CE 2/7 ch.-r., 31-10-2024, n° 487995
A32506DQ
Référence
Mots clés : mise à disposition de biens • résiliation par le délégant • indemnisation de la part non amortie • contrat d'affermage • biens de retour Dans un arrêt rendu le 31 octobre 2024, la Haute juridiction administrative explicite les conditions de prise en compte des droits d'entrée versés par le concessionnaire dans la détermination de la durée d'amortissement des investissements de la concession et dans l'indemnisation des investissements non-amortis. ► La résiliation anticipée d'un contrat d'affermage avec travaux prévoyant le versement d'une redevance initiale de mise à disposition des biens implique le droit à l'indemnisation de la part non amortie du délégataire.
La société auxiliaire de parcs de la région parisienne (SAPP) a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner la commune de Fontainebleau à lui verser la somme de 7 247 615,74 euros en réparation des préjudices subis du fait de la résiliation de deux conventions de délégation de service public portant, d'une part, sur la modernisation et l'exploitation de cinq parcs de stationnement souterrains et sur voirie et, d'autre part, sur la gestion du stationnement payant sur voirie. Par un jugement n° 1409305 du 15 juin 2018, le tribunal administratif de Melun a prescrit, avant dire droit, à la demande de la société SAPP, une expertise en vue d'évaluer ses préjudices. Par un jugement n° 1409305 du 28 juillet 2020, le tribunal administratif de Melun a condamné la commune de Fontainebleau à verser à la société SAPP les sommes de 2 480 474 euros au titre de la valeur nette comptable des investissements non amortis à la date de prise d'effet de la résiliation, et de 2 201 000 euros hors taxes au titre du manque à gagner pour la période allant de la résiliation des contrats à leur date normale d'échéance, assorties des intérêts au taux légal à compter du 18 mars 2014 et de leur capitalisation, a mis les frais de l'expertise, taxés et liquidés à la somme totale de 29 472 euros, à la charge définitive de la commune de Fontainebleau, et a rejeté le surplus des conclusions de la société SAPP.
Par un arrêt n° 20PA02799 du 4 juillet 2023, la cour administrative d'appel de Paris⚖️ a rejeté l'appel formé par la commune de Fontainebleau contre les jugements des 15 juin 2018 et 28 juillet 2020, ainsi que l'appel incident formé par la société SAPP tendant à la réformation du jugement du 28 juillet 2020.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 5 septembre et 6 décembre 2023, et 12 janvier et 3 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Fontainebleau demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de rejeter le pourvoi incident de la société SAPP ;
3°) de mettre à la charge de la société SAPP la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Hervé Cassara, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gaschignard, Loiseau, Massignon, avocat de la commune de Fontainebleau et à la SCP Buk Lament - Robillot, avocat de la société auxiliaire de parcs de la région parisienne ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 14 octobre 2024, présentée par la commune de Fontainebleau ;
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, le 4 janvier 1996, la commune de Fontainebleau a conclu pour une durée de vingt-cinq ans avec la société auxiliaire de parcs de la région parisienne (SAPP), d'une part, un contrat d'affermage avec travaux portant sur la modernisation, la rénovation, l'exploitation et l'entretien de parcs de stationnement souterrains et sur voirie et, d'autre part, un contrat lui confiant la gestion du stationnement payant sur voirie. Après y avoir été autorisé par une délibération du conseil municipal du 26 mars 2012, le maire de Fontainebleau a notifié à la société SAPP, par une décision du 25 juillet 2012, la résiliation de ces contrats. Par un jugement du 15 juin 2018, le tribunal administratif de Melun, saisi d'un recours de la société SAPP tendant à la reprise des relations contractuelles, a jugé que la durée excessive de ces contrats, seul motif retenu par la commune, ne pouvait légalement justifier leur résiliation, mais a rejeté ce recours, au motif que la reprise des relations contractuelles aurait porté une atteinte excessive aux droits du nouveau délégataire. Par un jugement avant dire droit du même jour, le tribunal, saisi d'un recours indemnitaire de la société SAPP, a jugé que la société était fondée à demander réparation des préjudices subis résultant de la résiliation illégale des contrats et a prescrit une expertise portant sur leur évaluation. Par un jugement du 28 juillet 2020, le tribunal administratif de Melun a, à la suite du dépôt de son rapport par l'expert le 9 octobre 2019, condamné la commune de Fontainebleau à verser à la société SAPP les sommes de 2 480 474 euros, au titre de la valeur nette comptable des investissements non amortis à la date de prise d'effet de la résiliation, et de 2 201 000 euros hors taxes, au titre du manque à gagner pour la période allant de la résiliation des contrats à leur date normale d'échéance, avec intérêts au taux légal capitalisés, a mis les frais de l'expertise à la charge de la commune de Fontainebleau et a rejeté le surplus des conclusions de la société SAPP. Par un arrêt du 4 juillet 2023, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la commune contre le jugement avant dire droit du 15 juin 2018 et contre le jugement du 28 juillet 2020, ainsi que l'appel incident formé par la société SAPP tendant à la réformation de ce dernier. Le pourvoi de la commune de Fontainebleau doit être regardé comme dirigé contre l'article 1er de cet arrêt. Par la voie du pourvoi incident, la société SAPP demande l'annulation du même arrêt en tant que la cour s'est prononcé sur la nature de la redevance initiale.
