Jurisprudence : CA Versailles, 12e, 2, 31-01-2002, n° 99/01277

CA Versailles, 12e, 2, 31-01-2002, n° 99/01277

A3309A4C

Référence

CA Versailles, 12e, 2, 31-01-2002, n° 99/01277. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1120394-ca-versailles-12e-2-31012002-n-9901277
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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE VERSAILLES

ARRET DU 31 JANVIER 2002
Répertoire Général n° 99/01277


FAITS ET PROCÉDURE :
Par lettre d'embauche du 27 juillet 1972, Monsieur Pierre X a été engagé par la Société CIMENTS FRANCAIS et par la Société UNIBETON en qualité de directeur administratif et financier.
Lors de la délibération du 20 juin 1986, le Conseil d'Administration de la Société CIMENTS FRANCAIS nommé Monsieur Pierre X en tant que directeur général, et a désigné un comité chargé de fixer les conditions générales de sa rémunération et de sa retraite.
Le 03 juillet 1986, le Comité a adressé à Monsieur Pierre X une lettre par laquelle lui a été garanti un complément de retraite s'il ne quittait pas volontairement la société avant l'âge convenu de la retraite, soit 65 ans.
Lors de sa séance du 17 juin 1988, le Conseil d'Administration a nommé Monsieur Pierre X en qualité de Président ; par lettre du même jour, le comité, composé de Messieurs Y et Z , lui a fait savoir que lui était garanti, s'il ne quittait pas volontairement la société avant l'âge normal de la retraite, un montant minimum annuel de ressources égal à 65.000 points ANEP durant les cinq premières années de la retraite, et à 54.000 points ANEP au-delà de 70 ans, la vie durant.
Dans sa séance du 22 novembre 1991, le Conseil d'Administration a confirmé les décisions du 17 juin 1988 relatives au complément de retraite de Monsieur X .
Monsieur Pierre X a démissionné de ses fonctions de Président du Conseil d'Administration le 07 octobre 1992, suite à la cessation de son mandat de président, il a retrouvé ses fonctions de cadre supérieur; le 05 novembre 1992, il a été licencié par la Société CIMENTS FRANCAIS pour perte de confiance.
Ayant atteint l'âge de 65 ans le 23 avril 1996, il a, par lettres des 06 et 31 mai 1996, sollicité de la Société CIMENTS FRANCAIS le versement du complément de retraite.
Par lettre recommandée du 03 juin 1996, il lui a été répondu que le versement de la garantie de retraite ne lui serait pas assuré, compte tenu de l'irrégularité de la décision du Conseil d'Administration, et dès lors que ce complément de retraite ne peut se justifier par les services rendus à l'occasion de son mandat.
C'est dans ces circonstances que, par acte du 11 août 1997, Monsieur Pierre X a assigné la Société CIMENTS FRANCAIS devant le Tribunal de Commerce de NANTERRE en paiement de la retraite complémentaire pour un montant de 414457 F. (63183,56 €) au 1er mars 1997.
Par jugement du 1er décembre 1998, le Tribunal a condamné la Société CIMENTS FRANCAIS verser à Monsieur Pierre X la retraite complémentaire de 414457 F. (63183,56 €) au 1er mars 1997 à parfaire à la date du prononcé de la décision, et à exécuter son obligation née de la délibération du 22 novembre 1991.
Il l'a condamnée en outre à payer au demandeur une indemnité de 15000 F. (2286,74 €) en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La Société CIMENTS FRANCAIS interjeté appel de ce jugement.
Elle fait valoirque la condition de versement du complément de retraite à Monsieur X n'a pas été remplie, dès lors que ce dernier a quitté volontairement la société.
à la partie adverse est entachée de nullité pour n'avoir pas respecté les conditions de forme requises par l'article 110 de la loi du 24 juillet 1966 (devenu L 225-47 du Code de Commerce), lequel donne au Conseil d'Administration d'une SA une compétence exclusive pour fixer la rémunération du Président.
A cet égard, elle explique que, si des comités ad hoc peuvent proposer le montant et les modalités de la rémunération et de la retraite du président, il ne leur revient en aucun cas de déterminer cette rémunération, laquelle doit faire l'objet d'une délibération préalable expresse du Conseil d'Administration réuni en séance.
Elle relève qu'en l'occurrence, il résulte du procès-verbal du 17 juin 1988 que la rémunération de Monsieur X a été arrêtée par les deux administrateurs, Messieurs Y et Z , et non par le Conseil d'Administration, lequel n'a jamais délibéré formellement sur le montant et les modalités du complément de retraite de l'intimé.
