Jurisprudence : TA Lyon, du 22-10-2024, n° 2303169

TA Lyon, du 22-10-2024, n° 2303169

A86516DR

Référence

TA Lyon, du 22-10-2024, n° 2303169. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/112517931-ta-lyon-du-22102024-n-2303169
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Abstract

► Est illégale la décision mettant fin à la distribution de menus de substitutions dans les cantines d'une commune au nom du principe de laïcité.


Références

Tribunal Administratif de Lyon

N° 2303169

4ème chambre
lecture du 22 octobre 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 19 avril et 16 octobre 2023, la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme Auvergne Rhône-Alpes, représentée par Me Jounier, demande au tribunal :

1°) d'annuler la décision implicite née le 19 février 2023 par laquelle le maire de la commune de Tassin-la-Demi-Lune a refusé d'abroger la décision prise en 2016 ne plus proposer dans les restaurants scolaires municipaux de menus de substitution ;

2°) d'enjoindre à la commune de Tassin-la-Demi-Lune de remettre en place les menus de substitution au sein des cantines scolaires de la commune dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir ;

3°) de mettre la somme de 2 500 euros à la charge de la commune de Tassin-la-Demi-Lune sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Elle soutient que :

- sa requête est recevable ;

- elle justifie d'un intérêt à agir ;

- la commune de Tassin-la-Demi-Lune a décidé de supprimer les menus de substitution en 2016 lors du renouvellement de la délégation de service public relative à la restauration scolaire ;

- son recours n'est pas tardif ;

- la commune était tenue d'abroger un acte réglementaire illégal en vertu des dispositions de l'article L. 243-2 du code des relations entre le public et l'administration🏛 ;

- la décision de 2016 est illégale ;

- cette décision a été prise par une autorité incompétente ;

- elle a été prise pour des motifs illégaux, les principes de neutralité et de laïcité ne pouvaient justifier une telle suppression ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la décision de refus d'abrogation méconnaît également les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 22 juin 2023 et le 17 avril 2024, la commune de Tassin-la-Demi-Lune, représentée par Me Petit, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la commune sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- à titre principal, la requête est irrecevable ;

- l'association requérante ne justifie pas, eu égard à son objet, d'un intérêt à agir ;

- il n'existe aucune décision datant de 2016 de supprimer les menus de substitution dans les cantines scolaires ;

- la requête est tardive ;

- à titre subsidiaire, les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Clément, président,

- les conclusions de Mme Tocut, rapporteure publique,

- les observations de Me Jounier pour la requérante et les observations de Me Masson pour la commune.

Considérant ce qui suit :

1. Par courrier du 16 décembre 2022, la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (LICRA) Auvergne Rhône-Alpes a demandé au maire de la commune de Tassin-la-Demi-Lune d'abroger la décision prise en 2016 de supprimer les menus de substitutions qui étaient jusqu'alors proposés dans les cantines scolaires de la commune et de réintroduire un menu de substitution. Elle demande au tribunal d'annuler la décision implicite, née le 19 février 2023, du silence gardé sur sa demande.

Sur les fins de non-recevoir opposées par la commune de Tassin-la-Demi-Lune :

2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, notamment des statuts de la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme - section Auvergne Rhône-Alpes, que cette association a notamment pour objet de combattre le racisme, l'antisémitisme, la xénophobie et les discriminations, et de défendre leurs victimes individuelles et collectives, de promouvoir les droits de la personne humaine et prévenir, par une action éducative et positive, toute atteinte qui pourrait leur être portée.

3. La LICRA demande l'abrogation d'une décision de 2016 de la commune de Tassin-la-Demi-Lune de ne plus servir les repas de substitution jusqu'alors proposés aux élèves fréquentant le service communal de restauration scolaire, qui a un champ territorial certes limité. Cette décision soulève toutefois, en raison de ses implications, notamment dans le domaine de la protection des droits fondamentaux, des questions qui, par leur nature et leur objet, excèdent les seules circonstances locales. Dès lors, la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme Auvergne Rhône-Alpes justifie d'un intérêt à agir contre la décision attaquée. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par la commune de Tassin-la-Demi-Lune, tirée de l'absence d'intérêt à agir de l'association requérante, doit être écartée.

4. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier, et en particulier des termes de la délibération du conseil municipal du 6 juillet 2016 qu'à l'occasion du renouvellement de l'affermage du service public de restauration scolaire à compter du 29 août 2016, le maire de la commune de Tassin-la-Demi-Lune a demandé au conseil municipal de se prononcer sur le choix du délégataire et sur le contrat qui sera mis en place par le délégataire choisi. Il a expressément confirmé à cette occasion " qu'au sein du cahier des charges et dans la mise en œuvre de la délégation, il n'est pas prévu de mettre en place des menus de substitution ". Enfin, il a notamment rappelé lors de cette séance du conseil municipal les préconisations de l'association des maires de France et mentionné le " document sur la laïcité " rédigé par cette dernière qui " préconise clairement la neutralité des menus, au nom du principe de laïcité ". La commune de Tassin-la-Demi-Lune qui ne conteste pas que de tels menus étaient proposés auparavant, ne peut sérieusement soutenir qu'aucune décision supprimant les menus de substitution n'a été prise en 2016 et que la requête concernerait une décision inexistante.

