COMM.
I.G
COUR DE CASSATION
Audience publique du 17 décembre 2002
Cassation partielle
M. DUMAS, président
Pourvoi n° W 00-19.684
Arrêt n° 2144 FS D
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant
Sur le pourvoi formé par M. Horace Z, demeurant Paris,
en cassation d'un arrêt rendu le 26 avril 2000 par la cour d'appel de Paris (4e chambre, section A), au profit de la société SNEF, société anonyme, dont le siège est Marseille,
défenderesse à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Vu la communication faite au Procureur général ;
LA COUR, composée conformément à l'article L. 131-6-1 du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 5 novembre 2002, où étaient présents M. X, président, Mme W, conseiller référendaire rapporteur, M. Métivet, Mmes Garnier, Tric, Favre, Betch, conseillers, M. Boinot, Mme Guéguen, MM. Sémériva, Truchot, Mmes Belaval, Orsini, M. Chaise, conseillers référendaires, M. V, avocat général, Mme U, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme W, conseiller référendaire, les observations de la SCP Bouzidi, avocat de M. Z, de la SCP Gatineau, avocat de la société SNEF, les conclusions de M. V, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué, que M. Z a cédé progressivement entre 1989 et 1993 à la société SNEF les parts sociales de la société AGEC qui exerce une activité dans le secteur du bâtiment ; que le 3 mai 1989, la société AGEC a signé avec M. Z un contrat de travail comportant une clause de non-concurrence valable deux ans à compter de la cessation du contrat et en Ile-de-France ; que ce contrat est venu à expiration le 31 décembre 1992 ; que le 30 novembre 1993, la société SNEF a absorbé la société AGEC ; qu'entre temps, le 5 janvier 1993, la société SNEF avait conclu un contrat de travail d'une durée d'un an avec M. Z ; que ce contrat ne comportait pas de clause de non-concurrence ; qu'estimant que M. Z, par l'intermédiaire de deux sociétés dénommées ATR et AIEE, ne respectait pas la clause de non-concurrence précitée et avait manqué à la garantie du fait personnel due au titre de la cession d'actions, la société SNEF l'a assigné, à ce double titre, en réparation de son préjudice ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches
Attendu que M. Z fait grief à l'arrêt d'avoir retenu sa responsabilité pour des faits de concurrence déloyale en portant atteinte par l'intermédiaire des sociétés ATR et AIEE à la garantie qu'il devait sur la substance des parts vendues, le condamnant à une provision de 500 000 francs et à la publication du jugement dans quatre journaux professionnels dans la limite de 100 000 francs, ordonnant en outre une mesure d'instruction, alors, selon le moyen
1°/ que M. Z faisait valoir que la clause de non-concurrence conclue dans le contrat conclu le 3 mai 1989 avec la société AGEC n'avait pas été reprise dans les nouveaux contrats à durée déterminée pour une activité à temps partiel conclus avec la société SNEF, ayant absorbé la société AGEC, en date des 29 juin 1992 et 5 janvier 1993, le contrat du 29 juin 1992, conclu trois mois après l'expiration du contrat avec la société AGEC précisant que "les conditions de votre précédent contrat de travail d'AGEC restant les mêmes au niveau de votre appartenance aux conventions collectives de l'équipement électrique, votre coefficient hiérarchique étant de 165" ; qu'ayant relevé que la clause de non-concurrence était stipulée dans un contrat conclu entre M. Z et la société AGEC, puis décidé qu'en l'absence de dispositions expresses convenues entre les parties le contrat de travail conclu le 5 janvier 1993 entre Horace Z et la société SNEF ne saurait certainement avoir pour conséquence de rendre caduque la clause de non-concurrence contenue dans le contrat conclu le 3 mai 1989 avec la société AGEC, qu'au contraire les intérêts des sociétés AGEC et SNEF étant juridiquement liés puisque cette dernière venait aux droits de la société AGEC, la société SNEF avait manifestement avantage à ce que la clause litigieuse continue à produire effet afin d'éviter qu'Horace Z à la suite de son départ le 31 décembre 1993 n'exerce à son détriment une activité concurrente, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales s'évinçant de ses propres constatations dont il ressortait que dans les nouveaux contrats, qui n'étaient pas des avenants, conclus avec la société SNEF, aucune clause de non-concurrence n'avait été stipulée et, partant, elle a violé l'article 1134 du Code civil ;
