CIV.3
JL
COUR DE CASSATION
Audience publique du 18 décembre 2002
Cassation
M. WEBER, président
Pourvoi n° K 01-00.519
Arrêt n° 1885 FP P+B
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant
Sur le pourvoi formé par la société SIG de CCR, société anonyme, dont le siège est Paris,
en cassation de l'arrêt n° 629 rendu le 27 octobre 2000 par la cour d'appel de Paris (14e chambre civile, section B), au profit
1°/ de M. Gilles Y,
2°/ de Mme Rachel YX, épouse YX,
3°/ de M. Laurent W,
4°/ de Mme Laurence WV, épouse WV,
5°/ de M. Jean-Luc U,
6°/ de Mme Valérie UT, épouse UT,
7°/ de M. Haim S,
8°/ de M. Bernard R,
9°/ de Mme Aline QR, épouse QR,
10°/ de M. Emmanuel P,
11°/ de Mme Aline QP, épouse QP,
12°/ de M. Victor Q,
13°/ de Mme Suzanne OQ, épouse OQ,
14°/ de M. Patrick N,
15°/ de Mme Muriel MN, épouse MN,
16°/ de Mme Corinne L, épouse L,
17°/ de M. Sion K,
18°/ de Mme Hana JK, épouse JK,
19°/ de Mme Sophie SI, épouse SI,
20°/ de M. Samuel L,
21°/ de M. Serge H,
22°/ de Mme Chantal GH, épouse GH,
23°/ de M. Claude F,
24°/ de Mme Rachel XF, épouse XF,
25°/ de Mme Irma E,
tous demeurant Paris,
défendeurs à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Vu la communication faite au Procureur général ;
LA COUR, composée conformément à l'article L. 131-6-1 du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 13 novembre 2002, où étaient présents M. D, président, M. C, conseiller rapporteur, MM. Chemin, Villien, Mme Stéphan, MM. Peyrat, Guerrini, Philippot, Mme Lardet, M. Assié, Mmes Gabet, Renard-Payen, conseillers, Mmes Masson-Daum, Fossaert-Sabatier, Boulanger, M. Betoulle, Mme Nési, M. Jacques, Mme Monge, conseillers référendaires, M. B, avocat général, Mme AA, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. C, conseiller, les observations de la SCP Baraduc et Duhamel, avocat de la société SIG de CCR, de Me Choucroy, avocat de M. Y et des 24 autres défendeurs, les conclusions de M. B, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le premier moyen
Vu l'article 1134 du Code civil, ensemble les articles 9-1 et 9-2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 6 a et c de la loi du 6 juillet 1989 ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 octobre 2000), rendu en matière de référé, que la Société d'investissement et de gestion de la Caisse centrale de réassurance (SIG de CCR) propriétaire d'une résidence avec trois bâtiments composés d'appartements donnés à bail, a, après avoir avisé les locataires, installé une clôture des lieux, fermant une entrée jusqu'alors restée libre, par un système électrique, avec ouverture par digicode le jour et fermeture totale la nuit, l'accès aux immeubles étant limité à l'autre entrée comportant déjà une ouverture par digicode ou carte magnétique ; que des preneurs ayant fait connaître à la bailleresse que pour des motifs religieux ils ne pouvaient utiliser pendant le sabbat et les fêtes ces systèmes de fermeture, l'ont assignée aux fins de la faire condamner à poser une serrure mécanique à l'entrée de la résidence et à leur remettre des clés pour y accéder ainsi qu'au sas de leur immeuble, équipé lui aussi d'un digicode, avec une serrure mécanique inutilisée ;
Attendu que pour accueillir la demande, l'arrêt retient qu'au regard de la liberté de culte garantie par la Constitution et des textes supranationaux, le fait pour la bailleresse de refuser l'installation, au moins pour l'un des accès à la résidence d'une serrure mécanique en plus du système électrique et de remettre des clés aux résidents qui en font la demande, leur cause un trouble manifestement illicite ; que les conventions doivent être exécutées de bonne foi, la pose d'une serrure supplémentaire et la confection de clés n'altérant pas l'équilibre du contrat ;
Qu'en statuant ainsi, alors que les pratiques dictées par les convictions religieuses des preneurs n'entrent pas, sauf convention expresse, dans le champ contractuel du bail et ne font naître à la charge du bailleur aucune obligation spécifique, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 27 octobre 2000, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne les défendeurs aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne les défendeurs, ensemble, à payer à la société SIG de CCR la somme de 1 900 euros et rejette la demande des défendeurs ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit décembre deux mille deux.