Jurisprudence : CE Contentieux, 14-10-2024, n° 471936

CE Contentieux, 14-10-2024, n° 471936

A877059P

Référence

CE Contentieux, 14-10-2024, n° 471936. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/112042480-ce-contentieux-14102024-n-471936
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Abstract

► Lorsqu'une mesure de régularisation a été notifiée au juge après un premier sursis à statuer, et qu'il apparaît, au vu des pièces du dossier, que cette mesure n'est pas de nature à régulariser le vice qui affectait l'autorisation d'urbanisme initiale, il appartient au juge d'en prononcer l'annulation.



CONSEIL D'ETAT

Statuant au contentieux

N° 471936⚖️


Séance du 27 septembre 2024

Lecture du 14 octobre 2024

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, Section du Contentieux)


Vu la procédure suivante :

La société Demeure Sainte-Croix, M. B A et Mme D C ont demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler pour excès de pouvoir les deux arrêtés du 11 mai 2017 par lesquels le préfet de Vaucluse a accordé à la société Saint-Saturnin Roussillon Ferme deux permis de construire en vue de l'édification d'une centrale photovoltaïque au sol sur des parcelles situées lieudit Sainte-Croix à Roussillon (Vaucluse) et lieudit Les Grès à Saint-Saturnin-lès-Apt (Vaucluse). Par un jugement nos 1703419, 1703421 du 4 juin 2019, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 19MA03660 du 28 décembre 2021, la cour administrative d'appel de Marseille⚖️ a, sur appel de la société Demeure Sainte-Croix et autres, sursis à statuer en application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme🏛, jusqu'à l'expiration d'un délai de huit mois pour la notification des permis de construire modificatifs régularisant les illégalités retenues par la cour. Par un deuxième arrêt n° 19MA03660 du 5 janvier 2023, la cour administrative d'appel de Marseille⚖️ a, d'une part, annulé le jugement nos 1703419, 1703421 du 4 juin 2019 du tribunal administratif de Nîmes, d'autre part, annulé les deux arrêtés précités du 11 mai 2017 et les deux arrêtés du 26 août 2022 par lesquels la préfète de Vaucluse a délivré des permis de construire modificatifs à la société Saint-Saturnin Roussillon Ferme.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, et un mémoire en réplique, enregistrés les 6 mars et 6 juin 2023 et le 20 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Saint-Saturnin Roussillon Ferme demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ces arrêts ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la société Demeure Sainte-Croix et autres ;

3°) de mettre à la charge de la société Demeure Sainte-Croix et autres la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Antoine Berger, auditeur,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de la société Saint-Saturnin Roussillon Ferme et à la SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de la société Demeure Sainte-Croix et autres ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que par deux arrêtés du 11 mai 2017, le préfet de Vaucluse a accordé à la société Saint-Saturnin Roussillon Ferme deux permis de construire en vue de l'édification d'un parc photovoltaïque sur une emprise située à cheval sur les territoires des communes de Roussillon et Saint-Saturnin-lès-Apt (Vaucluse). La société Demeure Sainte-Croix et autres ont demandé à la cour administrative d'appel de Marseille d'annuler le jugement par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de ces deux arrêtés. Par un premier arrêt du 28 décembre 2021, la cour a sursis à statuer sur ces conclusions, sur le fondement de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, afin de permettre, dans un délai de huit mois à compter de la notification de l'arrêt, de régulariser les permis de construire litigieux au regard de l'insuffisance de l'étude d'impact réalisée préalablement à la délivrance de ces deux permis, en procédant à une nouvelle saisine de l'autorité administrative de l'Etat compétente en matière d'environnement ainsi qu'en organisant une enquête publique complémentaire. Par deux arrêtés du 26 août 2022, la préfète de Vaucluse a délivré à la société Saint-Saturnin Roussillon Ferme deux permis de construire modificatifs. Par un second arrêt du 5 janvier 2023, la cour a, d'une part, annulé le jugement du 4 juin 2019 du tribunal administratif de Nîmes et, d'autre part, annulé les deux arrêtés du 11mai 2017 et les deux arrêtés du 26 août 2022.

Sur le pourvoi en tant qu'il est dirigé contre l'arrêt du 28 décembre 2021 :

2. En premier lieu, il résulte des dispositions de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme🏛 qu'il appartient, en particulier, à tout requérant qui saisit le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation d'un permis de construire, de démolir ou d'aménager, de préciser l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien. Il appartient au défendeur, s'il entend contester l'intérêt à agir du requérant, d'apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité. Il appartient ensuite au juge de l'excès de pouvoir de former sa conviction sur la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu'il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci.

