Jurisprudence : Cass. soc., 02-10-2024, n° 22-21.772, FS-B, Rejet

Cass. soc., 02-10-2024, n° 22-21.772, FS-B, Rejet

A777357Z

Référence

Cass. soc., 02-10-2024, n° 22-21.772, FS-B, Rejet. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/111774336-cass-soc-02102024-n-2221772-fsb-rejet
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Abstract

► Les stipulations de la Convention collective nationale de la répartition pharmaceutique du 7 janvier 1992 prévoit que lorsque le salarié travaille de façon ininterrompue dans un poste d'une durée de travail supérieure à 6 heures, il doit lui être attribué une pause rémunérée d'une demi-heure ; cette pause peut intervenir soit avant que les 6 heures de travail effectif se soient écoulées, soit à la suite immédiate de ces 6 heures.


SOC.

ZB1


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 2 octobre 2024


Rejet


M. SOMMER, président


Arrêt n° 984 FS-B


Pourvois n°
V 22-21.772
W 22-21.773
X 22-21.774
Y 22-21.775
Z 22-21.776
A 22-21.777
B 22-21.778
C 22-21.779
D 22-21.780
E 22-21.781
F 22-21.782
H 22-21.783
G 22-21.784
J 22-21.785
K 22-21.786
M 22-21.787
N 22-21.788
P 22-21.789
Q 22-21.790
R 22-21.791
S 22-21.792 JONCTION


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 2 OCTOBRE 2024


La société Giphar groupe, société coopérative à forme anonyme à capital variable, dont le siège est [Adresse 15], a formé les pourvois n° V 22-21.772, W 22-21.773, X 22-21.774, Y 22-21.775, Z 22-21.776, A 22-21.777, B 22-21.778, C 22-21.779, D 22-21.780, E 22-21.781, F 22-21.782, H 22-21.783, G 22-21.784, J 22-21.785, K 22-21.786, M 22-21.787, N 22-21.788, P 22-21.789, Q 22-21.790, R 22-21.791 et S 22-21.792 contre vingt-et-un arrêts rendus le 29 juin 2022 par la cour d'appel d'Amiens (5e chambre prud'homale), dans les litiges l'opposant respectivement :

1°/ à M. [C] [T], domicilié [… …],

2°/ à Mme [Aa] [G], domiciliée [Adresse 3],

3°/ à M. [A] [O], domicilié [… …],

4°/ à Mme [B] [S], … [… …],

5°/ à Mme [NS] [D], domiciliée [Adresse 5],

6°/ à Mme [Ab] [W], domiciliée [Adresse 9],

7°/ à Mme [GS] [Y], … [… …],

8°/ à M. [I] [A], domicilié [… …],

9°/ à M. [H] [V], domicilié [… …],

10°/ à Mme [K] [P], … [… …],

11°/ à M. [Ac] [HZ], domicilié [… …],

12°/ à Mme [R] [LD], domiciliée [Adresse 21],

13°/ à Mme [N] [RG], domiciliée [Adresse 20],

14°/ à Mme [C] [MK], domiciliée [Adresse 2],

15°/ à Mme [Ad] [RW], … [… …],

16°/ à Mme [X] [OZ], … [… …],

17°/ à M. [M] [OH], domicilié [… …],

18°/ à M. [F] [DM], domicilié [… …],

19°/ à Mme [B] [CX], domiciliée [Adresse 4],

20°/ à Mme [E] [WH], … [… …],

21°/ à Mme [Ae] [FK], domiciliée [Adresse 6],

22°/ au syndicat CFDT Chimie énergie Picardie, dont le siège est [Adresse 12],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de ses pourvois, deux moyens communs de cassation.


Les dossiers ont été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de Mme Thomas-Davost, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Giphar groupe, de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [T] et des vingt autres salariés ainsi que du syndicat CFDT Chimie énergie Picardie, et l'avis de Mme Molina, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 4 septembre 2024 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Thomas-Davost, conseiller référendaire rapporteur, Mme Monge, conseiller doyen, Mme Af, M. Ag, Ah Ai, Le Quellec, conseillers, Mmes Aj, Rodrigues, conseillers référendaires, Mme Molina, avocat général référendaire, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire🏛, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° V 22-21.772 à S 22-21.792 sont joints.


Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Amiens, 29 juin 2022), M. [T] et vingt autres salariés de la société Giphar groupe ont saisi la juridiction prud'homale le 30 décembre 2019 aux fins d'obtenir la condamnation de leur employeur à leur verser des rappels de salaire au titre de quinze minutes de pause rémunérée dont ils auraient été quotidiennement privés d'octobre 2016 à décembre 2019 ainsi que des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi.

