Jurisprudence : Cass. com., 16-10-2024, n° 22-23.219, FS-B, Cassation

Cass. com., 16-10-2024, n° 22-23.219, FS-B, Cassation

A51876AD

Identifiant européen : ECLI:FR:CCASS:2024:CO00575

Identifiant Legifrance : JURITEXT000050384796

Référence

Cass. com., 16-10-2024, n° 22-23.219, FS-B, Cassation. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/112062312-cass-com-16102024-n-2223219-fsb-cassation
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Abstract


COMM.

MB


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 16 octobre 2024


Cassation sans renvoi


M. VIGNEAU, président


Arrêt n° 575 FS-B

Pourvoi n° T 22-23.219


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 16 OCTOBRE 2024


La région Nouvelle-Aquitaine, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° T 22-23.219 contre l'arrêt rendu le 27 octobre 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 7), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société SNCF gares & connexions, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ au président de l'Autorité de régulation des transports, dont le siège est [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.


Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller, les observations de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de la région Nouvelle-Aquitaine, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société SNCF gares & connexions, de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat du président de l'Autorité de régulation des transports, et l'avis de Mme Texier, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 septembre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, Mme Sabotier, Mme Tréfigny, M. Chazalette, Mme Gouarin, conseillers, M. Le Masne de Chermont, Mme Comte, Mme Bessaud, Mme Bellino, M. Regis, Mme Buquant, conseillers référendaires, Mme Texier, avocat général, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire🏛, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.


Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 octobre 2022) et les productions, le document de référence des gares de voyageurs établi par la société SNCF gares & connexions pour l'année 2020 (le DRG 2020) a, conformément à l'article L. 2133-5, II, du code des transports🏛, été soumis à l'Autorité de régulation des transports (l'ART), qui a émis un avis conforme le 28 février 2020.

2. Le 12 janvier 2021, contestant le modèle économique retenu dans le DRG 2020 pour le calcul de la redevance due en contrepartie de l'accès aux gares et aux services qui y sont rendus, la région Nouvelle-Aquitaine a, sur le fondement de l'article L. 1263-2 du code des transports🏛, saisi l'ART d'une demande de règlement de différend, aux fins de voir modifier ce document et de voir appliquer les modifications rétroactivement à compter de 2014.

3. Par sa décision n° 2021-016 du 11 février 2021 relative au différend entre la région Nouvelle-Aquitaine et la société SNCF gares & connexions, l'ART a rejeté cette demande au motif qu'un tel différend échappait à sa compétence fondée sur l'article L. 1263-2 du code des transports.

4. La région Nouvelle-Aquitaine a formé un recours contre cette décision.


Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La région Nouvelle-Aquitaine fait grief à l'arrêt de rejeter son recours contre la décision n° 2021-016 du 11 février 2021 de l'ART, alors « qu'aux termes de l'article L. 1263-2, I, 2°, du code des transports, tout candidat, tout gestionnaire d'infrastructure ou tout exploitant d'installation de service au sens du livre Ier de la deuxième partie peut saisir l'ARTd'un différend, dès lors qu'il s'estime victime d'un traitement inéquitable, d'une discrimination ou de tout autre préjudice liés à l'accès aux installations de service, y compris la fourniture et la mise en œuvre de la tarification des services de base fournis dans ces installations et des prestations complémentaires ou connexes ; que ces dispositions, interprétées à la lumière des dispositions de l'article 56, paragraphe 1, de la directive 2012/34/UE du 21 novembre 2012 établissant un espace ferroviaire unique européen, confèrent au régulateur la compétence pour connaître des différends de cette nature relatifs aux redevances auxquelles les personnes susmentionnées sont soumises pour l'accès aux installations de service, parmi lesquels ceux portant sur leur fixation ; qu'en affirmant que le législateur, en limitant la compétence du régulateur ex post aux différends portant sur la mise en œuvre de la tarification des services fournis pour l'accès aux installations de service, a entendu exclure tout pouvoir de contrôle de l'ART a posteriori sur la tarification des redevances et ainsi tenir compte de l'attribution à cette même autorité d'un pouvoir de contrôle ex ante sur la tarification des redevances dans le cadre de la procédure d'avis conforme prévue par le II de l'article L. 2133-5 du code des transports, la cour d'appel a méconnu les dispositions de l'article L. 1263-2 du même code, de l'article 56, paragraphe 1, de la directive 2012/34/UE du 21 novembre 2012, ensemble le principe de primauté du droit de l'Union européenne. »


Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1263-2, I, 1°, a), et 2°, du code des transports et 17 du décret n° 2003-194 du 7 mars 2003🏛 relatif à l'utilisation du réseau ferroviaire, dans sa rédaction issue du décret n° 2020-1820 du 29 décembre 2020🏛, interprétés à la lumière de l'article 56, paragraphe 1, de la directive 2012/34/UE du 21 novembre 2012 établissant un espace ferroviaire unique européen :

6. Selon le premier de ces textes tout candidat, tout gestionnaire d'infrastructure ou tout exploitant d'installation de service au sens du livre Ier de la deuxième partie du code des transports peut saisir l'ART d'un différend, dès lors qu'il s'estime victime d'un traitement inéquitable, d'une discrimination ou de tout autre préjudice liés, d'une part, à l'accès au réseau ferroviaire, et en particulier au sens du même livre, au contenu du document de référence du réseau, d'autre part, à l'accès aux installations de service, y compris la fourniture et la mise en œuvre de la tarification des services de base fournis dans ces installations et des prestations complémentaires ou connexes.

7. Selon le second, qui assure la transposition en droit national de l'article 27 de la directive 2012/34/UE, le document de référence du réseau comprend un chapitre relatif aux principes de tarification et aux tarifs. Ce chapitre contient des précisions appropriées concernant le système de tarification ainsi que des informations suffisantes sur les redevances d'infrastructure. A ce titre, il décrit en détail la méthode, les règles et, le cas échéant, les barèmes utilisés pour déterminer les coûts et les redevances d'infrastructure. Ce document contient également un chapitre contenant des informations sur l'accès aux installations de service mentionnées à l'article 3 du présent décret et à l'article 1er du décret n° 2012-70 du 20 janvier 2012🏛 relatif aux installations de service du réseau ferroviaire et sur la tarification de leur utilisation. Il en résulte que le document de référence des gares de voyageurs est compris dans le document de référence du réseau.

8. La Cour de justice de l'Union européenne juge qu'en appliquant le droit interne et, notamment, les dispositions d'une réglementation spécifiquement adoptée aux fins de mettre en œuvre les exigences d'une directive, la juridiction nationale est tenue d'interpréter le droit national dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive en cause pour atteindre le résultat visé par celle-ci (arrêts du 10 avril 1984, von Colson et Kamann, 14/83, point 26, et du 27 mars 2014, LCL Le Crédit Lyonnais, C 565/12, point 54).

9. Selon l'article 56, paragraphe 1, de la directive 2012/34/UE, toute entreprise ferroviaire, tout regroupement international d'entreprises ferroviaires ou une autre personne physique ou morale ou entité peut saisir l'organisme de contrôle du secteur ferroviaire institué par chaque État membre, dès lors qu'il estime être victime d'un traitement inéquitable, d'une discrimination ou de tout autre préjudice, notamment pour introduire un recours contre les décisions prises par le gestionnaire de l'infrastructure ou, le cas échéant, par l'entreprise ferroviaire ou l'exploitant d'une installation de service en ce qui concerne le document de référence du réseau dans ses versions provisoire et définitive, les critères exposés dans ce document, le système de tarification, le niveau ou la structure des redevances d'utilisation de l'infrastructure qu'il est ou pourrait être tenu d'acquitter, l'accès aux services et leur tarification.

