Jurisprudence : CE 1/4 ch.-r., 01-10-2024, n° 490251

CE 1/4 ch.-r., 01-10-2024, n° 490251

A810857G

Référence

CE 1/4 ch.-r., 01-10-2024, n° 490251. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/111774760-ce-14-chr-01102024-n-490251
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Abstract

► Une demande présentée par un sans-abri tendant à ce qu'il soit enjoint à l'administration d'assurer son hébergement d'urgence ne relève pas de l'office du juge du référé " mesures utiles ".



CONSEIL D'ETAT

Statuant au contentieux

N° 490251⚖️


Séance du 18 septembre 2024

Lecture du 01 octobre 2024

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 1ère et 4ème chambres réunies)


Vu la procédure suivante :

Mme B A a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Marseille, sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative🏛, d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de la prendre en charge, avec son fils, dans le cadre du dispositif d'urgence ou du dispositif national d'accueil, dans le délai de quarante-huit heures, sous astreinte, et d'ordonner son placement et celui de son fils dans un centre d'hébergement dans le délai de dix jours, sous astreinte. Par une ordonnance n° 2310038 du 10 novembre 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a rejeté cette demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 18 décembre 2023 et 3 janvier 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 400 euros à verser au Cabinet François Pinet, son avocat, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative🏛 et 37 de la loi du 10 juillet 1991🏛.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Ariane Piana-Rogez, auditrice,

- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, au cabinet François Pinet, avocat de Mme A ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif que Mme A, ressortissante nigériane née en 1994, qui a demandé le bénéfice de l'asile en 2019 et a donné naissance à un enfant en février 2020, a vu sa demande d'asile définitivement rejetée par la Cour nationale du droit d'asile le 13 juillet 2022, puis a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français le 20 octobre 2022. Par une ordonnance du 17 octobre 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative🏛, a rejeté la demande de Mme A tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de lui assurer, ainsi qu'à son enfant, un hébergement d'urgence approprié jusqu'à son orientation vers une structure d'hébergement stable, ou de soins, ou vers un logement adapté à leur situation, dans le délai de vingt-quatre heures. Par une ordonnance du 10 novembre 2023, contre laquelle Mme A se pourvoit en cassation, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, saisi sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, a rejeté sa demande tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de la prendre en charge, avec son fils, dans le cadre du dispositif d'urgence ou du dispositif national d'accueil, dans le délai de quarante-huit heures, sous astreinte, et à ce que son placement et celui de son fils dans un centre d'hébergement soit ordonné dans le délai de dix jours, sous astreinte.

2. Aux termes de l'article L. 521-3 du code de justice administrative : " En cas d'urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l'absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative ". Aux termes de l'article L. 5 du même code🏛 : " L'instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l'urgence ". Aux termes de l'article L. 522-1 de ce code🏛 : " Le juge des référés statue au terme d'une procédure contradictoire écrite ou orale. / Lorsqu'il lui est demandé de prendre les mesures visées aux articles L. 521-1 et L. 521-2, de les modifier ou d'y mettre fin, il informe les parties sans délai de la date et de l'heure de l'audience publique () ". Il résulte de ces dispositions que le juge saisi sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, s'il n'est pas tenu de compléter l'instruction écrite par la tenue d'une audience, doit s'assurer du caractère contradictoire de la procédure, selon des modalités adaptées à l'urgence.

3. Il ressort des pièces du dossier du juge des référés que le greffe du tribunal administratif de Marseille a communiqué, le 6 novembre 2023, le mémoire en défense produit par le préfet des Bouches-du-Rhône, en impartissant à Mme A un délai de cinq jours pour produire, le cas échéant, ses observations en réplique. En statuant par ordonnance dès le 10 novembre 2023, date à laquelle le délai imparti à Mme A pour produire un éventuel mémoire en réplique n'était pas expiré, sans attendre une telle production ou l'expiration du délai ni tenir une audience, le juge des référés du tribunal administratif a méconnu le caractère contradictoire de la procédure. Il suit de là que l'ordonnance attaquée, rendue à l'issue d'une procédure irrégulière, doit, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, être annulée.

4. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative🏛.

5. D'une part, saisi sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, le juge des référés peut prescrire, à des fins conservatoires ou à titre provisoire, toutes mesures que l'urgence justifie, notamment sous forme d'injonctions adressées à l'administration, à la condition que ces mesures soient utiles, ne se heurtent à aucune contestation sérieuse et ne fassent obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative, même celle refusant la mesure demandée, à moins qu'il ne s'agisse de prévenir un péril grave. En raison du caractère subsidiaire du référé régi par l'article L. 521-3 du code de justice administrative, le juge saisi sur ce fondement ne peut prescrire les mesures qui lui sont demandées lorsque leurs effets pourraient être obtenus par les procédures de référé régies par les articles L. 521-1 et L. 521-2 du même code🏛.

