bu 15 FÉVRIER 2001
ARRÊT N° A 04
Répertoire N° 2000/01962 2000/01963
Première Chambre
Première Section
RE/EK111
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Prononcé à l'audience du quinze février deux mille un Par R.. ..., premier président,
Assisté de G.. ..., greffier en chef
Après qu'il en ait été délibéré par les magistrats du siège ayant assisté aux débats, les parties et leurs conseils ayant été avisés de la date à laquelle l'arrêt serait rendu, LA COUR D'APPEL DE TOULOUSE, première chambre et troisième chambre, a rendu l'arrêt contradictoire suivant après que la cause ait été débattue en audience solennelle et en chambre du conseil le 7 décembre 2000 Devant R.. ..., premier président
N.. ..., président de chambre
D.. ..., D.. ... et J.P. RIMOUR, conseillers
assistés de R.. ..., greffier
qui ont examiné les recours formés par
CONSEIL DE L'ORDRE DES AVOCATS
DE TOULOUSE
7/2/2000
3/4/2000
M.,,re LASSUS
C/
CONSEIL DE L'ORDRE DES AVOCATS TOULOUSE
Me ...
de la SCPI
SAINT GAUDENS CEDEX contre les décisions du CONSEIL de L'ORDRE des AVOCATS de TOULOUSE, en date des 7 février et 3 avril 2000 en présence du ministère public
Me ... a été entendu,
M. ..., avocat général, a été entendu,
Monsieur le bâtonnier COTTIN, représentant le conseil de l'ordre des avocats, a été entendu en ses observations.
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I - LES FAITS ET LA PROCÉDURE
Le 7 octobre 1998, une société "CABEXPERT" faisait enregistrer une adresse de domaine "Internet" sous le nom de "avocats-toulouse.com" (avocats au pluriel).
Le 9 novembre 1998, la société d'avocats inter-barreaux "J. L., E. N. M., X. ..., E. ..." (la SCPI), dont le siège social est à Saint-Gaudens et qui dispose d'un cabinet dans cette ville ainsi qu'à Toulouse, faisait elle-même enregistrer un site "Internet" sous les adresses "avocat-saint-gaudens.com" et "avocat-toulouse.com" (avocat au singulier).
Le 12 novembre 1998, l'Ordre des avocats du barreau de Toulouse rachetait à la société "CABEXPERT" sept noms de site dont "avocats-toulouse.com".
Le 24 novembre 1998, la SCPI communiquait au bâtonnier de Toulouse, mais sans lui préciser ses adresses "Internet", les textes consultables sur son site afin d'obtenir son agrément. Cet agrément lui était donné par délibération du conseil de l'Ordre du 13 janvier 1999 "Sur rapport de la commission du statut, le conseil prend connaissance de l'ouverture par la (SCPI) d'un site "Internet" - Le conseil constate que rien ne s'oppose à cette ouverture". Ce même agrément lui avait été donné par le barreau de Saint-Gaudens le 14 décembre 1998.
Le 14 juin 1999, le bâtonnier de Toulouse saisissait cependant celui de Saint-Gaudens en demandant que la SCPI abandonne l'adresse "avocat-toulouse.com".
Le 7 février 2000, en l'absence d'une réponse du bâtonnier de Saint-Gaudens, le conseil de l'Ordre du barreau de Toulouse donnait injonction à la SCPI de modifier le nom de son domaine dans un délai de quinze jours en se référant à l'article 301 de son règlement intérieur selon lequel "l'avocat qui veut créer un site "Internet" doit le faire à son nom et au travers de sa structure professionnelle". Cette décision était notifiée à la SCPI le 7 mars 2000.
Le 14 mars 2000, la SCPI répondait au bâtonnier de Toulouse, par lettre argumentée de quatre pages, qu'elle n'entendait pas déférer à l'injonction qui lui avait été faite. Elle contestait également les conditions de forme et de procédure dans lesquelles la délibération du conseil de l'Ordre avait été prise.
Le 3 avril 2000, le conseil de l'Ordre de Toulouse délibérait à nouveau au vu de la réclamation de la SCPI. Il confirmait sa décision précédente en se référant au même article de son règlement intérieur (article 10-11-1 du règlement intérieur harmonisé).
Le 26 avril 2000, la SCPI déferait à la cour les délibérations des 7 février et 3 avril 2000.
