Jurisprudence : CE 3/8 ch.-r., 25-10-2024, n° 473997

CE 3/8 ch.-r., 25-10-2024, n° 473997

A22946CX

Référence

CE 3/8 ch.-r., 25-10-2024, n° 473997. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/112311596-ce-38-chr-25102024-n-473997
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Abstract

► Le Conseil d'État est revenu dans un arrêt du 25 octobre 2024 sur le traitement applicable aux pensions de retraite d'États membres différents et la faculté pour l'État membre compétent d'assoir les cotisations sur la totalité des pensions perçues par l'intéressé.



CONSEIL D'ETAT

Statuant au contentieux

N° 473997⚖️


Séance du 14 octobre 2024

Lecture du 25 octobre 2024

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 8ème et 3ème chambres réunies)


Vu la procédure suivante :

Mme B A a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2015. Par un jugement n°1806215 du 2 août 2021, ce tribunal a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 21LY03252 du 16 mars 2023, la cour administrative d'appel de Lyon⚖️ a, sur appel de Mme A, ramené à 3 094 euros le montant des contributions sociales dues à raison de la pension de retraite de réversion en capital versée en 2015.

Par un pourvoi, enregistré le 10 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande au Conseil d'Etat d'annuler les articles 1 à 3 de cet arrêt.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- l'accord entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la Confédération suisse, d'autre part, sur la libre circulation des personnes, fait à Luxembourg le 21 juin 1999, ensemble la décision n° 1/2012 du 31 mars 2012 du comité mixte ;

- le règlement (CE) n° 883/2004⚖️ du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale ;

- le règlement (CE) no 987/2009⚖️ du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales🏛 ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie Prévot, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de Mme A ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A, qui est fiscalement domiciliée en France et perçoit une pension de retraite de source française, a bénéficié, en 2015, à la suite du décès de son époux, d'une pension de retraite de réversion versée par un organisme suisse sous la forme d'un versement unique en capital. A la suite d'un contrôle sur pièces, l'administration a rectifié le montant de cette pension qui avait été déclarée tardivement et a assujetti la requérante, à raison de cette pension de droit suisse, à la contribution sociale généralisée (CSG), à la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) et à la contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie (CASA). Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique se pourvoit en cassation contre l'arrêt par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a déchargé Mme A de ces cotisations supplémentaires de contributions sociales à concurrence des sommes excédant le montant de 3 094 euros, montant de la pension de source française qu'elle avait perçue au titre de l'année 2015.

2. En application, d'une part, de l'article 11 du règlement du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, applicable depuis le 1er avril 2012 aux relations entre la Confédération suisse et les Etats membres de l'Union européenne en vertu de la décision n° 1/2012 du 31 mars 2012 du comité mixte, les personnes qui relèvent du champ du règlement ne sont soumises qu'à la législation d'un seul Etat membre, déterminée selon les règles définies aux articles 11 à 16 de ce règlement, ce qui exclut dès lors toute possibilité de cumul de plusieurs législations nationales pour une même période et, de manière corollaire, qu'un même revenu soit exposé au paiement de doubles cotisations.

3. Aux termes, d'autre part, de l'article 30 de ce même règlement, intitulé " Cotisations du titulaire de pension " : " 1. L'institution d'un État membre qui applique une législation prévoyant des retenues de cotisations pour la couverture des prestations de maladie, de maternité et de paternité assimilées ne peut procéder à l'appel et au recouvrement de ces cotisations, calculées selon la législation qu'elle applique, que dans la mesure où les dépenses liées aux prestations servies () sont à la charge d'une institution dudit État membre ". Aux termes de l'article 30 du règlement (CE) n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, fixant les modalités d'application du règlement n° 883/2004, intitulé " Cotisations du titulaire de pensions " : " Lorsqu'une personne perçoit une pension provenant de plus d'un État membre, le montant des cotisations prélevées sur toutes les pensions versées ne peut en aucun cas être supérieur au montant qui serait prélevé auprès d'une personne recevant une pension du même montant provenant de l'État membre compétent. " Ces dispositions, dont la lettre est claire, n'interdisent pas à l'Etat membre compétent d'assoir les cotisations sur la totalité des pensions perçues de deux ou plusieurs Etats membres par une même personne, pas plus qu'elles ne lui imposent de limiter le montant des cotisations à hauteur du montant de la pension qu'il verse.

4. Si la Cour de justice a dit pour droit, par son arrêt du 18 juillet 2006, Nikula (C-50/05), que l'article 33, paragraphe 1, du règlement n° 1408/71, du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non-salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, applicable avant le 1er avril 2012 aux relations entre la Confédération suisse et les Etats membres de l'Union européenne, et dont les dispositions ont, en partie, été reprises par le règlement n° 883/2004, que ces mêmes cotisations ne pouvaient dépasser le montant des pensions servies dans l'Etat membre de résidence, la Cour s'est fondée pour statuer en ce sens sur la lettre claire de cet article 33 du règlement de 1971, alors applicable, selon laquelle " l'institution d'un État membre débitrice d'une pension ou d'une rente qui applique une législation prévoyant des retenues de cotisations à la charge du titulaire d'une pension (), est autorisée à opérer ces retenues, calculées suivant ladite législation, sur la pension ou la rente dues par elle () ".

5. Il suit de là qu'en jugeant que Mme A était fondée à demander, sur le fondement des dispositions de l'article 30 du règlement n° 883/2004 et dans la limite du montant de la pension de source française perçue en 2015, la restitution de la somme qu'elle avait acquittée au titre des contributions sociales en litige, la cour administrative d'appel de Lyon a commis une erreur de droit. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est, dès lors, fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.

6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛 font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, la somme que Mme A demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

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Article 1er : Les articles 1 à 3 de l'arrêt du 16 mars 2023 de la cour administrative d'appel de Lyon sont annulés.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Lyon.

Article 3 : Les conclusions présentées par Mme A sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics et à Mme B A.

Délibéré à l'issue de la séance du 14 octobre 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, Mme Emilie Bokdam-Tognetti, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et Mme Marie Prévot, maîtresse des requêtes-rapporteure.

Rendu le 25 octobre 2024.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

La rapporteure :

Signé : Mme Marie Prévot

La secrétaire :

Signé : Mme Magali Méaulle

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