Elle précise que le Conseil d'Administration ne s'est pas davantage prononcé, en conformité avec les dispositions de l'article 101 de la loi précitée (article L 225-38 du Code de Commerce), sur la convention intervenue entre la société et son dirigeant.
Elle observe que, dès lors qu'aucun conseil d'administration des CIMENTS FRANCAIS ne s'est prononcé sur le montant et les modalités du complément de retraite alloué à l'intimé, cette nullité n'a pu être couverte par une ratification ultérieure de la part de cet instance lors de sa séance du 22 novembre 1991.
Elle ajoute qu'en l'occurrence, les conditions de fond devant présider à l'attribution d'un complément de retraite ne sont pas davantage remplies.
A cet égard, elle explique que Monsieur X n'a nullement contribué au développement de la société appelante durant l'exercice de ses fonctions, mais tout au contraire lui a causé un grave préjudice tant financier qu'en terme d'image.
Elle prétend en outre que l'engagement de la société n'a pas de cause, puisqu'il est concomitant à la nomination de la partie adverse à ses fonctions de mandataire social.
Enfin, elle considère que les poursuites pénales dont l'intimé a fait l'objet démontrent que celui-ci n'a pas eu une attitude de constante fidélité à l'objet social.
Par voie de conséquence, elle demande à la Cour d'infirmer le jugement entrepris, de constater la nullité de l'engagement de versement d'un complément de retraite à Monsieur X , d'ordonner la suspension de l'exécution provisoire décidée par le Tribunal, et de condamner l'intimé au paiement de la somme de 50000 F. (7622,45 €) au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Monsieur Pierre X réplique que la cessation de son mandat de président du conseil d'administration a été obligée, et que son départ de la société n'a revêtu aucun caractère volontaire, tant comme mandataire social qu'en qualité de salarié.
Il souligne que l'exigence d'une délibération formelle du Conseil d'Administration, excluant que la décision relève du comité ad hoc seul, implique une proposition qui doit être portée à la connaissance des membres du Conseil, et un vote de ces derniers à la majorité requise.
Il fait valoir que ces conditions de forme ont en l'occurrence été respectées, puisqu'il résulte de la rédaction du procès-verbal de la séance du 22 novembre 1991 que le Conseil, dûment renseigné sur les propositions de la commission ad hoc, a alors délibéré puis a adopté ces propositions en connaissance de cause.
Il en déduit que, loin de couvrir une irrégularité formelle, le Conseil d'Administration du 22 novembre 1991 s'est valablement prononcé sur les propositions du comité ad hoc arrêtées en 1988.
De plus, il conteste que l'engagement de la société soit dépourvu de cause, dans la mesure o il n'y a pas eu de concomitance entre sa nomination à partir de 1.983 aux fonctions de mandataire social et l'octroi de son complément de retraite, dont il n'a été reconnu bénéficiaire que plusieurs années plus tard en vertu de la délibération susvisée.
Il estime également que, contrairement aux allégations de la partie adverse, les conditions de fond tenant aux services rendus à la société pour pouvoir prétendre à cette retraite complémentaire se trouvent en l'espèce largement remplies, dès lors que son action a contribué au développement de la Société des Ciments Français, et a été déterminante pour l'élargissement et l'internationalisation des activités de cette société.
Il ajoute que la société appelante ne saurait tenter de remettre en question son engagement en se contentant d'invoquer un prétendu manquement de sa part à la loyauté et à l'exigence de fidélité à l'intérêt social, sans en rapporter la preuve.
Pour l'ensemble de ces raisons, Monsieur X sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a condamné la Société des Ciments Français à exécuter son obligation née de la délibération du Conseil d'administration du 22 novembre 1991.
H réclame en outre une somme complémentaire de 50000 F. (7622,45 €) au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 08 novembre 2001.
MOTIFS de la DECISION :
SUR le PRETENDU CARACTERE VOLONTAIRE du DEPART :
Considérant qu'il résulte des écrits en date des 03 juillet 1986 et 17 juin 1988 qu'il était garanti un montant minimum annuel de ressources à Monsieur Pierre X , à la condition que celui-ci ne quitte pas volontairement la Société des Ciments Français avant l'âge normal de la retraite ;
Considérant qu'il est constant que Monsieur Pierre X a, par lettre du 07 octobre 1992, remis sa démission de ses fonctions de président et d'administrateur ;
