SOC.
JL10
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 2 octobre 2024
Cassation partielle
M. SOMMER, président
Arrêt n° 985 FS-B
Pourvoi n° H 23-19.326
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 2 OCTOBRE 2024
M. [M] [T], domicilié [… …], [Localité 4], a formé le pourvoi n° H 23-19.326 contre l'arrêt rendu le 6 avril 2023 par la cour d'appel d'Angers (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société Les Trois Paroisses, société civile d'exploitation agricole, dont le siège est [Adresse 1], [Localité 3], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, cinq moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Thomas-Davost, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet François Pinet, avocat de M. [T], de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société Les Trois Paroisses, et l'avis de Mme Molina, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 4 septembre 2024 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Thomas-Davost, conseiller référendaire rapporteur, Mme Monge, conseiller doyen, Mme Aa, M. Ab, Ac Ad, Le Quellec, conseillers, Mmes Ae, Rodrigues, conseillers référendaires, Mme Molina, avocat général référendaire, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'
article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire🏛, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Angers, 6 avril 2023), M. [T] a été engagé en qualité d'ouvrier qualifié, à compter du 2 janvier 1995, avec une reprise d'ancienneté au 6 janvier 1992, par la société [N] fils l'Ebeaupin, aux droits de laquelle se trouve la société Les Trois Paroisses. Dans le dernier état de la relation contractuelle, il occupait les fonctions de chef de culture.
2. Le 28 janvier 2015, il a été élu délégué du personnel.
3. Le salarié a été licencié le 14 décembre 2018 pour inaptitude et impossibilité de reclassement, après autorisation donnée par l'administration du travail.
4. Invoquant la nullité de son licenciement, il a saisi la juridiction prud'homale le 27 janvier 2020 de demandes relatives à l'exécution et à la rupture de son contrat de travail.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes en paiement de rappels de salaire sur temps plein et pour heures supplémentaires, outre congés payés afférents, et d'une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, alors « qu'il résulte de l'
article 20, V, de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008🏛 que seuls les accords conclus en application de l'
article L. 3122-9 du code du travail🏛 dans sa rédaction alors applicable restent en vigueur, et d'autre part, qu'en l'absence d'accord collectif prévu par l'
article L. 3122-2 du code du travail🏛 issu de la
loi du 20 août 2008🏛, le
décret n° 2008-1132 du 4 novembre 2008🏛 et l'
article D. 3122-7-1 du code du travail🏛 ne donnent la possibilité à l'employeur d'organiser la durée du travail que sous forme de périodes de travail, chacune d'une durée de quatre semaines au plus ; que les dispositions de l'article 10.4 de l'accord national du 23 décembre 1981 sur la durée du travail dans les exploitations et entreprises agricoles ne comportent ni le programme indicatif précis de la répartition de la durée du travail sur l'année, ni les modalités de recours au travail temporaire, ni la définition des contreparties dues au salarié en cas de réduction du délai de prévenance de sept jours préalable à toute modification du programme indicatif ; que cet accord ne pouvant pas être regardé comme ayant été conclu en application de l'article L. 3122-9 du code du travail, il n'est pas resté en vigueur conformément à l'article 20, V, de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 au-delà de l'entrée en vigueur de cette loi ; qu'en décidant au contraire, pour débouter M. [T] de ses demandes salariales afférentes à la période du 14 décembre 2015 au 14 décembre 2018, que l'accord national du 23 décembre 1981 prévoit les modalités d'établissement du programme indicatif de modulation du temps de travail ainsi que la prise en compte et les conditions de rémunération des périodes de modulation pendant lesquelles les salariés ont été absents" et que s'il ne prévoit effectivement, ni les modalités de recours au temps de travail temporaire, ni les contreparties des changements d'horaires de travail dans un délai inférieur à sept jours ouvrés, ces éléments ne sauraient à eux seuls, être suffisants pour considérer que cet accord n'a pas été sécurisé par l'article 20 de la loi du 20 août 2008 et est inopposable à l'ensemble des salariés", la cour d'appel a violé les textes susvisés. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 20, V, de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 :
6. Selon ce texte, les accords conclus en application de l'article L. 3122-9 du code du travail dans sa rédaction antérieure à la publication de cette loi restent en vigueur.
