Jurisprudence : TA Nice, du 20-09-2024, n° 2404905


Références

Tribunal Administratif de Nice

N° 2404905


lecture du 20 septembre 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 4 septembre 2024, la Société lantosquoise de bâtiment et de travaux publics (SLPBTP) agissant en qualité de mandataire du groupement SLBTP Venturi et Cachat et Fils, représentée par la Scp Assus-Juttner, demande au juge des référés statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative🏛 :

1°) d'annuler la décision du 21 août 2024 notifiée le 26 août 2024 par laquelle la Métropole Nice Côte d'Azur (MNCA) a décidé d'exclure le groupement SLBTP CACHAT VENTURI de la procédure de passation du marché n°23N01169, lot N°01 ;

2°) d'annuler la procédure de passation du marché n°23N01169, lot N°01 ;

3°) d'enjoindre à la MNCA de reprendre la passation au stade de l'examen des candidatures sans l'exclure ;

4°) de mettre à la charge de la MNCA la somme de 5 000 euros en application de l'article L.761-1 du Code de justice administrative🏛 ;

Elle soutient que :

- le recours de la société SLBTP en qualité de mandataire du groupement formé avec les sociétés CACHAT ET FILS et VENTURI est recevable ;

- le groupement dont elle est mandataire ne pouvait être régulièrement évincé de la procédure en application de l'article L. 2141-7 du code de la commande publique🏛 dès lors qu'aucun manquements graves dans l'exécution de ses précédentes obligations contractuelles ne peut lui être reproché ; que notamment la réalité d'aucun paiement indu, malfaçons, non-façons ou dommages affectant les ouvrages réalisés n'est établie ; que le rapport d'INGEROP sur lequel se fonde la MNCA est non-contradictoire et partial ; aucune sanction pénale ou résiliation n'a été prise à son encontre ;

- qu'il est de jurisprudence constante que la commission d'appel d'offres ne peut se fonder uniquement sur les seuls manquements allégués d'une entreprise dans l'exécution de précédents marchés, sans rechercher si d'autres éléments du dossier de candidature de la société permettent à celle-ci de justifier de telles garanties ; qu'en ne respectant pas ce principe la MNCA a imposé des conditions de participation illégales à l'appel d'offres ;

- que la fiabilité et le professionnalisme de SLBTP ont été démontrés à la MNCA qui fait montre de mauvaise foi ;

- que la décision de rejet de son offre du 21 août 2024, ne fait pas mention de l'attributaire du marché public litigieux ce qui est une méconnaissance du principe de l'égalité de traitement des candidats ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 septembre 2024, la Métropole Nice Côte d'Azur conclut au rejet de la requête et à la condamnation de la société requérante à lui verser ma somme de 5 000 euros en application de l'article L.761-1 du Code de justice administrative

La Métropole Nice Côte d'Azur soutient que :

- le tribunal a déjà statué sur une espèce similaire et rejeté la requête par une ordonnance n°2401419 du 16 avril 2024 ;

- le juge du référé précontractuel exerce un contrôle restreint à l'erreur manifeste d'appréciation sur l'éviction d'un candidat sur le fondement de l'impossibilité de candidater prévue par l'article L.2141-7 du code la commande publique ;

-l'éviction contestée est régulière du fait de l'absence de justification suffisante de la fiabilité du groupement ;

- l'ensemble des rapports d'experts extérieurs confirme l'existence de pratiques administratives et contractuelles irrégulières de la part du groupement et de désordres affectant possiblement la pérennité des ouvrages du fait d'erreurs de conception et de construction (défaut d'altimétrie, bétonnage insuffisant, blocométrie imparfaite) ;

- le moyen tenant à la rupture d'égalité de traitement des candidats est inopérant et mal fondé ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le code de justice administrative ;

- la décision de la présidente du tribunal désignant M. Soli, vice-président, pour statuer ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique tenue en présence de Mme Antoine, greffier d'audience, M. Soli a lu son rapport et entendu :