Mais considérant qu'aux termes de ce courrier, l'intimé a pris soin de préciser que c'est à la demande des dirigeants de la société qu'il adressait sa lettre de démission ;
Considérant qu'au demeurant, les communiqués de presse et articles de journaux publiés à cette époque mettent suffisamment en évidence que son départ est consécutif à sa mise à l'écart par les actionnaires ;
Considérant que, d'ailleurs, la société appelante ne s'est pas méprise sur la réalité de ce départ contraint, puisqu'aux termes de ses écritures de première instance, elle évoquait le contexte dans lequel les fonctions de Président du Conseil d'Administration de Monsieur X avaient cessé en octobre 1992 ;
Considérant que la condition de départ involontaire, à laquelle se trouvait subordonné l'engagement de la Société CIMENTS FRANCAIS se trouve donc remplie.
SUR LA PRETENDUE IRREGULARITE FORMELLE DE L'ENGAGEMENT :
Considérant qu'en application de l'article L 225-47 du Code de Commerce (ancien article 110 de la loi du 24 juillet 1966), le Conseil d'Administration d'une SA est seul compétent pour fixer la rémunération du président, et notamment pour se prononcer sur l'octroi à ce dernier d'un complément de retraite ayant pour contrepartie des services particuliers rendus pendant l'exercice de ses fonctions ;
Considérant qu'il est constant que la rémunération allouée au président, notamment sous forme d'un complément de retraite, ne peut résulter de sa seule fixation par une commission ad hoc, et doit faire l'objet d'une délibération du Conseil d'administration sur son montant et ses modalités ;
Considérant que, pour conclure à la nullité de l'engagement de retraite complémentaire pris à l'égard de Monsieur X , la Société CIMENTS FRANCAIS invoque l'absence de délibération formelle de la part du Conseil d'Administration, lequel n'a pu valablement ratifier dans sa séance du 22 novembre 1991 les décisions irrégulièrement "arrêtées" le 17 juin 1988 par le comité ad hoc ;
Mais considérant que, lors de sa séance du 26 février 1988, le Conseil d'Administration a, sur proposition de son Président, Monsieur A , donné mandat à Messieurs Z et Y , administrateurs, de fixer pour les mandataires sociaux "des dispositions de garantie de retraite analogues à celles que Poliet (société majoritaire dans le capital des CIMENTS FRANCAIS) a adoptées pour ses cadres" ;
Considérant que c'est par référence explicite à ce mandat que les deux administrateurs ont, suivant décision du 17 juin 1988, déterminé les modalités de la garantie de retraite dont bénéficiera Monsieur X lorsqu'il aura atteint l'âge de 65 ans;
Considérant que, s'il s'est contenté le 17 juin 1988 de constater que Messieurs Y et Z ont arrêté les conditions de la rémunération de l'intimé, le Conseil d'Administration a, dans sa séance du 22 novembre 1991, expressément délibéré dans les termes suivants : " A cette occasion, le Conseil confirme les décisions du 17 juin 1988 proposées par les Administrateurs désignés à cet effet et concernant le complément de retraite du Président Pierre X , et du Président d'Honneur, Bernard A " ;
Considérant que, dès lors, il apparaît qu'au-delà de l'imprécision de la terminologie utilisée dans ces divers documents, le Conseil d'Administration s'est, le 22 novembre 1991, régulièrement prononcé sur la garantie de retraite octroyée à son Président en donnant leur plein effet aux propositions faites par le comité ad hoc désigné à cette fin le 26 février 1988 ;
Considérant qu'au demeurant, en confirmant ces propositions, les administrateurs ont nécessairement délibéré sur le montant et sur les modalités du complément de retraite tels que précisés dans les "décisions" du comité en date du 17 juin 1988 ;
Considérant qu'au surplus, en acceptant en novembre 1991 d'octroyer un avantage financier ne devant prendre effet qu'à compter d'avril 1996, date à laquelle Monsieur X a atteint l'âge de la retraite, le Conseil n'a pas ratifié "a posteriori" les décisions qui auraient été irrégulièrement prises trois années plus tôt par les deux administrateurs dûment mandatés par la délibération du 26 février 1988 ;
Considérant qu'il suit de là que, ainsi que l'ont énoncé les premiers juges, l'engagement de versement d'un complément de retraite, en tant qu'il procède d'une délibération du Conseil d'Administration, n'est entaché d'aucune irrégularité formelle.
SUR LES PRETENDUES IRREGULARITES DE FOND :