7. Il en résulte que le maintien en vigueur de ces accords s'apprécie, notamment, au regard de la conformité de ceux-ci aux dispositions des
articles L. 3122-11, L. 3122-13 et L. 3122-14 du code du travail🏛🏛🏛, dans leur rédaction antérieure à la loi susvisée.
8. Pour débouter le salarié de ses demandes en paiement de rappels de salaire à titre d'heures supplémentaires et sur temps plein, l'arrêt retient que l'accord national du 23 décembre 1981, dans sa version applicable à la cause, prévoit les modalités d'établissement du programme indicatif de modulation du temps de travail ainsi que la prise en compte et les conditions de rémunération des périodes de modulation pendant lesquelles les salariés ont été absents. Il ajoute que si cet accord ne prévoit effectivement, ni les modalités de recours au temps de travail temporaire, ni les contreparties des changements d'horaires de travail dans un délai inférieur à sept jours ouvrés, ces éléments ne sauraient, à eux seuls, être suffisants pour considérer que l'accord n'a pas été sécurisé par l'article 20, V, de la loi du 20 août 2008 et qu'il est inopposable à l'ensemble des salariés, étant précisé que l'intéressé n'établit ni n'allègue avoir subi un préjudice du fait de ces carences.
9. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que les dispositions de l'accord national du 23 décembre 1981 « durée et aménagement du temps de travail dans les exploitations et entreprises agricoles », dans sa rédaction issue de l'avenant n° 12 du 29 mars 2000, ne comportaient ni de programme indicatif de la répartition de la durée du travail ni la définition des contreparties dues au salarié en cas de réduction du délai de prévenance de sept jours préalable à toute modification du programme indicatif, ce dont elle aurait dû déduire que ces dispositions, qui n'avaient pas été conclues en application de l'article L. 3122-9 du code du travail, ne sont pas restées en vigueur conformément à l'article 20, V, de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Sur les deuxième et troisième moyens, pris en leur première branche, réunis
Enoncé des moyens
10. Par son deuxième moyen, le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour harcèlement moral, alors « que, pour dire que M. [T] n'établissait pas l'existence de faits laissant supposer une situation de harcèlement moral, l'arrêt retient, d'une part, qu'il n'établissait pas la surcharge de travail invoquée dès lors qu'il n'établissait pas l'exécution d'heures supplémentaires impayées, d'autre part, que le défaut de réglage de la pointeuse en 2017 avait été sans conséquence pour lui dans la mesure où il n'en était pas résulté le non-paiement d'heures supplémentaires accomplies ; que dès lors, la cassation qui sera prononcée du chef du premier moyen relatif au non-paiement d'heures supplémentaires entraînera, par voie de conséquence et en application de l'
article 624 du code de procédure civile🏛, la censure de l'arrêt en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral. »
11. Par son troisième moyen, le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour discrimination, alors « que, pour dire que M. [T] n'établissait pas l'existence de faits laissant supposer une discrimination, la cour d'appel a retenu, d'une part, qu'il n'établissait pas la surcharge de travail invoquée dès lors qu'il n'établissait pas l'exécution d'heures supplémentaires impayées, d'autre part, que le défaut de réglage de la pointeuse en 2017 avait été sans conséquence pour lui dans la mesure où il n'en était pas résulté le non-paiement d'heures supplémentaires accomplies ; que dès lors, la cassation qui sera prononcée du chef du premier moyen relatif au non-paiement d'heures supplémentaires entraînera, par voie de conséquence et en application de l'article 624 du code de procédure civile, la censure de l'arrêt en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour discrimination. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 624 du code de procédure civile :
12. La cassation prononcée sur le premier moyen entraîne la cassation, par voie de conséquence, des chefs de dispositif déboutant le salarié de ses demandes en paiement de dommages-intérêts pour harcèlement moral et discrimination, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
Sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
13. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que le juge judiciaire ne peut apprécier la validité de son licenciement ni le caractère réel et sérieux de celui-ci et de déclarer sa demande en nullité du licenciement irrecevable, alors « que l'autorisation de licenciement donnée par l'inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l'origine de l'inaptitude lorsqu'il l'attribue à un manquement de l'employeur à ses obligations ; que le juge judiciaire demeure ainsi compétent pour rechercher si l'inaptitude du salarié avait pour origine un manquement de l'employeur à ses obligations consistant en un harcèlement moral ou une discrimination ; qu'en décidant au contraire qu' en l'état d'une autorisation administrative accordée à l'employeur de licencier un salarié protégé, le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, apprécier le caractère réel et sérieux des motifs retenus pour justifier le licenciement" et que c'est à tort que les premiers juges ont d'une part déclaré M. [T] recevable en sa demande de nullité du licenciement, et d'autre part ont retenu que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse", la cour d'appel a violé les