3. Le syndicat CFDT Chimie énergie Picardie est intervenu dans chaque instance afin de solliciter la condamnation de l'employeur à lui verser des
dommages-intérêts en réparation du préjudice causé à l'intérêt collectif de la profession.

4. Les relations de travail sont soumises à la convention collective nationale de la répartition pharmaceutique du 7 janvier 1992.


Examen des moyens

Sur le second moyen

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile🏛, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. L'employeur fait grief aux arrêts de le condamner à payer à chacun des salariés une somme à titre de rappel de salaire au titre des temps de pause ainsi que des dommages-intérêts pour préjudice moral, alors :

« 1°/ que l'article K.1.1.3 de la convention collective nationale de la répartition pharmaceutique du 7 janvier 1992 dispose que ''lorsque les salariés travaillent de façon ininterrompue dans un poste, d'une durée supérieure à six heures, il leur sera attribué une demi-heure de repos payée'' ; qu'au sens de cette disposition, la notion de travail ininterrompu, qui conditionne la rémunération d'un temps de repos de trente minutes, s'entend d'une durée ininterrompue de travail effectif de six heures ; qu'au cas présent, pour condamner la société Giphar groupe à payer à chacun des salariés une somme à titre de rappel de salaire au titre des temps de pause, la cour d'appel a retenu qu' ''il ressort des éléments du dossier que les salariés postés effectuent, en horaires du matin ou d'après-midi, une durée de travail quotidienne de plus de 6 heures. Il ne résulte pas des dispositions de la convention collective que la pause de 30 minutes soit subordonnée à un travail effectif continu de 6 heures puisque le texte ne dit pas expressément que les 6 heures doivent être consécutives, c'est-à-dire, ne pas avoir été interrompues par une pause'' ; qu'en se fondant ainsi sur la durée de travail quotidienne des salariés pour en déduire que ces derniers n'avaient pas bénéficié du temps de pause conventionnellement prévu, cependant que les partenaires sociaux ont expressément conditionné l'octroi du temps de repos rémunéré de trente minutes à la réalisation d'une durée ininterrompue de travail effectif de six heures, la cour d'appel a violé par fausse application l'article K.1.1.3 de la convention collective nationale de la répartition pharmaceutique du 7 janvier 1992 ;

2°/ que le juge est tenu, en application de l'article 12 du code de procédure civile🏛, de trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables ; que le juge est tenu d'appliquer l'accord collectif dont il est saisi et ce n'est que lorsque celui-ci manque de clarté qu'il peut procéder à son interprétation, en respectant la lettre du texte ; que l'article K.1.1.3 de la convention collective nationale de la répartition pharmaceutique du 7 janvier 1992 dispose que ''lorsque les salariés travaillent de façon ininterrompue dans un poste, d'une durée supérieure à six heures, il leur sera attribué une demi-heure de repos payée'' ; qu'au sens de cette disposition, la notion de travail ininterrompu, qui conditionne la rémunération du temps de repos de trente minutes, s'entend d'une durée ininterrompue de travail effectif de six heures ; qu'au cas présent, pour condamner la société Giphar groupe à payer à chacun des salariés une somme à titre de rappel de salaire au titre des temps de pause, la cour d'appel a considéré que ''la convention est ambiguë dans la mesure où la notion de « travail ininterrompu d'une durée supérieure à six heure » pose la question de savoir si la pause de 30 minutes peut être prise à n'importe quel moment à l'intérieur de cette période ou si elle n'est obligatoire qu'au terme d'une durée de six heures consécutives de travail. Cette ambiguïté rend par conséquent nécessaire l'interprétation de la convention sur ce point. […] Il ne résulte pas des dispositions de la convention collective que la pause de 30 minutes soit subordonnée à un travail effectif continu de 6 heures puisque le texte ne dit pas expressément que les 6 heures doivent être consécutives, c'est-à-dire, ne pas avoir été interrompues par une pause'' et qu' ''en exigeant que le salarié commence par travailler six heures apparemment de manière consécutive puisque la pause ne peut être comprise dans cette période, l'employeur rajoute une condition qui n'est pas imposée par la convention collective, celle-ci ne mentionnant pas le moment où la pause doit être prise mais fixant une durée de travail maximale dans laquelle le salarié doit bénéficier d'un repos'' ; qu'en statuant ainsi, sous couvert d'interprétation, pour donner à une disposition conventionnelle claire et précise un sens qu'elle n'a pas et, ce faisant, changer le sens d'un texte normatif, la cour d'appel a violé l'article 12 du code de procédure civile et l'article K.1.1.3 de la convention collective nationale de la répartition pharmaceutique du 7 janvier 1992 ;