- les observations de Me Rabhi, représentant la société lantosquoise de bâtiment et de travaux publics et de Me Letellier, représentant la métropole Nice Côte d'Azur.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis de publicité du 19 février 2024, la métropole Nice Côte d'Azur (MNCA) a lancé une procédure d'appel d'offre en vue de la conclusion d'un marché de travaux ayant pour objet l'aménagement de la place général de Gaulle et de la place des allées. Le groupement momentané d'entreprises solidaires constitué de la société lantosquoise de bâtiment et de travaux publics, de la société Venturi et de la société Cachat et fils, a présenté sa candidature pour le lot n°1 " VRD " de ce marché. Par un courrier du 18 juin 2024, la métropole Nice Côte d'Azur a invité les membres de ce groupement, en application de l'article L. 2141-11 du code de la commande publique🏛, à apporter des justifications quant à sa fiabilité pour l'exécution du marché objet de sa candidature. Le groupement a répondu à cette invitation par un courrier du 11 juillet 2024. Par une décision du 21 août 2024, la métropole Nice Côte d'Azur a informé la requérante de ce que sa candidature n'était pas admise. Par la présente requête, la société lantosquoise de bâtiment et de travaux publics demande au juge des référés d'annuler cette décision, d'annuler la procédure de sélection des offres et d'ordonner sa réintégration dans la procédure de passation.

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat. " L'article L. 551-2 du même code dispose que : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations ".

3. Il appartient au juge administratif, saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l'administration. En vertu de cet article, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient, dès lors, au juge des référés précontractuels de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.

4. Aux termes de l'article L. 2141-8 du code de la commande publique🏛 : " L'acheteur peut exclure de la procédure de passation d'un marché les personnes qui, au cours des trois années précédentes, ont dû verser des dommages et intérêts, ont été sanctionnées par une résiliation ou ont fait l'objet d'une sanction comparable du fait d'un manquement grave ou persistant à leurs obligations contractuelles lors de l'exécution d'un contrat de la commande publique antérieur." Aux termes de l'article L. 2141-11 du même code : " L'acheteur qui envisage d'exclure une personne en application de la présente section doit la mettre à même de fournir des preuves qu'elle a pris des mesures de nature à démontrer sa fiabilité et, le cas échéant, que sa participation à la procédure de passation du marché n'est pas susceptible de porter atteinte à l'égalité de traitement des candidats. / La personne établit notamment qu'elle a, le cas échéant, entrepris de verser une indemnité en réparation des manquements précédemment énoncés, qu'elle a clarifié totalement les faits et les circonstances en collaborant activement avec les autorités chargées de l'enquête et qu'elle a pris des mesures concrètes propres à régulariser sa situation et à prévenir toute nouvelle situation mentionnée aux articles L. 2141-7 à L. 2141-10. Ces mesures sont évaluées en tenant compte de la gravité et des circonstances particulières attachées à ces situations. / Si l'acheteur estime que ces preuves sont suffisantes, la personne concernée n'est pas exclue de la procédure de passation de marché ".

5. La mise en œuvre de ces dispositions, qui ont pour objet de permettre aux acheteurs publics d'apprécier l'intégrité et la fiabilité de chacun des opérateurs économiques qui participe à une procédure de passation d'un marché public, implique, en principe que le candidat dont l'éviction est prononcée ait fait l'objet de sanctions ou condamnations au titre des manquements commis. Toutefois, en l'espèce, les éléments suggérant la commission de manquements graves et répétés n'ont été portés à la connaissance de l'administration qu'après que le marché au titre duquel ils ont été relevés ait pris fin, s'opposant ainsi à toute résiliation ou sanction. Il n'est par ailleurs pas contesté que les faits ont fait l'objet d'un signalement au procureur de la république, qui a engagé une procédure, toujours en cours. En pareille circonstance, les dispositions de l'article L.2141-7 du code de la commande publique doivent être interprétées comme permettant aux acheteurs d'exclure de la procédure de passation d'un marché public une personne qui peut être regardée, au vu d'éléments précis et circonstanciés, comme ayant commis, depuis moins de trois ans, des manquements graves ou persistants dans l'exécution d'un précédent marché et qui n'a pas établi, en réponse à la demande que l'acheteur lui a adressée à cette fin, que son professionnalisme et sa fiabilité ne peuvent plus être mis en cause.