Il - LES MOYENS DES PARTIES
La SCPI conclut à l'annulation des deux décisions du conseil de l'Ordre de Toulouse. Elle soutient d'abord que ce conseil n'était pas compétent pour statuer puisque le siège social de la SCPI se trouve à Saint-Gaudens et que le bâtonnier de ce barreau avait par lettre du 23 mars 2000 rejeté la demande du bâtonnier de Toulouse. Elle affirme ensuite n'avoir pas bénéficié d'un procès équitable au sens de l'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme puisque la procédure n'a pas donné lieu à un débat contradictoire. Elle considère également avoir été victime d'un détournement de pouvoir dès lors que "au fil des mois le fondement juridique de la demande de modification du nom du domaine a considérablement évolué", cette demande ayant d'abord été fondée non pas sur le règlement intérieur mais sur l'antériorité du nom du domaine du barreau de Toulouse et sur le risque de confusion. A cet égard la SCI observe d'ailleurs que les délibérations déférées relèvent d'une méconnaissance de la réglementation et de la pratique propres à "interner, les adresses "avocats-toulouse.com" et "avocat-toulouse.com" étant différentes et susceptibles chacune d'enregistrements distincts. Elle reproche au conseil de l'Ordre de Toulouse d'avoir "postérieurement à la procédure liée contre la SCPI, adopté un texte réglementaire lui permettant d'asseoir sa décision" ce qui lui parait caractériser également un détournement de pouvoir. Elle demande d'ordonner que l'arrêt à intervenir soit affiché dans les locaux de l'Ordre de Toulouse "à l'emplacement où les décisions annulées ont été affichées".
L'Ordre des avocats du barreau de Toulouse demande de débouter la SCPI de son recours en annulation. Sur sa compétence, il relève d'abord que deux des membres de cette SCPI, Maître X. ... et Maître E. M., sont inscrits au barreau de Toulouse et qu'aux termes de la loi du 31 décembre 1971, du décret du 27 novembre 1991 et du décret du 20 juillet 1992 sur les sociétés civiles professionnelles d'avocats, chaque avocat d'une structure d'exercice inter-barreaux reste soumis à la discipline de son barreau et doit en respecter les règles et les usages. L'Ordre conteste ensuite avoir commis une violation du principe de contradiction en relevant qu'il n'est pas prévu qu'un débat contradictoire précède l'interdiction faite à un avocat d'avoir des agissements anormaux, cet avocat disposant alors de la faculté de ressaisir le conseil de l'Ordre. Contestant avoir commis un détournement de pouvoir, il observe que la dénomination du nom du domaine ne lui avait pas été communiquée lorsqu'il avait donné son agrément et que, puisque la demande adressée au bâtonnier de Saint-Gaudens le 14 juin 1999 était restée sans réponse jusqu'au 23 mars 2000, le bâtonnier était en droit de saisir le conseil de l'Ordre. Il soutient surtout que la dénomination "avocat-toulouse.com" utilisée par un cabinet d'avocats est contraire aux dispositions légales et réglementaires et, spécialement, qu'aucun avocat ne peut usurper, sans indication de son nom, les "appellations faisant référence à la profession dans son ensemble" ce qui "exclut la possibilité pour tout cabinet d'utiliser le terme avocat auquel il associerait le nom de la ville à laquelle il est rattaché ou le nom de son barreau".
Le procureur général est d'avis que l'inscription d'un site de cabinet d'avocat sur "internet" relève de la publicité dite nécessaire, que l'auteur de la publicité n'est astreint qu'à une information de l'Ordre et que, aucun texte ne prévoyant un régime d'autorisation préalable, le conseil de l'Ordre a seulement la possibilité d'engager éventuellement des poursuites disciplinaires du chef de publicité illégale. Il en déduit que le conseil de l'Ordre des avocats du barreau de Toulouse "a excédé ses pouvoirs et statué incomplètement" et qu'il y a lieu à annulation "sans égard aux questions qui relèvent du droit des marques et de la concurrence, qui sont de la compétence du tribunal de grande instance".
III - MOTIFS DE L'ARRÊT
1 - Jonction
Le recours de la SCPI a donné lieu à l'ouverture de deux procédures (1962/2000 et 1963/2000) en ce qu'il visait deux décisions distinctes du conseil de l'Ordre (7 février et 3 avril 2000).
Mais ces deux décisions sont indissociables et il convient, dans l'intérêt d'une bonne justice, d'ordonner d'office la jonction des deux procédures.
2 - Sur la recevabilité du recours
Il résulte des articles 19 de la loi du 31 décembre 1971 et 15 du décret du 27 novembre 1991 que tout avocat peut déférer à la cour d'appel les délibérations ou décisions du conseil de l'Ordre de nature à léser ses intérêts professionnels s'il a préalablement saisi le bâtonnier de sa réclamation.
En l'espèce, et encore qu'aucune des parties n'évoque les deux textes visés ci-dessus, il apparaît que la SCPI a pu s'estimer lésée dans ses intérêts professionnels par la délibération du conseil de l'Ordre du 7 février 2000, qu'elle a alors régulièrement saisi le bâtonnier de cet Ordre dans le délai imposé de deux mois et que, au vu de sa réclamation motivée, le conseil de l'Ordre a délibéré à nouveau ce qui lui a normalement ouvert un recours devant la cour.
Le recours contre cette deuxième décision, régulièrement formé dans le délai d'un mois, est donc recevable (la première décision étant insusceptible de recours devant la cour).
3 - Sur la compétence "rationae personae" du barreau de Toulouse
Il se déduit de l'article 51 du décret du 20 juillet 1992 relatif aux sociétés civiles professionnelles que le conseil de l'Ordre dont relèvent les avocats de ces sociétés, compétent pour statuer sur les fautes disciplinaires qu'ils commettraient, est nécessairement compétent à leur égard pour veiller à l'observation de leurs devoirs et donc pour leur enjoindre de respecter le règlement intérieur de leur barreau.
