Jurisprudence : Cass. crim., 02-10-2024, n° 23-84.448, F-B, Cassation

Cass. crim., 02-10-2024, n° 23-84.448, F-B, Cassation

A776957U

Identifiant européen : ECLI:FR:CCASS:2024:CR01178

Identifiant Legifrance : JURITEXT000050316401

Référence

Cass. crim., 02-10-2024, n° 23-84.448, F-B, Cassation. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/111774332-cass-crim-02102024-n-2384448-fb-cassation
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Abstract

Dès lors qu'une cour d'appel constate l'existence d'un préjudice subi par une partie civile en raison des délits commis par les prévenus, il lui appartient, si elle estime que les prévenus ne peuvent être condamnés solidairement et que la partie civile a uniquement sollicité une condamnation solidaire pour la totalité de ses préjudices, de rechercher, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation et dans la limite de la somme totale demandée, le préjudice subi par la partie civile en raison des faits commis par chacun des prévenus et de les condamner individuellement au paiement de cette somme


N° S 23-84.448 F-B

N° 01178


SL2
2 OCTOBRE 2024


CASSATION PARTIELLE


M. BONNAL président,


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 2 OCTOBRE 2024



La caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine, partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, 9e chambre, en date du 5 juillet 2023, qui, dans la procédure suivie contre M. [Aa] [Z] et Ab [Ac] [K], [W] [M] et [B] [G], du chef d'escroqueries aggravées, a prononcé sur les intérêts civils.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de M. Gillis, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Ad et Rebeyrol, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de M. [Y] [Z] et Ab [Ac] [K], [W] [M] et [B] [G], et les conclusions de Mme Viriot-Barrial, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 septembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Gillis, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale🏛, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.


Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. La caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine (la CPAM) a déposé plainte à l'encontre de M. [Y] [Z] et de Ab [Ac] [K], [W] [M] et [B] [G], qui exercent la profession d'infirmier, leur reprochant d'avoir procédé à des cotations et facturations irrégulières d'actes et de déplacements.

3. Par jugement du 10 mars 2022, le tribunal correctionnel a condamné les personnes susmentionnées pour escroqueries au préjudice d'un organisme de protection sociale. Statuant sur l'action civile, le tribunal a déclaré ces mêmes personnes solidairement responsables des conséquences de leur faute pénale et les a condamnées à payer solidairement à la CPAM les sommes de 90 094,74 euros en réparation de son préjudice financier et de 3 000 euros en réparation de son préjudice moral et de sa désorganisation.

4. Les prévenus et le ministère public ont relevé appel de la décision.

Sur les premier et second moyens

Enoncé des moyens

5. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a infirmé le jugement en ce qu'il avait déclaré les quatre prévenus entièrement et solidairement responsables, s'agissant du préjudice financier, des conséquences dommageables de leur faute pénale et les avait solidairement condamnés au paiement à la CPAM de la somme de 90 094,74 euros en réparation de son préjudice financier, et a rejeté en conséquence les demandes de la CPAM, alors :

« 1°/ d'une part qu'il appartient aux juridictions du fond de réparer, dans son intégralité et sans perte ni profit, dans la limite des conclusions des parties, le préjudice résultant de la déclaration de culpabilité de l'auteur du dommage ; qu'après avoir confirmé le jugement sur la culpabilité de chacun des quatre prévenus pour les faits d'escroquerie par l'emploi de manœuvres frauduleuses et l'abus de qualité vraie d'infirmier libéral commis au préjudice de la CPAM des Hauts-de-Seine et relevé que les préventions établissaient distinctement et précisément pour chacun des prévenus le préjudice financier de la CPAM directement issu des actes frauduleux commis par chacun d'eux, la cour d'appel, infirmant le jugement en son dispositif civil, a débouté la partie civile de ses demandes d'indemnisation, après avoir estimé que chacun des prévenus ne pouvait « être condamné à réparer solidairement et de manière indifférenciée la totalité du préjudice subi par la CPAM » ; qu'en se déterminant ainsi quand il lui appartenait, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, de rechercher l'étendue du préjudice résultant de l'affirmation de culpabilité des prévenus et de ses propres constatations pour le réparer dans son intégralité, la cour d'appel a méconnu les articles 2 et 3 du code de procédure pénale🏛🏛 et 1240 du code civil, ainsi que le principe ci-dessus rappelé ;