6. En l'espèce, le groupement d'entreprises constitué de la société lantosquoise de bâtiment et de travaux publics et des sociétés Venturi et Cachat et Fils a pris en charge, dans le cadre d'un marché à bon de commande n°NCA19N0022/lot 1, les opérations de réfection et de sécurisation de la RM94 dans le cadre d'une mission de conception et de réalisation. Le 2 octobre 2020, la tempête Alex a causé de considérables dégâts dans la vallée de la Vésubie et le groupement SLBTP, s'est vu confier en urgence, sur la base du marché précité, de nouveaux bons de commandes concernant la réparation les dégâts causés par la tempête, le rétablissement de la RM 2565, route principale pour désenclaver les villages isolés et la reconstruction de la RM89 pour le rétablissement routier de la zone du Boréon pour une somme totale de près de 16 millions d'euros hors taxe. Après le dernier bon de commande, en janvier 2023, la MNCA par des audits internes et des rapports d'expertise, a réuni des éléments faisant apparaître que des travaux auraient été facturés et payés avant leur réalisation ou en l'absence de réalisation, que les ouvrages avaient été réalisés en méconnaissance des règles de l'art ce qui compromet leur pérennité, s'agissant notamment des enrochement et bétonnage qui supportent ou sécurisent les chaussées reconstruites. Ces éléments ont conduit le président de la MNCA à saisir le procureur de la République sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale🏛. Il est constant que dans le cadre de cette procédure des gardes à vue et des mesures de saisie de comptes bancaires ont été décidées par l'autorité judiciaire.

7. Compte-tenu de ces éléments, la métropole Nice Côte d'Azur a invité le groupement requérant, par un courrier du 18 juin 2024, en application de l'article L.2141-11 du code de la commande publique, à fournir des preuves qu'il a pris des mesures de nature à démontrer sa fiabilité. Il lui appartenait dès lors de démontrer, le cas échéant, avoir entrepris de verser une indemnité en réparation des manquements commis, de clarifier totalement les faits et circonstances en collaborant activement avec les autorités chargées de l'enquête, ou de prendre des mesures concrètes propres à régulariser sa situation et à prévenir toute nouvelle situation relevant des articles L. 2141-7 à 2141-10 du code de la commande publique🏛. Par un courrier du 11 juillet 2024, la SLBTP a, en premier lieu, renvoyé la métropole à son courrier du 8 janvier 2024 de réponse à une première mise en œuvre par la MNCA de la procédure de l'article L.2141-11 aux fin d'exclusion d'une autre procédure d'appel d'offres, courrier dans lequel la société requérante contestait les expertises réalisées à la demande de la métropole par les sociétés Opteam, Ingerop et Geos et affirmait que le rapport de l'expert judiciaire Ciais attestait de l'absence de manquement de sa part ; en deuxième lieu, rappelé ses compétences reconnues en matière de génie civil ; en troisième lieu, souligné les dysfonctionnements des services de la métropole s'agissant du respect des règles de la commande publique. Toutefois, les documents produits par la société requérante ne permettent pas de contredire l'analyse circonstanciée réalisée par la métropole quant aux manquements techniques et administratifs reprochés.

8. Compte-tenu de ce qui précède, la métropole Nice Côte d'Azur a pu à bon droit estimer que le groupement n'avait pas produit d'éléments de nature à établir que son professionnalisme et sa fiabilité ne pourraient plus être remis en cause.

9. La société requérante soutient que la décision de rejet de son offre du 21 août 2024, ne fait pas mention de l'attributaire du marché public litigieux ce qui est une méconnaissance du principe de l'égalité de traitement des candidats. Ce moyen est sans effet sur la légalité de la décision de l'exclure de la procédure et doit donc être écarté. Au demeurant, il est constant qu'au 21 août 2024, la procédure d'attribution était entrée dans la phase de négociations et que l'attributaire n'était pas encore désigné.

10. Compte-tenu de ce qui précède, la requête de la société lantosquoise de bâtiment et de travaux publics ne peut qu'être rejetée, y compris ses conclusions aux fins d'injonction et au titre des frais liés à l'instance.

11. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société lantosquoise de bâtiment et de travaux publics une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

ORDONNE :

Article 1er : La requête de la société lantosquoise de bâtiment et de travaux publics est rejetée.

Article 2 : La société lantosquoise de bâtiments et de travaux publics versera à la métropole Nice Côte d'Azur une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société lantosquoise de bâtiment et de travaux publics et à la métropole Nice Côte d'Azur.

Fait à Nice, le 20 septembre 2024.

Le juge des référés,

signé

P. SOLI

La République mande et ordonne au préfet des Alpes-Maritimes en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

Pour expédition conforme,

Le greffier en chef,

Par délégation, la greffière

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