Jurisprudence : Cass. civ. 1, 02-10-2024, n° 22-20.883, FS-B+R, Rejet

Cass. civ. 1, 02-10-2024, n° 22-20.883, FS-B+R, Rejet

A7775574

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Cass. civ. 1, 02-10-2024, n° 22-20.883, FS-B+R, Rejet. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/111774338-cass-civ-1-02102024-n-2220883-fsb-r-rejet
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Abstract

► La Cour de cassation détermine les éléments qui doivent figurer dans la décision de justice étrangère relative à une GPA pratiquée dans un autre pays, fixant ainsi un certain nombre de garanties pour admettre qu'une telle décision produise des effets en France ; lorsque la décision présente ces garanties, la filiation doit alors être reconnue en France conformément à la spécificité de la filiation construite par le droit étranger.


CIV. 1

IJ


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 2 octobre 2024


Rejet


Mme CHAMPALAUNE, président


Arrêt n° 507 FS-B+R

Pourvoi n° D 22-20.883


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 2 OCTOBRE 2024


1°/ M. [S] [F], agissant en son nom propre et en qualité de représentant légal de [I] [F]-[W] et [E] [F]-[W],

2°/ M. [G] [W], agissant en son nom propre et en qualité de représentant légal de [I] [F]-[W] et [E] [F]-[W],

tous deux domiciliés [Adresse 2],

ont formé le pourvoi n° D 22-20.883 contre l'arrêt rendu le 14 juin 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 3, chambre 5), dans le litige les opposant au procureur général près la cour d'appel de Paris, domicilié en son parquet général, [Adresse 1], défendeur à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen unique de cassation.


Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Fulchiron, conseiller, les observations de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de M. [F], et de M. [W], et l'avis de Mme Caron-Deglise, avocat général, après débats en l'audience publique du 2 juillet 2024 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Fulchiron, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, Aa Ab, Poinseaux, Dard, Beauvois, Agostini, conseillers, M. Duval, Mme Azar, M. Buat-Ménard, Mmes Lion et Daniel, conseillers référendaires, Mme Caron-Deglise, avocat général, et Mme Layemar, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire🏛, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.


Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 14 juin 2022), une décision de la Superior Court of Justice de l'Ontario (Canada) du 24 juin 2014 déclare que MM. [F] et [W] sont reconnus légalement comme étant les pères des deux enfants [I] et [E] [F]-[W], nés le 21 mai 2014 à [Localité 3], province de l'Ontario (Canada), que Mme [D] n'est pas la mère des enfants, que M. [D] n'en est pas le père et que Mme [Ac] n'est pas non plus la mère des enfants, et ordonne l'enregistrement de la naissance de ceux-ci de manière à faire figurer MM. [W] et [F] comme leurs parents.

2. Agissant en leur nom personnel et en qualité de représentants légaux des enfants, MM. [F] et [W], qui résident en France, ont assigné le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Paris pour voir prononcer l'exequatur de cette décision.


Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. MM. [F] et [W] font grief à l'arrêt de rejeter leur demande, alors :

« 1°/ que la décision étrangère statuant sur la filiation qui, conformément à sa loi de procédure interne, vise les textes de fond dont elle a constaté que les conditions étaient réunies satisfait à l'exigence d'ordre public international de motivation des décisions ; qu'en retenant que le jugement de la Superior Court of Justice de l'Ontario du 24 juin 2014 reconnaissant que MM. [F] et [W] sont légalement les parents d'[I] et [E] [F]-[W] n'était pas motivé quand le jugement visait les articles 4(1) (2) (3) de la Loi sur la Réforme du Droit des Enfants dont le juge avait constaté que les conditions étaient réunies avant de décider que MM. [F] et [W] sont légalement les parents d'[I] et de [E] [F]-[W], ce dont il résultait que la décision étrangère établissant la filiation des enfants satisfaisait à l'exigence de motivation composant l'ordre public international, la cour d'appel a violé les articles 3 du code civil🏛 et 509 du code de procédure civile ;

2°/ qu'en retenant que le jugement de la Superior Court of Justice de l'Ontario du 24 juin 2014 établissant que MM. [F] et [W] sont les parents d'[I] et [E] [F]-[W] n'était pas motivé aux motifs inopérants que si les appelants font état d'une mère porteuse dans leurs conclusions, le jugement étranger ne fait pas état d'une convention de gestation pour autrui, qu'il ne précise pas les qualités de Mme [K] [D], de M. [B] [D] et de Mme [V] [Z] visés dans la décision et, le cas échéant, leur consentement à une renonciation à leurs éventuels droits parentaux, la cour d'appel a violé les articles 3 du code civil et 509 du code de procédure civile ;

