SOC.
SÉCURITÉ SOCIALEC.F
COUR DE CASSATION
Audience publique du 12 décembre 2002
Rejet
M. OLLIER, conseiller le plus ancien faisant fonctions de président
Pourvoi n° W 01-03.243
Arrêt n° 3834 F D
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant
Sur le pourvoi formé par la société Carnaud Metalbox, société anonyme, dont le siège est Paris ,
en cassation d'un arrêt rendu le 25 janvier 2001 par la cour d'appel de Pau (chambre sociale), au profit
1°/ de Mme Micheline Y, demeurant Borderes-Sur-Echez,
2°/ de Mme Michelle Y, épouse Y, demeurant Ablis,
3°/ de Mme Danièle Y, épouse Y, demeurant Rebais,
4°/ de Mme Christiane Y, épouse Y, demeurant Montlhéry,
5°/ de Mme Evelyne Y, épouse Y, demeurant Odos,
6°/ de la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) des Hautes-Pyrénées, dont le siège est Tarbes Cedex,
défenderesses à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Vu la communication faite au Procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 31 octobre 2002, où étaient présents M. Ollier, conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président et rapporteur, M. Dupuis, conseiller, M. Paul-Loubière, Mme Guihal-Fossier, conseillers référendaires, Mme Barrairon, avocat général, M. Richard, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Ollier, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Carnaud métalbox, de la SCP Peignot et Garreau, avocat des consorts Y, de Me Delvolvé, avocat de la CPAM des Hautes-Pyrénées, les conclusions de Mme Barrairon, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches
Attendu que Georges Y, salarié de la société Carnaud Metalbox, affecté de 1950 à 1978 au montage et au démontage des étuves d'imprimerie, et conduit à manipuler des cordons d'isolation à base d'amiante, a déclaré à la caisse primaire d'assurance maladie le 4 avril 1996 être atteint d'un mésothéliome, maladie professionnelle inscrite au tableau n° 30 ; qu'à sa déclaration était joint un certificat médical du même jour indiquant que la maladie avait été constatée en avril 1995 ; qu'il est décédé le 15 août 1996 ; que la Caisse a reconnu l'existence de la maladie professionnelle et attribué rétroactivement une rente à Georges Y, puis à sa veuve, le 28 mai 1997 ; que le 26 septembre 1997, Mme Y et ses 4 filles ont saisi la caisse primaire d'assurance maladie afin qu'elle engage la procédure de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur ; que le 26 juin 1998, elles ont saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale d'une demande d'indemnisation pour faute inexcusable ; que l'arrêt attaqué (Pau, 25 janvier 2001) a dit que l'action n'était pas prescrite, un rapport d'enquête ayant été déposé le 20 décembre 1996, a dit que le décès de Georges Y était dû à la faute inexcusable de la société, a fixé au maximum la majoration de la rente servie à la veuve, et a condamné la société à indemniser les consorts Y ;
Attendu que la société Carnaud Metalbox fait grief à la cour d'appel d'avoir dit que l'action n'était pas prescrite, alors, selon le moyen,
1°) que conformément aux articles L. 431-2, L. 461-1 et L. 461-5 du Code de la sécurité sociale, la victime doit déclarer la maladie à la Caisse primaire d'assurance maladie dans un délai de quinze jours, en y joignant une attestation de salaire et le certificat médical délivré par le médecin, et que c'est à compter de cette déclaration de maladie professionnelle que commence à courir le délai de deux ans ouvert à la victime ou à ses ayants droit pour faire reconnaître l'existence d'une faute inexcusable de l'employeur ; qu'en décidant que le point de départ de la prescription biennale était constitué par la clôture de l'enquête et que les consorts Y, bien qu'ayant agi en reconnaissance de la faute inexcusable plus de deux ans après la déclaration de maladie professionnelle par Georges Y, étaient recevables en leurs demandes, la cour d'appel a violé les dispositions précitées ;
2°) que conformément aux articles L. 442-1 et L. 442-2 du Code de la sécurité sociale, à défaut d'enquête contradictoire menée par la caisse primaire d'assurance maladie, la date de clôture de l'enquête est inopposable à l'employeur et ne saurait constituer le point de départ du délai de prescription biennale prévu par l'article L. 431-2 du Code de la sécurité sociale ; qu'en énonçant que l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur avait pour point de départ la clôture de l'enquête, et que l'employeur n'était pas en droit d'invoquer l'irrégularité de l'enquête pour faire échec au point de départ du délai de prescription biennale, la cour d'appel a violé les dispositions précitées ;
Mais attendu que l'arrêt retient à bon droit, d'une part, qu'en application de l'article L. 431-2 du Code de la sécurité sociale, dès lors que la caisse primaire d'assurance maladie a fait procéder à l'enquête prévue par l'article L. 442-1 du même Code, la date de clôture de l'enquête se substitue à celle de la première constatation médicale comme point de départ de la prescription biennale, et d'autre part, que les irrégularités dont peut être entachée l'enquête, en particulier le défaut de caractère contradictoire à l'égard de l'employeur, ne font pas obstacle à ce que sa clôture soit retenue comme point de départ de la prescription ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le second moyen
Attendu que la société fait grief à la cour d'appel d'avoir retenu l'existence d'une faute inexcusable, alors, selon le moyen, que conformément à l'article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, une indemnisation complémentaire peut être versée aux ayants droit de la victime d'une maladie professionnelle dans le cas où l'employeur a commis une faute d'une gravité exceptionnelle, dérivant d'un acte, d'une omission volontaire, de la conscience du danger qu'il devait en avoir et de l'absence de toute cause justificative, sans pour autant être intentionnelle ; que c'est seulement à l'occasion des deux décrets des 5 février 1976 et 17 août 1977 que les travaux portant sur des produits d'amiante ont été mentionnés au tableau 30 des maladies professionnelles et que des mesures particulières d'hygiène ont été imposées dans les établissements où le personnel était exposé à l'action de ces poussières ; qu'il était constant que Georges Y avait été exposé aux poussières d'amiante de 1950 à 1970 ; qu'en l'état de la législation jusqu'alors en vigueur et des connaissances scientifiques de l'époque, la société Carnaud Metalbox ne pouvait avoir conscience du risque couru par le salarié qui utilisait des cordons d'amiante pour être protégé des brûlures que pouvait occasionner un travail à proximité d'étuves de séchage ; qu'en énonçant que le silence des autorités administratives ou sanitaires ne dispensait pas l'employeur de prémunir le salarié contre un risque connu, la cour d'appel a méconnu la circonstance que l'employeur avait cherché à protéger le salarié du risque de brûlure par l'usage de cordons d'amiante, et qu'aucune autorité, fût-ce l'inspection du travail, n'avait à l'époque conscience du danger que ces cordons protecteurs pouvaient provoquer ; qu'elle a, de ce fait, violé la disposition précitée ;
Mais attendu qu'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise ; que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ;
Et attendu que les énonciations de l'arrêt caractérisent le fait, d'une part, que la société avait conscience du danger lié à l'amiante, d'autre part, qu'elle n'avait pas pris les mesures nécessaires pour en préserver son salarié ; que la cour d'appel, qui n'encourt aucun des griefs invoqués, a pu en déduire que la société Carnaud Metalbox avait commis une faute inexcusable ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Carnaud Metalbox aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Carnaud Metalbox à verser aux consorts Y la somme de 2 200 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze décembre deux mille deux.