2°/ d'autre part que la solidarité, édictée par l'article 480-1 du code de procédure pénale🏛, s'applique aux individus déclarés coupables de différentes infractions rattachées entre elles par les liens d'indivisibilité ou de connexité ; qu'il en est ainsi en cas d'escroqueries commises par quatre infirmiers libéraux associés d'un même cabinet, intervenant sur la même patientèle, ayant participé à la même opération de fraude au préjudice de la CPAM, en procédant sciemment aux mêmes irrégularités de facturation ; que pour écarter toute condamnation solidaire des quatre prévenus déclarés coupables des escroqueries précitées commises au préjudice d'un organisme de protection sociale pour l'obtention d'une allocation indue, la cour d'appel énonce que « les préventions retenues pour la saisine de la juridiction correctionnelle établissent distinctement et précisément pour chacun des prévenus le préjudice financier de la CPAM directement issu des actes frauduleux commis par chacun d'entre eux, sans que soit retenue entre les prévenus une forme de coaction, ou une circonstance de commission des faits en réunion ou en bande organisée entre les prévenus, ou la complicité des uns avec les autres pour la commission des infractions » et en conclut que « dès lors, chacun des prévenus ne peut être condamné à réparer solidairement et de manière indifférenciée la totalité du préjudice subi par la CPAM du fait de l'ensemble des actes frauduleux commis par l'ensemble des prévenus étant précisé que la cour est liée par les termes de la prévention » ; qu'en prononçant ainsi, quand doivent être considérées comme connexes et indivisibles les infractions qui procèdent d'une même conception, sont déterminées par la même cause et tendent au même but, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a méconnu les articles 203, 480-1, 591 et 593 du code de procédure pénale🏛🏛🏛 et le principe précité ;

3°/ encore que la solidarité édictée par l'article 480-1 du code de procédure pénale s'impose au juge comme la conséquence légale de toute condamnation pénale prononcée pour le même délit ou pour des délits indivisibles ou connexes ; qu'après avoir confirmé la condamnation pénale des quatre prévenus pour les escroqueries commises au préjudice de la CPAM telles que visées à la prévention et qui participaient d'une même opération de fraude, la cour d'appel ne pouvait refuser de prononcer la condamnation solidaire des prévenus à la réparation du préjudice financier subi par la CPAM dont elle avait relevé l'existence et qui en résultait directement, sans méconnaître le texte précité et violer les articles 203, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

6. Le second moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a infirmé le jugement en ce qu'il avait déclaré les quatre prévenus entièrement et solidairement responsables, s'agissant du préjudice moral de désorganisation, des conséquences dommageables de leur faute pénale et les avait solidairement condamnés au paiement à la CPAM de la somme de 3 000 euros en réparation de son préjudice financier, et a rejeté en conséquence les demandes de la CPAM, alors :

« 1°/ que d'une part il appartient aux juridictions du fond de réparer, dans son intégralité et sans perte ni profit, dans la limite des conclusions des parties, le préjudice résultant de la déclaration de culpabilité de l'auteur du dommage ; qu'après avoir confirmé le jugement sur la culpabilité de chacun des quatre prévenus pour les faits d'escroquerie par l'emploi de manœuvres frauduleuses et l'abus de qualité vraie d'infirmier libéral commis au préjudice de la CPAM des Hauts-de-Seine et jugé « l'existence d'un préjudice moral et de désorganisation subi par la CPAM […] établie », la cour d'appel, infirmant le jugement en son dispositif civil, a débouté la partie civile de ses demandes d'indemnisation, après avoir estimé que chacun des prévenus ne pouvait « être condamné à réparer solidairement et de manière indifférenciée la totalité du préjudice subi par la CPAM » ; qu'en se déterminant ainsi quand il lui appartenait, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, de rechercher l'étendue du préjudice résultant de l'affirmation de culpabilité des prévenus et de ses propres constatations pour le réparer dans son intégralité, la cour d'appel a méconnu les articles 2 et 3 du code de procédure pénale et 1240 du code civil, ainsi que le principe ci-dessus rappelé ;

2°/ d'autre part que la solidarité, édictée par l'article 480-1 du code de procédure pénale, s'applique aux individus déclarés coupables de différentes infractions rattachées entre elles par les liens d'indivisibilité ou de connexité ; qu'il en est ainsi en cas d'escroqueries commises par quatre infirmiers libéraux associés d'un même cabinet, intervenant sur la même patientèle, ayant participé à la même opération de fraude au préjudice de la CPAM, en procédant sciemment aux mêmes irrégularités de facturation ; que pour écarter toute condamnation solidaire des quatre prévenus déclarés coupables des escroqueries précitées commises au préjudice d'un organisme de protection sociale pour l'obtention d'une allocation indue, la cour d'appel énonce qu'aucune « forme de coaction, ou circonstance de commission des faits en réunion ou en bande organisée entre les prévenus, ou complicité des uns avec les autres pour la commission des infractions n'a été retenue par les préventions » et en conclut que « dès lors, chacun des prévenus ne peut être condamné à réparer solidairement et de manière indifférenciée la totalité du préjudice subi par la CPAM quel qu'en soit la nature, du fait de l'ensemble des actes frauduleux commis par l'ensemble des prévenus » ; qu'en prononçant ainsi, quand doivent être considérées comme connexes et indivisibles les infractions qui procèdent d'une même conception, sont déterminées par la même cause et tendent au même but, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a méconnu les articles 203, 480-1, 591 et 593 du code de procédure pénale et le principe précité ;

