substitution de motifs qui aurait été formulée implicitement par
l'administration.
9. En dernier lieu, pour rejeter la demande tendant à ce qu'elle réforme le
jugement du tribunal administratif afin d'en différer les effets pour une durée de trois mois et de
regarder les effets produits par l'agrément comme définitifs jusqu'à la date de son annulation, la
cour a relevé qu'eu égard à la finalité poursuivie par les auteurs d'une constitution de partie
civile, il n'apparaît pas, alors que l'association requérante n'invoque qu'un nombre limité de
procédures judiciaires en cours susceptibles d'être affectées par un risque de prescription ou de
nullité, dans des situations où le ministère public avait décidé ou décidera de ne pas poursuivre,
que l'annulation du renouvellement d'agrément emporte des conséquences manifestement
excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se
constituer lorsqu'il était en vigueur, que de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien
temporaire de ses effets. En statuant ainsi, la cour administrative d'appel s'est livrée à une
appréciation souveraine des faits de l'espèce, exempte de dénaturation.
10. Il résulte de tout ce qui précède que l'association Anticor n'est pas fondée à
demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
11. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux
conclusions présentées par MM. B... et D... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code
de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce
titre à la charge de ceux-ci, qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le pourvoi de l'association Anticor est rejeté.
Article 2 : Les conclusions de MM. B... et D... présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de
justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association Anticor, à M. B..., et à M. D..., au
garde des sceaux, ministre de la justice et au Premier ministre.

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