2°/ que M. Z faisait valoir que seul le contrat conclu avec la société AGEC le 3 mai 1989 contenait une clause de non-concurrence, le nouveau contrat conclu le 29 juin 1992 avec la société SNEF ayant expressément précisé que "les conditions de votre précédent contrat de travail d'AGEC restent les mêmes au niveau de votre appartenance aux conventions collectives de l'équipement électrique, votre coefficient hiérarchique étant de 165" ; qu'il résultait du nouveau contrat conclu le 5 janvier 1993 qu'aucune clause de non-concurrence n'avait été stipulée dans le cadre des relations unissant M. Z à la société SNEF, le contrat du 5 janvier 1993 ne faisant aucune référence au contrat conclu avec la société AGEC le 3 mai 1989 qui avait cessé de produire effet le 31 mars 1992 ; qu'en retenant qu'en l'absence de dispositions expresses convenues entre les parties le contrat de travail conclu le 5 janvier 1993, entre Horace Z et la société SNEF ne saurait certainement avoir pour conséquence de rendre caduque la clause de non-concurrence contenue dans le contrat conclu le 3 mai 1989 avec la société AGEC ; qu'au contraire les intérêts des sociétés AGEC et SNEF étant juridiquement liés puisque cette dernière venait aux droits de la société AGEC, la société SNEF avait manifestement avantage à ce que la clause litigieuse continue à produire effet afin d'éviter qu'Horace Z à la suite de son départ le 31 décembre 1993 n'exerce à son détriment une activité concurrente, cependant qu'elle devait rechercher si les nouveaux contrats, qui n'étaient pas des avenants au précédent, contenaient une telle clause expresse de référence à la clause de non-concurrence, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu que la cour d'appel qui a constaté l'existence d'une clause de non-concurrence dans un contrat conclu entre la société AGEC et M. Z devant prendre effet à l'expiration de ce contrat a, à bon droit, décidé que sauf dispositions expresses le prévoyant, le contrat signé ultérieurement entre M. Z et la société SNEF ne pouvait avoir eu pour effet de rendre caduque cette clause ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses trois branches
Attendu que M. Z fait encore le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen
1°/ qu'en affirmant que la société ATR, dont il n'est pas contesté qu'elle n'employait aucun salarié, qui n'avait d'autres activités avant 1993 que l'entretien des installations réalisées en sous-traitance par la société AGEC n'était pas destinée à être réanimée afin de poursuivre des activités concurrentes à celles de la société SNEF, la cour d'appel qui relève qu'elle existait avant les acquisitions faites par la SNEF sans préciser d'où il ressortait que M. Z, ès qualités de gérant de la société ATR ou personnellement ait pris un tel engagement, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
2°/ que dès lors que la société ATR existait depuis 1978, qu'elle avait une activité, que cette société était connue tant de la société AGEC que de la société SNEF, avec laquelle elle était en relation contractuelle, la cour d'appel, qui affirme que M. Z a poursuivi à partir du 1er janvier 1993 directement par l'intermédiaire de la société ATR et indirectement jusqu'au 11 janvier 1994 par l'intermédiaire de cette même société qu'il dirigeait et qui possédait 97,5 % du capital social de la société AIEE une activité concurrente à celle de la société SNEF cependant que M. Z s'interdisait, au titre de la clause de non-concurrence, de fonder, d'acquérir, un fonds de commerce portant sur une activité identique ou analogue à celle de la société AGEC ou de participer à titre d'associé, de gérant ou d'employé à une exploitation identique ou analogue, interdiction visant tous les intérêts directs ou indirects que Horace Z pourrait être amené à prendre dans des fonds de commerce identiques ou analogues à la société AGEC, la cour d'appel qui ne constate aucun engagement pris par la société ATR n'a pas tiré les conséquences légales s'évinçant de ses propres constatations, dont il ressortait que la société ATR existant antérieurement et ayant une activité commerciale, M. Z ne pouvait être reprochable d'acte de concurrence par le truchement de cette société et, partant, elle a violé l'article 1134 du Code civil ;
3°/ que la formalité de l'enregistrement d'une cession est indifférente au transfert de propriété; qu'ayant relevé que la cession par la société ATR de sa participation majoritaire dans la société AIEE avait été réalisée selon acte sous seing privé du 13 décembre 1993, enregistré le 11 janvier 1994, que les actes de concurrence imputés à M. Z résultaient de la sous-traitance d'un marché à la société AIEE le 15 décembre 1993, ainsi que de travaux exécutés en sous-traitance pour le compte d'une société Delcommune qui a facturé ses travaux entre le mois de janvier et de mai 1994 pour en déduire que M. Z a poursuivi à partir du 1er janvier 1993 jusqu'au 11 janvier 1994 une activité concurrente à celle de la société SNEF directement par l'intermédiaire de la société ATR et indirectement jusqu'au 11 janvier par l'entremise de cette même société qu'il dirigeait et qui possédait 97,5 % de la société AIEE, la cour d'appel qui retient la