articles L. 1132-1, L. 1132-2, L. 1132-4, L. 1152-1, L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail🏛🏛🏛🏛🏛🏛. »
Réponse de la Cour
Vu la loi des 16-24 août 1790, l'
article L. 2411-5 du code du travail🏛, dans sa rédaction antérieure à l'
ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017🏛, et les
articles L. 1132-1 à L. 1132-3-3 et L. 1152-1 à L. 1152-3 du même code🏛 :
14. Il résulte de ces textes que, dans le cas où une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé est motivée par son inaptitude physique, il appartient à l'administration du travail de vérifier que l'inaptitude physique du salarié est réelle et justifie son licenciement. Il ne lui appartient pas en revanche, dans l'exercice de ce contrôle, de rechercher la cause de cette inaptitude, y compris dans le cas où la faute invoquée résulte d'un harcèlement moral ou d'une discrimination dont l'effet, selon les dispositions combinées des articles L. 1132-1 à L. 1132-3-3 et L. 1152-1 à L. 1152-3 du code du travail, serait la nullité de la rupture du contrat de travail. Ce faisant, l'autorisation de licenciement donnée par l'inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l'origine de l'inaptitude lorsqu'il l'attribue à un manquement de l'employeur à ses obligations.
15. Pour dire que le juge judiciaire ne peut apprécier la validité du licenciement du salarié ni le caractère réel et sérieux de celui-ci et déclarer la demande en nullité du licenciement irrecevable, l'arrêt énonce qu'en l'état d'une autorisation administrative accordée à l'employeur de licencier un salarié protégé, le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, apprécier le caractère réel et sérieux des motifs retenus pour justifier le licenciement. Il en conclut que c'est à tort que les premiers juges ont, d'une part, déclaré le salarié recevable en sa demande en nullité du licenciement, d'autre part, retenu que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse.
16. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le cinquième moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
17. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes en paiement de dommages-intérêts pour licenciement nul, ainsi que de compléments d'indemnité de licenciement et d'indemnité compensatrice de préavis, outre congés payés afférents, alors « que la cassation qui sera prononcée du chef du deuxième et/ou du troisième moyen relatifs au harcèlement moral et à la discrimination entraînera, par voie de conséquence et en application de l'article 624 du code de procédure civile, la censure de l'arrêt en ce qu'il a débouté le salarié de ses demandes de dommages-intérêts pour licenciement nul, de compléments d'indemnité de licenciement, d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés y afférents. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 624 du code de procédure civile :
18. La cassation prononcée sur les deuxième et troisième moyens entraîne la cassation, par voie de conséquence, des chefs de dispositif déboutant le salarié de ses demandes en paiement de dommages-intérêts pour licenciement nul, ainsi que de compléments d'indemnité de licenciement et d'indemnité compensatrice de préavis, outre congés payés afférents, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
Portée et conséquences de la cassation
19. La cassation prononcée n'emporte pas cassation du chef de dispositif condamnant l'employeur aux dépens justifié par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci non remises en causes.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute M. [T] de sa demande en paiement à titre de rappel de maintien de salaire et condamne la société Les Trois Paroisses à lui payer la somme de 500 euros à titre de dommages-intérêts pour dépassement des durées hebdomadaire et quotidienne de travail, avec intérêts au taux légal et capitalisation desdits intérêts, ainsi qu'aux dépens, l'arrêt rendu le 6 avril 2023, entre les parties, par la cour d'appel d'Angers ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes ;
Condamne la société Les Trois Paroisses aux dépens ;
En application de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, rejette la demande formée par la société Les Trois Paroisses et la condamne à payer à M. [T] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du deux octobre deux mille vingt-quatre.