Dans la présente affaire, étant observé que l'avis du bâtonnier de Saint-Gaudens a été demandé le 14 juin 1999 soit près de huit mois avant la première délibération critiquée, le conseil de l'Ordre de Toulouse était compétent pour délibérer sur un site "interner dénommé "avocat-toulouse" puisque deux des avocats de la SCPI appartenaient au barreau de Toulouse.
En conséquence, il convient de rejeter le moyen de la SCPI tendant à soulever l'incompétence du conseil de l'Ordre de Toulouse parce qu'elle est inscrite au barreau de Saint-Gaudens.
4 - Sur la compétence "rationae materiae" du barreau de Toulouse
Aux termes de l'article 17 de la loi du 31 décembre 1971 il revient au conseil de l'Ordre de traiter toutes questions intéressant l'exercice de la profession et de veiller à l'observation de leurs devoirs par les avocats, spécialement d'assurer l'exécution des décisions prises par le Conseil national des barreaux, sans que l'énumération des diverses tâches énumérées par cet article présente un caractère limitatif.
En l'espèce, il appartenait normalement au conseil de l'Ordre de Toulouse, de délibérer sur une dénomination de site "interner qui pouvait sembler contraire à son règlement intérieur ainsi d'ailleurs qu'à l'article 161 du décret du 27 novembre 1991 limitant la publicité à laquelle les avocats peuvent recourir.
En conséquence, il convient de rejeter également le moyen tendant à soulever l'incompétence du conseil de l'ordre de Toulouse au motif qu'il aurait délibéré sur une question étrangère à sa compétence.
5 - Sur la violation du principe de contradiction
L'article 15 du décret du 27 novembre 1991, qui réglemente les réclamations des avocats contre les délibérations ou décisions des conseils de l'ordre prises hors de toute procédure disciplinaire, n'impose pas la convocation de l'avocat ni la mise en oeuvre d'un débat contradictoire. Il offre seulement la possibilité de saisir la cour d'appel en cas de rejet des réclamations.
Dans le cas présent, il n'apparaît pas, alors que les dispositions de l'article 15 du décret du 27 novembre 1991 étaient applicables, que les droits de la défense de la SCPI aient été méconnus. En effet, la première délibération du 7 février 2000, délibération motivée, a été prise après qu'une demande eût été adressée au bâtonnier de l'Ordre des avocats de Saint-Gaudens et la réclamation argumentée de la SCPI a été rejetée par une nouvelle délibération, également motivée en fait et en droit, du 3 avril 2000. Il y a lieu d'observer en outre que, si dans un premier temps et avant toute délibération du conseil de l'Ordre, les questions de l'antériorité du site "internet" et du risque de confusion avaient prévalu, les deux décisions déférées se réfèrent explicitement à la violation du règlement intérieur. Il en résulte que la SCPI a pu avoir une connaissance précise des raisons pour lesquelles injonction lui était faite de modifier la dénomination de son site et a été ainsi mise en situation de les contester tant devant le conseil de l'Ordre que devant la cour.
En conséquence, le moyen tiré de la violation du principe de contradiction sera également rejeté.
6 - Au fond, sur le mérite de l'injonction
Il résulte de l'article 10-11-1 du règlement intérieur harmonisé des barreaux, adopté par le barreau de Toulouse, que l'avocat qui veut créer un site "internet" doit le faire à son nom ou au travers de sa structure professionnelle.
En l'espèce, s'il est vrai que la personne appelant sur son ordinateur le site "avocats-toulouse.coni" ne peut accéder au site de la SCPI de même que celle appelant le site "avocat-toulouse.com" ne peut davantage accéder au site du barreau de Toulouse, il n'en demeure pas moins que le site "avocat-toulouse.com" n'est pas conforme au règlement intérieur du barreau de Toulouse. Il est d'ailleurs difficilement concevable que le site professionnel d'un avocat ne comporte pas en premier lieu son nom ou celui de sa structure professionnelle. Aucun auxiliaire de justice ne peut en effet s'approprier, même indirectement, le terme générique de sa profession sur un site "internet" et laisser ainsi entendre aux tiers non avertis qu'il représente l'intégralité de cette profession.
En conséquence, la décision déférée sera confirmée.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
ordonne la jonction des procédures 1962/2000 et 1963/2000,
déclare recevable l'appel formé par la société d'avocats inter-barreaux "J. L., E. N. M., X. ..., E. ..." contre la décision du conseil de l'Ordre des avocats du barreau de Toulouse du 3 mars 2000,
rejette l'ensemble des moyens de procédure tendant à l'annulation de cette décision,
confirme cette décision,
dit n'y avoir lieu à dépens.
LE PREMIER PRÉSIDENT ET LE GREFFIER ONT SIGNE LA MINUTE.
LE GREFFIE LE PREMIER PRÉSIDENT