Considérant qu'il est admis que l'avantage consenti doit avoir pour contrepartie des services particuliers rendus à la société par le mandataire social pendant l'exercice de ses fonctions ;
Considérant que la société appelante observe justement que cette condition n'est remplie que si les services ont été rendus par le dirigeant au titre de son mandat social antérieurement à la décision d'allocation d'une retraite complémentaire ;
Mais considérant que tel est le cas en l'occurrence, dès lors qu'il vient d'être indiqué que la décision d'octroi d'une retraite complémentaire à Monsieur Pierre X n'est intervenue que suivant délibération du Conseil d'Administration du 22 novembre 1991, donc plusieurs années après sa désignation en tant que directeur général-adjoint en 1983, directeur général le 20 juin 1986, enfin président le 17 juin 1988 ;
Considérant qu'il n'y a donc pas eu de concomitance entre la nomination de l'intimé aux fonctions de mandataire social et la délibération qui lui a accordé le complément de retraite litigieux ;
Considérant qu'au soutien de sa contestation de la régularité au fond de son engagement de garantie de ressources, la Société CIMENTS FRANCAIS invoque tout à la fois le déficit d'image qui a résulté pour elle des multiples infractions reprochées à Monsieur X et ayant entraîné à deux reprises sa mise en examen, et le préjudice financier lié à la nécessité pour elle de payer le prix des opérations occultes menées par son ancien dirigeant ;
Mais considérant qu'à la date du prononcé de l'arrêt, la Cour n'a pas connaissance que les faits imputés à l'intimé ont reçu une qualification pénale ayant justifié sa condamnation des chefs des poursuites dirigées contre lui ;
Considérant qu'il n'est pas davantage démontré que l'option alors prise par ce dirigeant en faveur d'importants investissements industriels et d'une diversification à l'échelle internationale des produits des CIMENTS FRANCAIS se serait révélée contraire aux intérêts commerciaux et financiers à moyen et long terme de la société ;
Considérant qu'il y a donc lieu de conclure que c'est en pleine connaissance de la qualité des fonctions assumées par son président que le Conseil d'Administration lui a, dans sa séance du 22 novembre 1991, consenti le complément de retraite dont il sollicite le bénéfice dans le cadre de la présente procédure ;
Considérant qu'au surplus, rien n'autorise à déduire des éléments de l'espèce que Monsieur X aurait, du temps de sa présidence, manqué à son obligation de loyauté ainsi qu'à une constante fidélité à l'intérêt social ;
Considérant qu'il suit de là que l'obligation alors contractée par la Société des Ciments Français, postérieure de plusieurs années à la désignation de l'intimé en tant que dirigeant social, trouve sa cause dans les services particuliers rendus par lui en cette qualité ;
Considérant qu'au demeurant, force est de constater qu'aucune délibération n'est intervenue durant la période comprise entre la date du départ de l'intimé en 1992 et l'ouverture de ses droits en 1996, remettant en cause l'avantage qui lui avait antérieurement consenti en novembre 1991 ;
Considérant que, dans la mesure o aucune irrégularité n'affecte l'engagement souscrit en faveur de Monsieur X , le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a condamné la Société CIMENTS FRANCAIS exécuter son obligation née de la délibération du 22 novembre 1991.
SUR LES DEMANDES ANNEXES :
Considérant que l'équité commande d'allouer à Monsieur X une indemnité complémentaire de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Considérant qu'il n'est toutefois pas inéquitable que la société appelante conserve la charge des frais non compris dans les dépens par elle exposés dans le cadre de cette instance ;
Considérant que la Société CIMENTS FRANCAIS qui succombe dans l'exercice de son recours, doit être condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS
LA COUR, STATUANT PUBLIQUEMENT, CONTRADICTOIREMENT ET EN DERNIER RESSORT,
DECLARE RECEVABLE L'APPEL INTERJETE PAR LA SA CIMENTS FRANCAIS LE DIT MAL FONDE ;
CONFIRME EN TOUTES SES DISPOSITIONS LE JUGEMENT DEFERE ;
Y AJOUTANT :
CONDAMNE LA SA CIMENTS FRANCAIS PAYER A MONSIEUR PIERRE X LA SOMME COMPLEMENTAIRE DE 2.000 EUROS SUR LE FONDEMENT DE L'ARTICLE 700 DU NOUVEAU CODE DE PROCEDURE CIVILE ;
CONDAMNE LA SA CIMENTS FRANCAIS AUX DEPENS D'APPEL, ET AUTORISE LA SCP JULLIEN-LECHARNY-ROL SOCIETE D' AVOUES, A RECOUVRER DIRECTEMENT LA PART LA CONCERNANT, CONFORMEMENT A CE QUI EST PRESCRIT PAR L'ARTICLE 699 DU NOUVEAU CODE DE PROCEDURE CIVILE.

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