Jurisprudence : CE 2/7 ch.-r., 28-10-2024, n° 490665

CE 2/7 ch.-r., 28-10-2024, n° 490665

A89306CQ

Référence

CE 2/7 ch.-r., 28-10-2024, n° 490665. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/112367003-ce-27-chr-28102024-n-490665
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Abstract

► Le maintien d'une famille de demandeurs d'asile dans un centre d'hébergement d'urgence pendant l'instruction de leur demande après l'octroi du bénéfice de la protection subsidiaire est susceptible d'être regardé comme un manquement grave au règlement de ce lieu d'hébergement.



CONSEIL D'ETAT

Statuant au contentieux

N° 490665

Séance du 09 octobre 2024

Lecture du 28 octobre 2024

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 2ème et 7ème chambres réunies)


Vu la procédure suivante :

Le préfet des Alpes-Maritimes a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice, sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative🏛, d'ordonner l'expulsion sans délai de Mme C A et de ses cinq enfants du logement qu'ils occupent à Carros, dans le centre d'hébergement d'urgence pour demandeurs d'asile géré par l'association ALC.

Par une ordonnance n° 2305123 du 7 novembre 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a fait droit à sa demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 4 et 17 janvier et le 17 septembre 2024 au secrétariat du Conseil d'Etat, Mme A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros à verser à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, son avocat, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative🏛 et 37 de la loi du 10 juillet 1991🏛.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Christophe Pourreau, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique,

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Megret, avocat de Mme A ;

Considérant ce qui suit :

1. D'une part, aux termes de l'article L. 552-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile🏛, applicable aux lieux d'hébergement pour demandeurs d'asile, qui accueillent les demandeurs d'asile pendant la durée d'instruction de leur demande d'asile ou jusqu'à leur transfert effectif vers un autre Etat européen : " Lorsqu'il est mis fin à l'hébergement dans les conditions prévues aux articles L. 551-11 à L. 551-14, l'autorité administrative compétente ou le gestionnaire du lieu d'hébergement peut demander en justice, après mise en demeure restée infructueuse, qu'il soit enjoint à cet occupant sans titre d'évacuer ce lieu. / Le premier alinéa n'est pas applicable aux personnes qui se sont vues reconnaître la qualité de réfugié ou qui ont obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire. Il est en revanche applicable aux personnes qui ont un comportement violent ou commettent des manquements graves au règlement du lieu d'hébergement. / La demande est portée devant le président du tribunal administratif, qui statue sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative et dont l'ordonnance est immédiatement exécutoire ". Aux termes de l'article L. 521-3 du code de justice administrative : " En cas d'urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l'absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative ".

2. D'autre part, aux termes de l'article L. 551-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile🏛 : " Les conditions dans lesquelles les personnes s'étant vu reconnaître la qualité de réfugié ou accorder le bénéfice de la protection subsidiaire et les personnes ayant fait l'objet d'une décision de rejet définitive peuvent être, à titre exceptionnel et temporaire, maintenues dans un lieu d'hébergement mentionné à l'article L. 552-1, sont déterminées par décret en Conseil d'Etat. ". Aux termes de l'article R. 552-11 du même code : " Lorsqu'il est mis fin à l'hébergement en application des articles L. 551-11, L. 551-12, L. 551-14 ou L. 551-16, l'Office français de l'immigration et de l'intégration en informe sans délai le gestionnaire du lieu qui héberge la personne concernée, en précisant la date à laquelle elle doit sortir du lieu d'hébergement ". Aux termes de l'article R. 552-13 de ce code🏛 : " La personne hébergée peut solliciter son maintien dans le lieu d'hébergement au-delà de la date de décision de sortie du lieu d'hébergement prise par l'Office français de l'immigration et de l'intégration en application des articles L. 551-11 ou L. 551-13, dans les conditions suivantes : / 1° Lorsqu'elle s'est vue reconnaitre la qualité de réfugié ou accorder le bénéfice de la protection subsidiaire, elle peut demander à être maintenue dans le lieu d'hébergement jusqu'à ce qu'une solution d'hébergement ou de logement soit trouvée, dans la limite d'une durée de trois mois à compter de la date de la fin de prise en charge ; durant cette période, elle prépare les modalités de sa sortie avec le gestionnaire du lieu qui prend toutes mesures utiles pour lui faciliter l'accès à ses droits, au service intégré d'accueil et d'orientation, ainsi qu'à une offre d'hébergement ou de logement adaptée ; cette période peut être prolongée pour une durée maximale de trois mois supplémentaires avec l'accord de l'office () ".