3°/ que, subsidiairement, le juge judiciaire doit veiller au respect de la convention européenne des droits de l'homme🏛 ; qu'il ne peut se retrancher derrière l'absence de démonstration par les parties du bien-fondé de leur demande pour refuser d'examiner la conformité de sa décision aux exigences de la convention européenne des droits de l'homme ; qu'en l'occurrence, le refus de reconnaitre la filiation des enfants établie par la décision canadienne, fût-t-elle irrégulière, qui résidaient depuis plusieurs années avec les parents désignés, porte atteinte au droit au respect de la vie privée des enfants protégé par l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme ; qu'il revenait en conséquence à la juridiction, qui y était invitée, d'examiner si cette atteinte était nécessaire et proportionnée au but poursuivi ; qu'en refusant d'examiner le moyen tiré de la méconnaissance des articles 8 et 14 de la convention européenne des droits de l'homme et 3 de la convention internationale sur les droits de l'enfant au motif que ce dernier est inopérant dès lors que les demandeurs à l'exequatur n'ont sciemment pas fourni d'éléments de nature à servir d'équivalent à la motivation du jugement canadien, la cour d'appel a méconnu son office et violé les articles 1, 8 et 14 de la convention européenne des droits de l'homme. »


Réponse de la Cour

4. Aux termes de l'article 509 du code de procédure civile🏛, les jugements rendus par les tribunaux étrangers et les actes reçus par les officiers étrangers sont exécutoires sur le territoire de la République de la manière et dans les cas prévus par la loi.

5. Les jugements étrangers relatifs à l'état des personnes, produisant de plein droit leurs effets en France sauf s'ils doivent donner lieu à une mesure d'exécution sur les biens ou de coercition sur les personnes, peuvent être mentionnés sur les registres français de l'état civil indépendamment de toute déclaration d'exequatur.

6. Leur régularité internationale est cependant contrôlée par le juge français lorsque celle-ci est contestée ou qu'il lui est demandé de la constater.

7. Pour accorder l'exequatur, le juge français doit, en l'absence de convention internationale, s'assurer que trois conditions sont remplies, à savoir la compétence indirecte du juge étranger, fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, la conformité à l'ordre public international de fond et de procédure, ainsi que l'absence de fraude. Il lui est interdit de réviser au fond le jugement.

8. Est contraire à la conception française de l'ordre public international de procédure la reconnaissance d'une décision étrangère non motivée lorsque ne sont pas produits des documents de nature à servir d'équivalent à la motivation défaillante. Il incombe au demandeur de produire ces documents.

9. Lorsqu'il est demandé l'exequatur d'une décision établissant la filiation d'un enfant né d'une gestation pour autrui réalisée à l'étranger, l'existence d'une motivation s'apprécie au regard, d'une part, des risques de vulnérabilité des parties à la convention de gestation pour autrui et des dangers inhérents à ces pratiques, et, d'autre part, du droit de l'enfant et de l'ensemble des personnes impliquées au respect de leur vie privée garanti par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'intérêt supérieur de l'enfant, protégé par l'article 3, § 1, de la Convention de New York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant, constituant une considération primordiale.

10. En conséquence, le juge de l'exequatur doit être en mesure, à travers la motivation de la décision ou les documents de nature à servir d'équivalent qui lui sont fournis, d'identifier la qualité des personnes mentionnées qui ont participé au projet parental d'autrui et de s'assurer qu'il a été constaté que les parties à la convention de gestation pour autrui, en premier lieu la mère porteuse, ont consenti à cette convention, dans ses modalités comme dans ses effets sur leurs droits parentaux.

11. Ayant relevé que le jugement étranger ne précisait pas les qualités des différentes personnes qui y étaient mentionnées ni, le cas échéant, leur consentement à une renonciation à leurs éventuels droits parentaux, la cour d'appel a justement retenu que la motivation de cette décision était défaillante.

12. Après avoir constaté que, malgré la réouverture des débats ordonnée à cette fin par le tribunal judiciaire et la position soutenue en ce sens devant elle par le ministère public, MM. [F] et [W] n'avaient produit aucun élément de nature à servir d'équivalent à une telle motivation, la cour d'appel n'a pu qu'en déduire que le jugement heurtait l'ordre public international français.

13. Ayant relevé en outre que les intéressés ne fournissaient aucun élément permettant d'apprécier, in concreto, la réalité de l'atteinte invoquée aux droits garantis par les articles 8 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et par l'article 3 de la Convention internationale des droits de l'enfant, c'est sans encourir le grief de la troisième branche que la cour d'appel s'est prononcée comme elle a fait.

14. Le moyen n'est donc fondé en aucune de ses branches.



PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. [F] et M. [W] aux dépens ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux octobre deux mille vingt-quatre.

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