10. L'article L. 1263-2, I, 1°, du code des transports, en tant qu'il met au nombre des différends liés à l'accès au réseau ferroviaire, ceux qui se rapportent au contenu du document de référence du réseau, fait, en raison de la teneur de ce document, entrer dans la compétence de l'ART tant les différends afférents au système de tarification que ceux afférents à sa mise en œuvre. Il en résulte qu'en conférant à l'ART, à l'article L. 2133-5 du code des transports, le pouvoir de contrôler ex ante la tarification en dehors de toute demande de règlement de différend, le législateur national n'a pas entendu priver l'ART, saisie d'un différend, du pouvoir de contrôler ex post cette même tarification. En outre, si sont seuls cités à l'article L. 1263-2, I, 2°, de ce code, au nombre des différends liés aux installations de services, les différends liés à la fourniture et à la mise en œuvre de la tarification des services de base fournis dans les installations de service et des prestations complémentaires et connexes, il se déduit de l'emploi du terme « y compris », précédant la désignation de ces deux dernières catégories de différends, que la compétence de l'ART pour connaître des différends liés aux installations de service n'est pas limitée à celles-ci.

11. Il s'ensuit que l'ART est compétente, en application de l'article L. 1263-2, I, du code des transports, pour connaître à la fois des différends relatifs à la tarification tant de l'accès au réseau ferroviaire que de l'accès aux installations de service et de ceux relatifs à la mise en œuvre de cette tarification.

12. Pour rejeter le recours de la région Nouvelle-Aquitaine contre la décision n° 2021-016 de l'ART, l'arrêt énonce qu'il se déduit du terme « mise en œuvre de la tarification » que l'article L. 1263-2, I, 2°, du code des transports limite l'intervention de celle-ci, en matière de règlement de différend, à un litige portant sur l'application du tarif et non sur le tarif lui-même, tel qu'il est prévu dans le document de référence des gares de voyageurs. Il ajoute qu'une telle interprétation littérale est confortée par l'article L. 2133-5 du code des transports qui confère à l'ART le pouvoir de contrôler ex ante la tarification, en dehors de toute demande de règlement de différend, suivant une procédure associant, à des fins consultatives, les autorités organisatrices de transports et donnant lieu à une décision susceptible de recours, et en déduit que l'article L. 1263-2 du code des transports, qui résulte de la transposition des dispositions de la directive 2012/34/UE, en ce qu'il limite le pouvoir de l'ART de statuer en matière de règlement des différends à la seule mise en œuvre de la tarification des redevances d'accès aux gares et installations de service, ne méconnaît pas les dispositions de l'article 56 de cette directive.

13. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

14. Et en l'absence de doute raisonnable quant à l'interprétation de l'article 56, paragraphe 1, de la directive 2012/34/UE, il n'y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne de la question préjudicielle suggérée par la région Nouvelle-Aquitaine.

Portée et conséquences de la cassation

15. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile🏛, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire🏛 et 627 du code de procédure civile.

16. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

17. Pour les raisons exposées ci-dessus, le différend, dont la région Nouvelle-Aquitaine a saisi l'ART, relève de la compétence de celle-ci.

18. Il convient dès lors d'annuler la décision de l'ART n° 2021-016 du 11 février 2021 et de renvoyer à cette autorité le différend qui oppose la région Nouvelle-Aquitaine à la société SNCF gares & connexions.


PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 27 octobre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Annule la décision de l'Autorité de régulation des transports n° 2021-016 du 11 février 2021 relative au différend entre la région Nouvelle-Aquitaine et la société SNCF gares & connexions ;

Renvoie à l'autorité de régulation des transports le différend opposant la région Nouvelle-Aquitaine à la société SNCF gares & connexions ;

Condamne la société SNCF gares & connexions et le président de l'Autorité de régulation des transports aux dépens, en ce compris ceux exposés devant la cour d'appel de Paris ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile🏛, rejette les demandes formées par la société SNCF gares & connexions et le président de l'Autorité de régulation des transports et condamne la société SNCF gares & connexions à payer à la région Nouvelle-Aquitaine la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du seize octobre deux mille vingt-quatre.

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