3. Il résulte des dispositions citées au point 1 que le préfet ou le gestionnaire du lieu d'hébergement peut saisir le juge des référés du tribunal administratif d'une demande tendant à ce que soit ordonnée l'expulsion d'un lieu d'hébergement pour demandeurs d'asile de toute personne commettant des manquements graves au règlement du lieu d'hébergement, y compris les personnes s'étant vu reconnaître la qualité de réfugié ou accorder le bénéfice de la protection subsidiaire. Il résulte également de l'économie générale et des termes des dispositions précitées que le fait pour une personne s'étant vu reconnaître la qualité de réfugié ou accorder le bénéfice de la protection subsidiaire de se maintenir dans le lieu d'hébergement après la date de fin de prise en charge ou, le cas échéant, après l'expiration du délai prévu au 1° de l'article R. 552-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est susceptible d'être regardé comme caractérisant un tel manquement grave au règlement du lieu d'hébergement, notamment en cas de maintien prolongé dans les lieux sans motif légitime ou de refus non justifié d'une offre d'hébergement ou de logement.

4. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que Mme A et ses cinq enfants, qui, en leur qualité de demandeurs d'asile, occupaient à Carros un logement dépendant du centre d'hébergement d'urgence pour demandeurs d'asile géré par l'association ALC, se sont vu accorder le bénéfice de la protection subsidiaire par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Par lettre du 25 août 2021, l'Office français de l'immigration et de l'intégration a adressé à Mme A une décision de sortie du centre d'hébergement, au plus tard le 8 novembre 2021. A la suite du refus de l'intéressée d'offres de relogement, il a été demandé à la famille, en juillet 2023, de libérer le logement occupé. Après une mise en demeure restée infructueuse, le préfet des Alpes-Maritimes a demandé, sur le fondement des articles L. 552-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et L. 521-3 du code de justice administrative, au juge des référés du tribunal administratif de Nice d'ordonner l'expulsion de la famille. Par une ordonnance du 7 novembre 2023, contre laquelle Mme A se pourvoit en cassation, le juge des référés a fait doit à sa demande.

5. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés qu'après avoir été avisée de la demande présentée par le préfet des Alpes-Maritimes et enregistrée au tribunal administratif de Nice le 18 octobre 2023, Mme A a présenté, le 25 octobre 2023, une demande d'aide juridictionnelle au tribunal judiciaire de Nice, qui l'a transmise le 30 octobre au tribunal administratif, et a adressé, ce même 25 octobre, un courrier, enregistré également au tribunal administratif le 30 octobre, dans lequel elle indiquait avoir déposé une demande d'aide juridictionnelle et sollicitait le report de l'audience dans l'attente de la désignation de son avocat. En s'abstenant de statuer sur sa demande d'aide juridictionnelle et en refusant de reporter l'audience qui s'est tenue le 31 octobre au motif, entaché de dénaturation, qu'elle aurait demandé le renvoi de l'affaire " pour cause de villégiature ", le juge des référés du tribunal administratif n'a pas mis Mme A en mesure de présenter utilement ses arguments en défense et a ainsi méconnu les principes rappelés à l'article L. 5 du code de justice administrative🏛 et statué au terme d'une procédure irrégulière. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, Mme A est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée.

6. Mme A ayant obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de Mme A, au titre de ces dispositions, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

D E C I D E :

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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nice du 7 novembre 2023 est annulée.

Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Nice.

Article 3 : L'Etat versera à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de Mme A, une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991🏛, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme C A et au ministre de l'intérieur.

Délibéré à l'issue de la séance du 9 octobre 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; Mme Anne Courrèges, M. Géraud Sajust de Bergues, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseillers d'Etat M. Christophe Pourreau, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 28 octobre 2024.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

Le rapporteur :

Signé : M. Christophe Pourreau

Le secrétaire :

Signé : M. Guillaume Auge

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