N° RG 23/04988 - N° Portalis DBVX-V-B7H-PBLM
Décision du Juge de la mise en état du TJ de VILLEFRANCHE-SUR-SAONE
du 12 juin 2023
RG : 22/00628
[Z]
[E]
C/
[E]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
6ème Chambre
ARRET DU 26 Septembre 2024
APPELANTS :
Mme [Aab] [Z]
née le [Date naissance 5] 1972 à [Localité 13]
[Adresse 8]
[Localité 9]
M. [B] [E]
né le [Date naissance 3] 1998 à [Localité 12]
[Adresse 2]
[Localité 10]
Représentés par Me Aymeric CURIS, avocat au barreau de VILLEFRANCHE-SUR-SAONE
INTIMEE :
Mme [Acd] [E]
née le [Date naissance 6] 1959 à [Localité 11]
[Adresse 7]
[Localité 1]
Représentée par Me Charlotte VARVIER de la SELARL LEGI 01, avocat au barreau D'AIN
* * * * * *
Date de clôture de l'instruction : 25 Juin 2024
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 02 Juillet 2024
Date de mise à disposition : 26 Septembre 2024
Audience tenue par Evelyne ALLAIS, conseillère, et Stéphanie ROBIN, conseillère, qui ont siégé en rapporteurs sans opposition des avocats dûment avisés et ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré,
assistées pendant les débats de Cécile NONIN, greffière
A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l'
article 804 du code de procédure civile🏛.
Composition de la Cour lors du délibéré :
- Joëlle DOAT, présidente
- Evelyne ALLAIS, conseillère
- Stéphanie ROBIN, conseillère
Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'
article 450 alinéa 2 du code de procédure civile🏛,
Signé par Joëlle DOAT, présidente, et par Cécile NONIN, greffière, à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * *
Faits, procédure et demandes des parties
Le 7 janvier 2001, M. [R] [E] a établi une reconnaissance de dette d'un montant de 258 000 francs soit 39 331,85 euros au profit de sa soeur [G] [E].
M. [R] [E] est décédé le [Date décès 4] 2021, laissant pour lui succéder son fils M. [Ae] [E] et sa compagne Mme [T] [Z].
Par acte d'huissier du 3 juin 2022, Mme [G] [E] a fait assigner Mme [T] [Z] et M. [B] [E] devant le tribunal judiciaire de Villefranche sur Saône, aux fins de les voir condamner en leur qualité d'ayant-droit à lui payer la somme de 39 331,85 euros.
Mme [T] [Z] et M. [B] [E] ont saisi le juge de la mise en état d'un incident tendant à déclarer les demandes de Mme [G] [E] irrecevables, comme étant prescrites. Ils sollicitent également sa condamnation à leur payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, outre les dépens.
Mme [G] [E] a conclu au rejet de la fin de non-recevoir et à la condamnation de Mme [T] [Z] et de M. [B] [E] à lui payer la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens.
Par ordonnance du 12 juin 2023, le juge de la mise en état a :
- déclaré recevable comme étant non prescrite l'action engagée par Mme [G] [E],
- rejeté pour le surplus les demandes formées par les parties devant le juge de la mise en état, notamment les demandes formées en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit que les dépens de la présente instance suivront le sort des dépens de l'instance au fond,
- invité M. [B] [E] et Mme [T] [Z] à conclure au fond pour la prochaine audience de mise en état,
- renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état électronique du 12 septembre 2023 à 12 heures.
Par déclaration du 20 juin 2023, Mme [T] [Z] et M. [B] [E] ont interjeté appel de cette ordonnance.
Par dernières conclusions notifiées par voie dématérialisée le 24 juin 2024, Mme [T] [Z] et M. [B] [E] demandent à la cour :
d'infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a
- déclaré recevable comme étant non prescrite l'action engagée par Mme [G] [E]
- rejeté pour le surplus les demandes formées par les parties devant le juge de la mise en état, notamment les demandes formées en application de l'article 700 du code de procédure civile,
statuant à nouveau
- de juger l'action prescrite et les demandes de Mme [G] [E] irrecevables,
- en tout état de cause,
- de condamner Mme [G] [E] à leur payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens avec possibilité de recouvrement au profit de maître Curtis.
A l'appui de leurs prétentions, ils font valoir :
- à titre principal que l'action est prescrite, le point de départ du délai de prescription étant la date de la reconnaissance de dette soit le 7 janvier 2001, Mme [G] [E] ayant dès cette date connaissance de l'acte rédigé par son frère. La prescription trentenaire ayant été réduite à cinq ans par la
loi du 17 juin 2008🏛, la prescription est acquise,
- à titre subsidiaire, si la cour estimait qu'en l'absence de terme fixé pour le remboursement de la dette, il convenait de se référer à la commune intention des parties, il ne peut être retenu contrairement à ce qui a été indiqué par le premier juge que le terme devait être fixé au décès de M. [R] [E].
Ils soulignent que ce dernier n'a pas fait état dans ses directives de fin de vie de sa volonté de payer une dette, ni fait mention de cette reconnaissance de dette. Mme [G] [E] qui était en lien avec son frère ne l'a jamais mis en demeure de régler cette somme, et n'a pas même abordé ce sujet.
Les témoignages produits aux débats par l'intimée ne révèlent nullement l'intention du défunt et ne présentent pas de caractère probatoire.