3°/ encore que la solidarité édictée par l'article 480-1 du code de procédure pénale s'impose au juge comme la conséquence légale de toute condamnation pénale prononcée pour le même délit ou pour des délits indivisibles ou connexes ; qu'après avoir confirmé la condamnation pénale des quatre prévenus pour les escroqueries commises au préjudice de la CPAM telles que visées à la prévention et qui participaient d'une même opération de fraude, la cour d'appel ne pouvait refuser de prononcer la condamnation solidaire des prévenus à la réparation du préjudice moral et de désorganisation subi par la CPAM dont elle avait relevé l'existence et qui en résultait directement, sans méconnaître le texte précité et violer les articles 203, 591 et 593 du code de procédure pénale. »


Réponse de la Cour

7. Les moyens sont réunis.

Sur les moyens, pris en leur première branche

Vu les articles 1382, devenu 1240, du code civil🏛, 2 et 3 du code de procédure pénale :

8. Il résulte de ces textes qu'il appartient aux juridictions du fond de réparer, dans les limites des conclusions des parties, le préjudice dont elles reconnaissent le principe.

9. Pour rejeter la demande de la CPAM de réparation de ses préjudices financier, moral et de désorganisation de ses services, l'arrêt attaqué énonce que les travaux de contrôle réalisés par ladite caisse, sa plainte ainsi que les préventions retenues établissent distinctement et précisément le préjudice financier de la CPAM issu des actes frauduleux commis par chacun des prévenus.

10. Les juges ajoutent que l'existence d'un préjudice moral et de désorganisation résultant des faits est également établie.

11. Ils relèvent, toutefois, qu'en l'absence de connexité entre les délits commis par les prévenus, ceux-ci ne peuvent être condamnés à réparer solidairement et de manière indifférenciée la totalité du préjudice subi par la CPAM.

12. Ils en déduisent que, dès lors que la CPAM a uniquement sollicité la condamnation solidaire des prévenus au paiement de la totalité de ses préjudices, il ne peut lui être attribué de dommages et intérêts en réparation de ceux-ci.

13. En statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.

14. En effet, dès lors qu'elle avait constaté l'existence d'un préjudice subi par la CPAM en raison des délits commis par les prévenus, il lui appartenait, si elle estimait que les prévenus ne pouvaient être condamnés solidairement, de rechercher, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation et dans la limite de la somme totale demandée, le préjudice subi par la partie civile en raison des faits commis par chacun des prévenus et de les condamner individuellement au paiement de cette somme.

15. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Sur les moyens, pris en leurs deuxième et troisième branches

Vu les articles 203 et 480-1 du code de procédure pénale :

16. Il se déduit du second de ces textes que la solidarité s'agissant des dommages et intérêts entre les personnes condamnées pour un même crime s'applique également à celles qui ont été déclarées coupables de différentes infractions rattachées entre elles par des liens d'indivisibilité ou de connexité.

17. Les dispositions du premier de ces textes relatives à la connexité ne sont pas limitatives et s'étendent aux cas dans lesquels il existe entre les faits des rapports étroits, analogues à ceux que la loi a spécialement prévus et notamment au cas où les faits présentent une identité d'objet et une communauté de résultats.

18. Pour juger que les prévenus ne pouvaient être condamnés solidairement à réparer les préjudices subis par la CPAM résultant de l'ensemble des actes frauduleux, l'arrêt attaqué relève l'absence de connexité entre les délits dès lors qu'il n'a pas été retenu entre les prévenus une forme de coaction, une commission des faits en réunion ou en bande organisée ou la complicité des prévenus pour la commission des infractions.

19. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.

20. En effet, dès lors qu'ils ont constaté que les prévenus, tous quatre infirmiers, travaillaient au sein d'un même cabinet et partageaient la même patientèle, qu'ils ont escroqué la CPAM en employant les mêmes manoeuvres frauduleuses, que la quasi-totalité des patients pour lesquels des escroqueries ont été réalisées étaient traités par les quatre prévenus, avec des irrégularités analogues, les juges ne pouvaient, sans se contredire, juger que les prévenus ne pouvaient être condamnés solidairement à réparer le préjudice subi par la CPAM.

21. La cassation est par conséquent encourue, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres griefs.

Portée et conséquences de la cassation

22. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions civiles. Les autres dispositions seront donc maintenues.


PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Versailles, en date du 5 juillet 2023, mais en ses seules dispositions civiles, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale🏛 ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du deux octobre deux mille vingt-quatre.

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