3. Pour écarter la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir de la société Demeure Sainte-Croix et de M. A et Mme C, la cour a relevé que le bâtiment dont la société est propriétaire, et dans lequel résident M. A et Mme C, est situé à environ 400 mètres du projet de centrale photovoltaïque, que le projet couvre une superficie d'environ 6 hectares, que le bâtiment de la société est situé en surplomb par rapport à la centrale, et que la construction sera visible depuis la propriété. Contrairement à ce que soutient la société requérante, pour écarter la fin de non-recevoir soulevée en défense, la cour ne s'est pas fondée sur la seule circonstance que le parc était visible depuis la propriété de la société Demeure Sainte-Croix, mais a tenu compte de l'ampleur du projet et de la configuration des lieux. En déduisant de ces éléments que la construction autorisée était de nature à affecter directement les conditions de jouissance du bien détenu par la société Demeure Sainte-Croix et occupé régulièrement par M. A et Mme C, la cour, qui n'a pas dénaturé les pièces du dossier, n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce.

4. En deuxième lieu, en jugeant que les arrêtés du préfet de Vaucluse du 11 mai 2017 étaient entachés d'un vice au motif que l'étude d'impact de mai 2015 jointe au dossier d'enquête publique était insuffisante dès lors, d'une part, qu'elle ne prenait pas suffisamment en compte l'incidence des défrichements autorisés par les arrêtés du préfet de Vaucluse pour la protection contre les incendies et, d'autre part, qu'elle comportait des imprécisions sur la localisation du projet, la cour a porté sur les faits de l'espèce une appréciation souveraine exempte de dénaturation.

5. Il résulte de ce qui précède que la société Saint-Saturnin Roussillon Ferme n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 28 décembre 2021.

Sur le pourvoi en tant qu'il est dirigé contre l'arrêt du 5 janvier 2023 :

6. Aux termes de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme : " Sans préjudice de la mise en œuvre de l'article L. 600-5, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation, même après l'achèvement des travaux. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé ".

7. En premier lieu, il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux parlementaires, que lorsque le ou les vices affectant la légalité de l'autorisation d'urbanisme dont l'annulation est demandée, sont susceptibles d'être régularisés, le juge doit surseoir à statuer sur les conclusions dont il est saisi contre cette autorisation. Il invite au préalable les parties à présenter leurs observations sur la possibilité de régulariser le ou les vices affectant la légalité de l'autorisation d'urbanisme. Le juge n'est toutefois pas tenu de surseoir à statuer, d'une part, si les conditions de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme🏛 sont réunies et qu'il fait le choix d'y recourir, d'autre part, si le bénéficiaire de l'autorisation lui a indiqué qu'il ne souhaitait pas bénéficier d'une mesure de régularisation. Il en va de même lorsque le juge constate que la légalité de l'autorisation d'urbanisme prise pour assurer la régularisation de ce premier vice est elle-même affectée d'un autre vice, qui lui est propre. Il lui appartient alors de surseoir à statuer sur les conclusions dont il est saisi, en invitant au préalable les parties à présenter leurs observations sur la possibilité de régulariser le ou les vices affectant la légalité de cette nouvelle autorisation, sauf si les conditions de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme sont réunies et qu'il fait le choix d'y recourir, ou si le bénéficiaire de l'autorisation lui a indiqué qu'il ne souhaitait pas bénéficier d'une mesure de régularisation. Lorsqu'une mesure de régularisation a été notifiée au juge après un premier sursis à statuer, et qu'il apparaît, au vu des pièces du dossier, que cette mesure n'est pas de nature à régulariser le vice qui affectait l'autorisation d'urbanisme initiale, il appartient au juge d'en prononcer l'annulation, sans qu'il y ait lieu de mettre à nouveau en œuvre la procédure prévue à l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme pour la régularisation du vice considéré.

8. Il résulte de ce qui précède que la société Saint-Saturnin Roussillon Ferme n'est pas fondée à soutenir que la cour a entaché son arrêt du 5 janvier 2023 d'une erreur de droit en jugeant qu'aucune disposition légale ou règlementaire ne permet d'appliquer de manière successive l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme pour la régularisation d'un même vice affectant le permis de construire initial.

9. En deuxième lieu, dès lors qu'il ressort des énonciations non contestées de l'arrêt du 5 janvier 2023 que la cour a relevé qu'au moins l'un des vices affectant le projet n'était plus susceptible d'être régularisé, par un motif exempt d'erreur de droit ainsi qu'il a été dit aux points 7 et 8, la société Saint-Saturnin Roussillon Ferme n'est pas fondée à soutenir que la cour aurait commis une erreur de droit en s'abstenant de faire usage des pouvoirs qu'elle tenait de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme en vue de la régularisation d'un autre vice distinct qu'elle avait relevé et qui affectait les permis de construire modificatifs.

10. Il résulte de ce qui précède que la société Saint-Saturnin Roussillon Ferme n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt du 5 janvier 2023 de la cour administrative de Marseille.

11. Les conclusions du pourvoi présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances particulières de l'espèce, de mettre à la charge de la société Saint-Saturnin Roussillon Ferme la somme que demande la société Demeure Sainte-Croix et autres au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :

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Article 1er : Le pourvoi de la société Saint-Saturnin Roussillon Ferme est rejeté.

Article 2 : Les conclusions présentées par la société Demeure Sainte-Croix et autres au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Société Saint-Saturnin Roussillon Ferme, à la société Demeure Sainte-Croix, à M. B A et à Mme D C.

Copie en sera adressée à la société Reden Solar, à la commune de Saint-Saturnin-lès-Apt et à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques.

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