Jurisprudence : CE 2/7 ch.-r., 03-10-2024, n° 491297

CE 2/7 ch.-r., 03-10-2024, n° 491297

A158058Z

Référence

CE 2/7 ch.-r., 03-10-2024, n° 491297. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/111837441-ce-27-chr-03102024-n-491297
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Abstract

► Le preneur à bail d'un bien immobilier n'est pas au nombre des personnes auxquelles doit être notifié l'arrêté déclarant cessible une parcelle dont il est locataire.



CONSEIL D'ETAT

Statuant au contentieux

N° 491297

Séance du 25 septembre 2024

Lecture du 03 octobre 2024

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 2ème et 7ème chambres réunies)


Vu la procédure suivante :

La société Salis a demandé au tribunal administratif de Melun, à titre principal, d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 16 octobre 2020 par lequel le préfet du Val-de-Marne a déclaré cessibles au profit d'Île-de-France Mobilités les parcelles et droits réels nécessaires à la réalisation de la ligne de bus en site propre dite " Tzen 5 " sur le territoire de la commune de Vitry-sur-Seine et, à titre subsidiaire, d'annuler cet arrêté en tant qu'il a déclaré immédiatement cessible la parcelle cadastrée H 230 à Vitry-sur-Seine.

Par un jugement n° 2106311 du 21 juin 2022, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 22PA03749 du 28 novembre 2023, la cour administrative d'appel de Paris⚖️ a rejeté l'appel de la société Salis contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 29 janvier, 26 avril et 4 juillet 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Salis demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Par un mémoire distinct, enregistré le 4 juillet 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958🏛, la société Salis demande au Conseil d'Etat, à l'appui de son pourvoi, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique en tant qu'elles ne prévoient pas la notification de l'arrêté de cessibilité aux propriétaires, aux titulaires de droits réels et aux autres personnes intéressées par la procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique ni n'imposent au pouvoir réglementaire de le faire.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales🏛 ;

- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Paul Bernard, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, avocat de la société Salis ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Salis a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 16 octobre 2020 par lequel le préfet du Val-de-Marne a déclaré cessibles au profit d'Île-de-France Mobilités les parcelles et droits réels nécessaires à la réalisation de la ligne de bus en site propre dite " Tzen 5 " sur le territoire de la commune de Vitry-sur-Seine. Cette société se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 28 novembre 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre le jugement du 21 juin 2021 du tribunal administratif de Melun ayant rejeté sa demande comme tardive au regard de la date de publication de l'arrêté de cessibilité.

Sur le cadre juridique :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 221-8 du code des relations entre le public et l'administration🏛 : " Sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires ou instituant d'autres formalités préalables, une décision individuelle expresse est opposable à la personne qui en fait l'objet au moment où elle est notifiée ". Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative🏛 : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 131-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique🏛, relatif à l'enquête parcellaire : " Les règles relatives à la recherche des propriétaires et des titulaires de droits réels concernés par l'expropriation sont fixées par décret. " Aux termes du premier alinéa de l'article L. 132-1 du même code🏛, relatif à la cessibilité : " L'autorité compétente déclare cessibles les parcelles ou les droits réels immobiliers dont l'expropriation est nécessaire à la réalisation de l'opération d'utilité publique. " En vertu du premier alinéa de l'article R. 132-1 de ce code🏛 : " () le préfet du département où sont situées les propriétés ou parties de propriétés dont la cession est nécessaire les déclare cessibles, par arrêté ". Selon l'article R. 132-2 de ce code🏛 : " Les propriétés déclarées cessibles sont désignées conformément aux prescriptions de l'article 7 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955🏛 portant réforme de la publicité foncière. L'identité des propriétaires est précisée conformément aux prescriptions du premier alinéa de l'article 5 ou du premier alinéa de l'article 6 de ce décret () ".

4. Si le preneur à bail d'un bien immobilier, titulaire de droits personnels à ce titre, justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour contester devant le juge de l'excès de pouvoir la légalité d'un arrêté déclarant cessible une parcelle dont il est locataire, il n'est pas, à la différence du propriétaire de la parcelle, au nombre des personnes destinataires de cet arrêté auxquelles il doit être notifié. Par suite, la publication régulière d'un tel arrêté a pour effet de faire courir le délai de recours contentieux à son encontre.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

5. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé () à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat () ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

6. Pour contester la tardiveté de sa demande présentée devant le tribunal administratif de Melun au regard de la date de publication de l'arrêté déclarant cessible la parcelle qu'elle occupe en vertu d'un bail commercial, la société Salis soutient que les dispositions du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, en particulier celles des articles L. 1, L. 131-1 et L. 132-1 relatives respectivement à la définition de l'expropriation, à l'enquête parcellaire et à la cessibilité, sont entachées d'incompétence négative dans des conditions portant atteinte au principe d'égalité devant la loi, au principe du droit à un procès équitable et du droit à un recours effectif et au principe du droit de propriété, respectivement garantis par les articles 6, 16 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en ce qu'elles ne prévoient pas la notification de l'arrêté de cessibilité aux propriétaires, aux titulaires de droits réels et aux autres personnes intéressées par la procédure d'expropriation ni n'imposent au pouvoir réglementaire de le faire.

7. Toutefois, un tel grief ne saurait, en tout état de cause, être utilement invoqué contre les dispositions contestées alors que la fixation des modalités de publicité d'un acte administratif tel un arrêté de cessibilité et des règles relatives au délai de recours à l'encontre d'un tel acte, qui ne relève d'aucun principe ou règle dont la détermination incombe à la loi en vertu de l'article 34 de la Constitution, revêt un caractère réglementaire.

8. Il en résulte qu'il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.

Sur les autres moyens du pourvoi :

9. Aux termes de l'article L. 822-1 du code de justice administrative🏛 : " Le pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux ".

10. Pour demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque, la société Salis soutient que la cour administrative d'appel de Paris a :

- commis une erreur de droit et inexactement qualifié les faits de l'espèce en retenant que l'arrêté de cessibilité, n'avait pas à lui être notifié en sa qualité de locataire et titulaire d'un bail commercial portant sur l'une des parcelles faisant l'objet d'un projet d'expropriation et que, par suite, le délai de recours avait régulièrement commencé de courir, à son égard, à compter de la publication de cet arrêté ;

- commis une erreur de droit, au regard du droit au recours effectif garanti par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en jugeant que la notification de l'arrêté de cessibilité ne devait être adressée qu'aux propriétaires.

11. Aucun de ces moyens n'est de nature à permettre l'admission du pourvoi.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Salis.

Article 2 : Le pourvoi de la société Salis n'est pas admis.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Salis et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre, à l'établissement public Île-de-France Mobilités et à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques.

Délibéré à l'issue de la séance du 25 septembre 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; Mme Anne Courrèges, M. Géraud Sajust de Bergues, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseillers d'Etat et M. Paul Bernard, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 3 octobre 2024.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

Le rapporteur :

Signé : M. Paul Bernard

La secrétaire :

Signé : Mme Eliane Evrard

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