5. En troisième lieu, la LICRA a demandé par courrier du 16 décembre 2022 réceptionné le 19 décembre 2022, l'abrogation de la décision de supprimer les menus de substitution. En l'absence de réponse de la commune de Tassin-la-Demi-Lune, une décision implicite de rejet de sa demande est née le 19 février 2023. Sa requête, enregistrée le 19 avril 2023, tendant à l'annulation du refus d'abrogation, n'est donc pas tardive.

6. Il résulte de ce qui précède que la commune de Tassin-la-Demi-Lune n'est pas fondée à soutenir que la requête de la LICRA est irrecevable.

Sur les conclusions en annulation :

7. Aux termes des dispositions de l'article L. 243-2 du code des relations entre le public et l'administration : " L'administration est tenue d'abroger expressément un acte réglementaire illégal ou dépourvu d'objet, que cette situation existe depuis son édiction ou qu'elle résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures, sauf à ce que l'illégalité ait cessé. ".

8. D'une part, la décision de mettre fin au menu de substitution proposé aux usagers du service public de la restauration scolaire, qui concerne le fonctionnement du service est un acte réglementaire.

9. D'autre part, aux termes de l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi ". Aux termes des trois premières phrases du premier alinéa de l'article 1er de la Constitution : " La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. ". Aux termes de l'article 1er de la loi du 9 décembre 1905🏛 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat : " La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public ". Aux termes de l'article 2 de la même loi : " La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ". Aux termes de l'article L. 141-2 du code de l'éducation🏛 : " L'Etat prend toutes dispositions utiles pour assurer aux élèves de l'enseignement public la liberté des cultes et de l'instruction religieuse ".

10. S'il n'existe aucune obligation pour les collectivités territoriales gestionnaires d'un service public de restauration scolaire de distribuer à ses usagers des repas différenciés leur permettant de ne pas consommer des aliments proscrits par leurs convictions religieuses, et aucun droit pour les usagers qu'il en soit ainsi, dès lors que les dispositions de l'article 1er de la Constitution interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s'affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers, ni les principes de laïcité et de neutralité du service public, ni le principe d'égalité des usagers devant le service public, ne font, par eux-mêmes, obstacle à ce que ces mêmes collectivités territoriales puissent proposer de tels repas.

11. Lorsque les collectivités ayant fait le choix d'assurer le service public de restauration scolaire définissent ou redéfinissent les règles d'organisation de ce service public, il leur appartient de prendre en compte l'intérêt général qui s'attache à ce que tous les enfants puissent bénéficier de ce service public, au regard des exigences du bon fonctionnement du service et des moyens humains et financiers dont disposent ces collectivités.

12. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 et des écritures en défense que la commune de Tassin-la-Demi-Lune a mis fin à la pratique de distribution de menus de substitution au motif qu'elle méconnaissait les principes de laïcité, de neutralité du service public. Toutefois ces principes ne font pas, par eux-mêmes, obstacle à ce que les collectivités territoriales puissent proposer des repas de substitution dans les cantines scolaires. Ainsi, le motif retenu par la commune pour justifier la suppression de menus de substitution est entaché d'erreur de droit.

13. La LICRA est, dès lors et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, fondée à demander l'annulation de la décision implicite de la commune de Tassin-la-Demi-Lune refusant d'abroger la décision de 2016.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

14. Le présent jugement implique nécessairement, que la commune de Tassin-la-Demi-Lune réintroduise le menu de substitution proposé aux élèves inscrits à la restauration scolaire dans les conditions qui existaient avant la rentrée 2016 dans un délai de 6 mois à compter de la notification du jugement.

Sur le frais de l'instance :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme Auvergne-Rhône-Alpes, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme à verser à la commune de Tassin-la-Demi-Lune au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Tassin-la-Demi-Lune une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme Auvergne-Rhône-Alpes et non compris dans les dépens.

D E C I D E:

Article 1er : La décision implicite par laquelle la commune de Tassin-la-Demi-Lune a refusé d'abroger la décision prise en 2016 de ne plus proposer dans les restaurants scolaires municipaux des menus de substitution est annulée.

Article 2 : Il est enjoint à la commune de Tassin-la-Demi-Lune de réintroduire le menu de substitution proposé aux élèves inscrits à la restauration scolaire dans les conditions qui existaient avant la rentrée 2016 dans un délai de 6 mois à compter de la notification du jugement.

Article 3 : La commune de Tassin-la-Demi-Lune versera une somme de 1 500 euros à la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme Auvergne-Rhône-Alpes.

Article 4 : Les conclusions présentées par la commune de Tassin-la-Demi-Lune sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme Auvergne-Rhône-Alpes et à la commune de Tassin-la-Demi-Lune.

Délibéré après l'audience du 8 octobre 2024 à laquelle siégeaient :

M. Clément, président,

Mme Duca, première conseillère,

Mme Gros, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 octobre 2024.

Le président,

M. Clément

L'assesseure la plus ancienne,

A. Duca La greffière,

A. Calmès

La République mande et ordonne à la préfète du Rhône en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

Un greffier,

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