3°/ qu'au sens de l'article K.1.1.3 de la convention collective nationale de la répartition pharmaceutique du 7 janvier 1992, la notion de travail ininterrompu, qui conditionne la rémunération du temps de repos de trente minutes, s'entend d'une durée ininterrompue de travail effectif de six heures ; qu'un temps de pause ne peut être assimilé à un temps de travail effectif que si le salarié est à la disposition de l'employeur et doit se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles ; que la brièveté des temps de pause ne permet pas considérer que ces temps de pause constitueraient un temps de travail effectif ; qu'au cas présent, la cour d'appel a constaté que les salariés bénéficiaient d'un temps de pause rémunéré de vingt minutes ; que pour considérer que ces temps de pause devaient être réintégrés à leur temps de travail effectif, la cour d'appel a affirmé qu' ''une interruption de quelques minutes au cours d'une période de 6 heures ne dispens[e] pas l'employeur d'accorder cette pause'' ; qu'en se déterminant ainsi, par des motifs inopérants uniquement tirés d'une prétendue brièveté des interruptions, sans caractériser en quoi les salariés seraient, durant ces temps de pause de vingt minutes, à la disposition de leur employeur et devraient se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 3121-1 et L. 3121-2 du code du travail🏛🏛 et de l'article K.1.1.3 de la convention collective nationale de la répartition pharmaceutique du 7 janvier 1992 ;

4°/ que pour condamner la société Giphar groupe à payer à chacun des salariés une somme à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral, la cour d'appel a retenu qu' ''il a été précédemment jugé que l'employeur n'avait pas respecté les dispositions conventionnelles'' et que ''ce non-respect des temps de pause a causé un préjudice au salarié en termes de fatigue, que l'instauration des temps de pause vise à prévenir'' ; que dès lors, la cassation à intervenir sur les chefs des arrêts ayant condamné la société Giphar groupe à verser à chacun des salariés une somme à titre de rappel de salaire au titre des temps de pause, entraînera nécessairement, par voie de conséquence, la cassation des arrêts attaqués en ce qu'ils ont condamné la société Giphar groupe à payer à chacun des salariés une somme à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral, en application de l'article 624 du code de procédure civile🏛, au regard du lien de dépendance nécessaire qui existe entre ces aspects du litige. »


Réponse de la Cour

7. Une convention collective, si elle manque de clarté, doit être interprétée comme la loi, c'est-à-dire d'abord en respectant la lettre du texte, ensuite en tenant compte d'un éventuel texte législatif ayant le même objet et, en dernier recours, en utilisant la méthode téléologique consistant à rechercher l'objectif social du texte.

8. Aux termes de l'article K.1.1.3. de la convention collective nationale de la répartition pharmaceutique du 7 janvier 1992, relatif aux temps de pause, on appelle travail par poste l'organisation dans laquelle un salarié effectue son travail journalier d'une seule traite. Lorsque les salariés travaillent de façon ininterrompue dans un poste, d'une durée supérieure à six heures, il leur sera attribué une demi-heure de repos payée. Les salariés non inclus dans la catégorie ci-dessus, dont il est possible de contrôler la durée du travail et effectuant un travail quotidien d'un minimum de six heures, bénéficieront soit d'une coupure, soit d'un temps de pause de vingt minutes, non payés.

9. Après avoir constaté que les dispositions de l'article K.1.1.3. de la convention collective applicable étaient ambiguës, la cour d'appel a retenu à bon droit que lorsque le salarié travaillait de façon ininterrompue dans un poste d'une durée de travail supérieure à six heures, il devait lui être attribué une pause rémunérée d'une demi-heure qui pouvait intervenir soit avant que les six heures de travail effectif se soient écoulées soit à la suite immédiate de ces six heures.

10. La cour d'appel, qui a relevé que les salariés effectuaient un travail par poste, en horaires du matin ou d'après-midi, d'une durée quotidienne de plus de six heures, en a exactement déduit qu'ils pouvaient prétendre chacun au bénéfice du temps de pause d'une demi-heure conventionnellement prévu et à la rémunération en résultant.

11. Le moyen, qui pris en sa troisième branche, critique des motifs surabondants, n'est donc pas fondé.

12. Le rejet des trois premières branches du moyen rend sans portée le moyen qui, pris en sa quatrième branche, invoque une cassation par voie de conséquence.


PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois ;

Condamne la société Giphar groupe aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile🏛, rejette la demande formée par la société Giphar groupe et la condamne à payer à M. [T] et aux vingt autres salariés ainsi qu'au syndicat CFDT Chimie énergie Picardie la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du deux octobre deux mille vingt-quatre.

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