Sur le pourvoi principal de la commune de Fontainebleau :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1411-2 du code général des collectivités territoriales🏛, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Les conventions de délégation de service public doivent être limitées dans leur durée. Celle-ci est déterminée par la collectivité en fonction des prestations demandées au délégataire. Lorsque les installations sont à la charge du délégataire, la convention de délégation tient compte, pour la détermination de sa durée, de la nature et du montant de l'investissement à réaliser et ne peut dans ce cas dépasser la durée normale d'amortissement des installations mises en œuvre (/ Les conventions de délégation de service public ne peuvent contenir de clauses par lesquelles le délégataire prend à sa charge l'exécution de services ou de paiements étrangers à l'objet de la délégation. / Les montants et les modes de calcul des droits d'entrée et des redevances versées par le délégataire à la collectivité délégante doivent être justifiés dans ces conventions () ".
3. D'une part, il résulte des dispositions citées au point 2 qu'une convention de délégation de service public peut légalement prévoir le versement par le délégataire de redevances ou de droits d'entrée à la condition que ces sommes, que la convention doit justifier, ne soient pas étrangères à l'objet de la délégation. Lorsque la convention de délégation de service public prévoit que ces sommes correspondent à la mise à disposition de biens, évalués nécessairement à la valeur nette comptable, et qu'elle est résiliée par la collectivité délégante avant son terme normal, le délégataire a droit, sauf si le contrat en stipule autrement, à l'indemnisation par la collectivité délégante de la part non amortie de telles sommes correspondant, à la date de la résiliation, à la valeur nette comptable des biens ainsi mis à disposition, si ces biens font retour à la collectivité ou sont repris par celle-ci.
4. D'autre part, il résulte des mêmes dispositions que la durée normale d'amortissement des installations susceptible d'être retenue par une collectivité délégante peut être la durée normalement attendue pour que le délégataire puisse couvrir ses charges d'exploitation et d'investissement, compte tenu des contraintes d'exploitation liées à la nature du service et des exigences du délégant, ainsi que de la prévision des tarifs payés par les usagers, que cette durée coïncide ou non avec la durée de l'amortissement comptable des investissements.
5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'article 22, intitulé " Redevance de mise à disposition ", du contrat d'affermage avec travaux des parcs de stationnement conclu le 4 janvier 1996 entre la commune de Fontainebleau et la société SAPP, mentionné au point 1, prévoyait que : " Le Fermier verse une redevance initiale de mise à disposition des biens d'un montant de 20 500 000 francs. Cette somme est versée sur l'année 1996 () ". Il résulte de ce qui a été dit aux points 3 et 4 qu'en jugeant, par une appréciation souveraine non arguée de dénaturation, que ces stipulations mettaient à la charge de la société SAPP une somme qui constituait, selon leurs termes mêmes, la contrepartie de la mise à disposition de biens, dont il n'était pas contesté qu'ils ont été remis à la collectivité délégante ou repris par celle-ci au terme de la convention, pour en déduire que cette somme devait être regardée comme une dépense d'investissement pour le délégataire, prise en compte pour évaluer la durée nécessaire pour qu'il puisse couvrir ses charges, et que la société SAPP était, par suite, fondée à demander à être indemnisée de la part non amortie de cette somme à la date d'effet de la résiliation, la cour administrative d'appel de Paris, qui a suffisamment motivé son arrêt, n'a pas commis d'erreur de droit ni inexactement qualifié les faits de l'espèce.
6. En second lieu, les jugements rendus par le tribunal administratif les 15 juin 2018 et 28 juillet 2020 sur la demande présentée par la société SAPP en vue d'obtenir réparation des préjudices subis du fait de la résiliation des deux contrats mentionnés au point 1 relèvent du même litige que le jugement du 15 juin 2018, rendu sur le recours de la même société tendant, pour les mêmes contrats, à la reprise des relations contractuelles. En en déduisant que ces deux jugements pouvaient dès lors, pour ce qui concerne le motif d'illégalité de la résiliation, être régulièrement motivés par référence à ce dernier jugement, la cour n'a pas commis d'erreur de droit.
7. Il résulte de ce qui précède que la commune de Fontainebleau n'est pas fondée à demander l'annulation de l'article 1er de l'arrêt qu'elle attaque.
Sur le pourvoi incident de la société SAPP :
8. Le pourvoi incident présenté par la société SAPP, qui est dirigé contre les seuls motifs de l'arrêt attaqué et non contre son dispositif, ne peut qu'être rejeté comme irrecevable.
Sur les frais de l'instance :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Fontainebleau la somme de 3 000 euros à verser à la société SAPP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société SAPP qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
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Article 1er : Le pourvoi de la commune de Fontainebleau et le pourvoi incident de la société SAPP sont rejetés.
Article 2 : La commune de Fontainebleau versera à la société SAPP la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3: La présente décision sera notifiée à la commune de Fontainebleau et à la société auxiliaire de parcs de la région parisienne (SAPP).