Jurisprudence : Cass. civ. 2, 03-10-2024, n° 22-14.853, F-B, Rejet

Cass. civ. 2, 03-10-2024, n° 22-14.853, F-B, Rejet

A935857Q

Référence

Cass. civ. 2, 03-10-2024, n° 22-14.853, F-B, Rejet. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/111791880-cass-civ-2-03102024-n-2214853-fb-rejet
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Abstract

► Les parties ne peuvent écarter les règles de compétence territoriale des juridictions prud'homales au motif que la surcharge alléguée de la juridiction au moment de sa saisine les priverait de la possibilité d'obtenir une décision dans un délai raisonnable.


CIV. 2

FD


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 3 octobre 2024


Rejet


Mme MARTINEL, président


Arrêt n° 868 F-B

Pourvoi n° Z 22-14.853


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 3 OCTOBRE 2024


Mme [I] [M], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Z 22-14.853 contre l'arrêt rendu le 18 novembre 2021 par la cour d'appel de Versailles (6e chambre), dans le litige l'opposant à la société Carglass, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.


Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bohnert, conseiller référendaire, les observations de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme [M], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Carglass, et l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 juillet 2024 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Bohnert, conseiller référendaire rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, et Mme Cathala, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.


Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 18 novembre 2021), Mme [M] a été engagée par la société Carglass (la société), dont le siège social est situé à Courbevoie, en qualité d'ingénieur systèmes à compter du 10 février 2014.

2. La société lui a notifié son licenciement pour faute simple le 21 décembre 2018.

3. Le 22 janvier 2019, elle a saisi le conseil de prud'hommes de Versailles de diverses demandes relatives à la rupture de son contrat de travail.


Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. Mme [M] fait grief à l'arrêt de dire que le conseil de prud'hommes de Versailles est incompétent territorialement, que la cause relevait du conseil de prud'hommes de Nanterre et que le dossier sera transmis par le greffe au conseil de prud'hommes de Nanterre, alors :

« 1°/ que constitue un déni de justice le fait de rendre un jugement dans un délai anormalement long ; que le respect du délai raisonnable de jugement doit être apprécié au stade de la saisine de la juridiction dès lors que la surcharge avérée de celle-ci permet de déterminer ab initio et précisément le délai de jugement prévisible ; que pour décider que le conseil de prud'hommes de Versailles était incompétent et que la cause relevait du conseil de prud'hommes de Nanterre, la cour d'appel a retenu que les dispositions de l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme🏛 ne permettaient pas d'écarter les dispositions d'ordre public du code du travail fixant les règles de compétence territoriale des juridictions prud'homales alors même qu'il ne peut être retenu l'existence d'un délai déraisonnable au stade de la saisine du conseil, les délais de traitement des procédures dépendant de nombreux paramètres évolutifs ; qu'en statuant ainsi, quand elle constatait que l'exposante faisait valoir que le conseil de prud'hommes de Nanterre, surchargé, prononçait ses décisions plus de trois ans après sa saisine, que les dossiers de l'encadrement étaient prévus pour être examinés en 2024 et que le départage durait 24 mois avant d'être audiencé, de sorte que le respect du délai raisonnable de jugement garantie par l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme imposait d'écarter l'application des dispositions du code du travail fixant la compétence territoriale, la cour d'appel a violé, par refus d'application, l'article 6 § 1e de la Convention européenne des droits de l'homme ;

2°/ que les Etats adhérents à la Convention sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l'homme sans attendre d'être attaqué devant elle ni d'avoir modifié leur législation ; que selon la jurisprudence la Cour européenne des droits de l'homme, « les conflits du travail portant sur des points qui sont d'une importance capitale pour la situation professionnelle d'une personne, doivent être résolus avec une célérité particulière » (CEDH 8 juin 2004, [X] c/ France, req n° 65766/01 ; 8 avril 2003, [T] c. France, req. n° 50331/99, 14 novembre 2000, [P] c/ France, req. n° 38437-97) ; qu'en imposant la saisine de la juridiction territorialement compétente au motif qu'il ne peut être retenu l'existence d'un délai déraisonnable au stade de la saisine du conseil, les délais de traitement des procédures dépendant de nombreux paramètres évolutifs, quand il est avéré que les dysfonctionnements structurels caractérisés du conseil de prud'homme de Nanterre font obstacle au jugement de l'affaire de l'exposante avec la célérité particulière exigée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, la cour d'appel a violé, par refus d'application, l'article 6 § 1e de la Convention européenne des droits de l'homme ;

3°/ qu'en retenant que l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme ne permet pas d'écarter les dispositions d'ordre public fixant les règles de compétence territoriale en matière prud'homale, tout en constatant, par motif adopté, que plusieurs dizaines de dossiers de Nanterre avaient été déportés dans les autres conseils de prud'hommes du ressort de la cour de Versailles afin de rétablir une bonne administration de la justice du travail, ce dont il se déduit que la nécessité de respecter un délai raisonnable de jugement permet d'écarter l'application des dispositions de l'article R 1412-1 du code du travail🏛, la cour d'appel a violé ce texte, ensemble l'article 6 § 1e de la Convention européenne des droits de l'homme. »


Réponse de la Cour

5. Selon l'article 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.

6. Aux termes de l'article R. 1412-1 du code du travail, l'employeur et le salarié portent les différends et litiges devant le conseil de prud'hommes territorialement compétent. Ce conseil est soit celui dans le ressort duquel est situé l'établissement où est accompli le travail, soit, lorsque le travail est accompli à domicile ou en dehors de toute entreprise ou établissement, celui dans le ressort duquel est situé le domicile du salarié. Le salarié peut également saisir le conseil de prud'hommes du lieu où l'engagement a été contracté ou celui du lieu où l'employeur est établi. Cette compétence est exclusive et d'ordre public.

7. Il en résulte que les parties ne peuvent écarter les règles de compétence territoriale des juridictions prud'homales au motif que la surcharge alléguée de la juridiction au moment de sa saisine les priverait de la possibilité d'obtenir une décision dans un délai raisonnable.

8. Ayant, d'abord, constaté que la salariée avait exécuté ses fonctions exclusivement au siège de l'entreprise situé à Courbevoie, qui dépend du conseil de prud'hommes de Nanterre, l'engagement ayant de surcroît été contracté à ce même endroit, et retenu ensuite que les dispositions de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ne permettaient pas d'écarter les dispositions d'ordre public du code du travail fixant les règles de compétence territoriale des juridictions prud'homales, la cour d'appel en a exactement déduit que le conseil de prud'hommes de Versailles s'était à juste titre déclaré incompétent au profit du conseil de prud'hommes de Nanterre.

9. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.


PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mme [M] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile🏛, rejette la demande formée par Mme [M] et la condamne à payer à la société Carglass la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé et signé par le président en l'audience publique du trois octobre deux mille vingt-quatre et signé par Mme Thomas, greffier de chambre qui a assisté au prononcé de l'arrêt.

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