6. D'autre part, l'article L. 345-2 du code de l'action sociale et des familles🏛 prévoit que, dans chaque département, est mis en place, sous l'autorité du représentant de l'Etat, " un dispositif de veille sociale chargé d'accueillir les personnes sans abri ou en détresse () ". L'article L. 345-2-2 du même code dispose que : " Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d'hébergement d'urgence () ". Aux termes de l'article L. 345-2-3 de ce code🏛 : " Toute personne accueillie dans une structure d'hébergement d'urgence doit pouvoir y bénéficier d'un accompagnement personnalisé et y demeurer, dès lors qu'elle le souhaite, jusqu'à ce qu'une orientation lui soit proposée () ".

7. Il appartient aux autorités de l'Etat, sur le fondement des dispositions du code de l'action sociale et des familles qui viennent d'être citées, de mettre en œuvre le droit à l'hébergement d'urgence reconnu par la loi à toute personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, psychique ou sociale. Une carence caractérisée dans l'accomplissement de cette mission peut faire apparaître, pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour la personne intéressée. Il incombe au juge des référés d'apprécier dans chaque cas les diligences accomplies par l'administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l'âge, de l'état de la santé et de la situation de famille de la personne intéressée. Les ressortissants étrangers qui font l'objet d'une obligation de quitter le territoire français ou dont la demande d'asile a été définitivement rejetée et qui doivent ainsi quitter le territoire en vertu des dispositions de l'article L. 542-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile🏛 n'ayant pas vocation à bénéficier du dispositif d'hébergement d'urgence, une carence constitutive d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ne saurait être caractérisée, à l'issue de la période strictement nécessaire à la mise en œuvre de leur départ volontaire, qu'en cas de circonstances exceptionnelles. Constitue une telle circonstance, en particulier lorsque, notamment du fait de leur très jeune âge, une solution appropriée ne pourrait être trouvée dans leur prise en charge hors de leur milieu de vie habituel par le service de l'aide sociale à l'enfance, l'existence d'un risque grave pour la santé ou la sécurité d'enfants mineurs, dont l'intérêt supérieur doit être une considération primordiale dans les décisions les concernant.

8. Les articles L. 345-2 et suivants du code de l'action sociale et des familles, citées au point 6, permettent aux personnes qui en remplissent les conditions de solliciter le bénéfice du droit à l'hébergement d'urgence reconnu par la loi à toute personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, psychique ou sociale. Toute personne sans abri peut à ce titre, si elle s'y croit fondée, saisir le juge des référés, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à l'administration de prendre toutes mesures afin d'assurer son hébergement d'urgence dans les plus brefs délais.

9. Il s'ensuit que les effets des mesures demandées au juge des référés par une personne sans abri sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, tendant à ce qu'il soit enjoint à l'administration de prendre toutes mesures afin d'assurer son hébergement d'urgence dans les plus brefs délais, pourraient être obtenus par la procédure de référé régie par l'article L. 521-2 du même code. Par suite, conformément à ce qui a été dit au point 5, ces mesures ne sont pas de celles que le juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, peut ordonner, sans qu'ait d'incidence la circonstance qu'une demande similaire présentée par la même personne sur le fondement de l'article L. 521-2 du même code ait été préalablement rejetée.

10. Il résulte de ce qui précède que la demande de Mme A, présentée sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de la prendre en charge, avec son fils, dans le cadre du dispositif d'hébergement d'urgence, ne peut qu'être rejetée. Par suite, les conclusions présentées au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991🏛 ne peuvent, également, qu'être rejetées.

D E C I D E :

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Article 1er : L'ordonnance du 10 novembre 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Marseille est annulée.

Article 2 : La demande présentée par Mme A devant le juge des référés du tribunal administratif de Marseille est rejetée.

Article 3 : Les conclusions présentées au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme B A et à la ministre du logement et de la rénovation urbaine.

Délibéré à l'issue de la séance du 18 septembre 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Vincent Mazauric, M. Edouard Geffray et Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon conseillers d'Etat ; Mme Catherine Brouard Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire et Mme Ariane Piana-Rogez, auditrice-rapporteure.

Rendu le 1er octobre 2024.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

La rapporteure :

Signé : Mme Ariane Piana-Rogez

Le secrétaire :

Signé : M. Hervé Herber

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