date de transfert de la propriété des parts appartenant à la société ATR au capital de la société AIEE la date de l'enregistrement et non celle de la cession, cependant que la vente étant un contrat consensuel, seule la date de la cession devait être prise en considération, a violé les articles 583 et suivants du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt constate, par motifs propres, que la clause de non-concurrence souscrite par M. Z lui interdisait de participer à titre d'associé, de gérant ou d'employé à une exploitation identique ou analogue ; que l'arrêt relève, par motifs adoptés, que la société ATR, dont M. Z était le gérant, n'avait pas d'autre activité avant fin 1993 que l'entretien des installations faites par la société AGEC et que cet entretien était en fait sous-traité par la société ATR à la société AGEC puisque la société ATR n'avait pas de personnel ; que l'arrêt retient que la société ATR en embauchant du personnel et en réalisant la sous-traitance de marchés non plus d'entretien mais de construction, postérieurement à cette date, a modifié son activité et son fonctionnement pour créer des activités concurrentielles de celles de la société AGEC ; qu'en l'état de ces constatations établissant la violation de ses obligations par M. Z au regard de ses fonctions dans une société se livrant à la concurrence contractuellement interdite, peu important que son existence ait été antérieure à la clause souscrite dès lors qu'au moment de cette souscription, elle n'exerçait pas d'activité concurrentielle, la cour d'appel, abstraction faite des motifs inopérants mais surabondants critiqués par la première branche du moyen, a pu statuer comme elle a fait ;
Et attendu, en second lieu, que M. Z n'a pas dans ses conclusions d'appel, soutenu que la date de la cession des parts sociales de la société AIEE par la société ATR réalisée par acte sous seing privé du 13 décembre 1993 excluait sa responsabilité dans la concurrence réalisée par la société AIEE postérieurement à cette date ; qu'il suit de là que le grief tiré de l'opposabilité de la cession dès la signature de l'acte de cession, nouveau, et mélangé de fait et de droit, est irrecevable ;
Qu'il suit de là qu'inopérant en sa première branche, non fondé en sa deuxième branche et irrecevable en sa troisième branche, le moyen ne peut être accueilli ;
Mais sur le troisième moyen, pris en sa première branche
Sur la fin de non-recevoir, opposée par la défense ;
Attendu que la société SNEF soutient que le moyen tiré du défaut de caractérisation du manquement à la garantie légale d'éviction est irrecevable comme nouveau ;
Mais attendu que M. Z ayant opposé dans ses conclusions d'appel le moyen selon lequel la société SNEF ne rapportait pas la preuve d'une éviction aussi partielle soit-elle des biens qu'elle avait acquis de la société AGEC, soutenu que la préexistence de la sociéé ATR par rapport à la date de la cession limitait le champ de la garantie légale et fait valoir que le chiffre d'affaires de la société ATR était sans commune mesure avec celui réalisé par la société SNEF ou même de celui que la société SNEF estime avoir perdu du fait de la concurence de la société ATR et de son gérant, le moyen tiré des conditions de la mise en oeuvre de la garantie légale d'éviction était dans le débat ; que le moyen n'est pas nouveau ;
Et sur le moyen
Vu les articles 1626 et suivants du Code civil ;
Attendu que pour décider que M. Z avait manqué à la garantie du fait personnel qu'il devait à la société SNEF au titre de la cession de ses parts sociales par l'intermédiaire des sociétés ATR et AIEE, l'arrêt retient que l'acceptation de certains marchés par la société AIEE constitue de la part de M. Z une faute personnelle qui engage sa responsabilité dans la mesure où, étant à l'origine, directement ou indirectement, de la création de ces deux structures juridiques ATR et AIEE, il a entrepris, au mépris de la garantie qu'il devait à la société SNEF à la suite de la cession des actions qu'il détenait dans la société AGEC, des activités qui ont eu pour conséquence de porter atteinte au développement économique de la société cessionnaire ;
Attendu qu'en se déterminant par ces motifs, sans constater que l'obtention des deux marchés litigieux par la société AIEE avait empêché la société SNEF de poursuivre l'activité économique de la société AGEC en diminuant l'achalandage ou en détournant la clientèle de son fonds de commerce, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a décidé que M. Z avait manqué à la garantie d'éviction du fait personnel, l'arrêt rendu le 26 avril 2000, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne la société SNEF aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes de M. Z et de la société SNEF ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept décembre deux mille deux.