- subsidiairement, le point de départ de la prescription doit être fixé au plus tard au 20 juin 2012, date de la donation partage des biens des parents de Mme [G] [E] et de M. [R] [E].
En effet, Mme [J] [E] atteste avoir évoqué avec son fils [R] le 28 décembre 2009 le remboursement de la dette envers sa soeur et ce dernier lui a indiqué que bien que brouillé avec elle, il ferait le nécessaire en temps voulu. A cette époque, la donation de la maison n'avait pas eu lieu et il ne pouvait compter sur la vente de la maison pour rembourser la somme due. Il avait donc l'intention de rembourser sa soeur à compter de la donation partage et le délai quinquennal est donc expiré.
Cela est confirmé par un courrier adressé par Mme [Af] [Ad] à son petit Bils [B].
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 22 août 2023, Mme [G] [E] demande à la cour de :
- confirmer l'ordonnance,
y ajoutant,
- condamner in solidum M. [B] [E] et Mme [T] [Z] à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens,
- débouter M. [B] [E] et Mme [T] [Z] de toutes leurs demandes.
Elle réplique que :
- la reconnaissance de dette ne prévoit pas de terme pour le remboursement, dès lors le point de départ du délai quinquennal de l'action en remboursement se situe à la date d'exigibilité de l'obligation, qui doit être recherchée selon la commune intention des parties et les circonstances de l'engagement,
- Elle était d'accord pour que son frère la rembourse quand il le pourrait, compte tenu des difficultés financières rencontrées par ce dernier. Si elle n'a pas réclamé le paiement de la somme, elle n'a toutefois pas renoncé à se prévaloir de son remboursement et il était convenu qu'il règlerait sa dettte lorsqu'il hériterait de ses parents et vendrait la maison dont il s'était vu attribuer la nue propriété. Cependant, il est décédé avant sa mère, qui atteste de l'existence de cet accord. La commune intention des parties était donc de fixer le terme du remboursement au jour du retour à meilleure fortune, cet événement ne s'étant jamais réalisé, de sorte que l'action en remboursement ne peut être prescrite. Les témoignages sont de plus nécessairement limités au cadre familial et ne peuvent être écartés pour ce seul motif.
- Mme [T] [Z] avait également admis l'existence de cette dette, demandant à ce qu'elle ne soit pas présentée immédiatement au notaire dans le cadre de la succession.
- le point de départ du délai de prescription est donc le décès de M. [R] [E], cette date caractérisant la survenance du terme, de sorte que l'action est recevable.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 25 juin 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
- Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription
Selon l'
article 122 du code de procédure civile🏛, constitue une fin de non recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt , la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
Aux termes de l'
article 2224 du code civil🏛, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Lorsqu'un prêt a été consenti sans qu'un terme ait été fixé pour le remboursement, le point de départ du délai se situe à la date d'exigibilité de l'obligation qui lui a donné naissance, laquelle doit être recherchée en l'absence de terme exprès suivant la commune intention des parties et les circonstances de l'engagement.
En l'espèce, la reconnaissance de dette du 7 janvier 2001 rédigé par M. [R] [E], selon laquelle il reconnaît devoir à sa soeur Mme [G] [E] la somme de 258 000 francs soit 39 331,85 euros ne fixe pas de terme pour le remboursement. Le silence des parties sur ce point signifie seulement que la date de restitution est restée hors du champ contractuel et que les parties ont entendu remettre à plus tard l'examen de cette question. Il appartient donc au juge de déterminer la commune intention des parties.
Il est tout d'abord établi par les différentes pièces du dossier que M. [R] [E] connaissait une situation financière difficile et que c'est dans ce contexte que le prêt consenti par sa soeur a eu lieu.
Ensuite, Mme [J] [E], mère de [N] [X] [E] et [G] [E] atteste que le 28 décembre 2009 après les funérailles de son époux, elle a eu une discussion avec son fils notamment sur la dette que ce dernier avait envers sa soeur et qu'il lui a confirmé qu'il ferait le nécessaire 'en temps voulu'.
Elle a également indiqué le 15 septembre 2012 avoir été témoin de l'accord verbal entre ses enfants sur le remboursmenet de la reconnaissance de dette, prévoyant que sa fille ne demandera à son frère le remboursement du montant total qui lui est dû qu'en cas de force majeure ou d'événement majeur intervenant de part et d'autre, sans limite et ce jusqu'à ce qu'il retrouve une situation financière stable.
Mme [A] [E], fille de l'intimée atteste que le 6 avril 2018, lors d'une rencontre avec son oncle, ce dernier ayant demandé à son père de venir lui donner un avis sur les travaux à réaliser dans la maison de sa grand mère à la suite d'un sinistre survenu le 27 février 2018, son oncle a insisté sur le fait que les travaux étaient indispensables, car il avait pour projet de vendre la maison, afin de rembourser sa dette envers sa soeur.
M. [U] [A] [E], fils de Mme [Ac] [E] atteste que pendant la pandémie, il a été témoin d'une discussion entre son père et son oncle, le premier demandant au second quand il sera en mesure de rembourser sa dette, et que ce dernier lui a répondu qu'il utilisera la vente de la maison de sa mère pour rembourser la somme due.
Mme [T] [Z] indique également dans un sms à Mme [Ac] [E] ' une petite chose pour le notaire demain : ne produis pas encore la reconnaissance de dettes, on fera le moment...', ce qui corrobore qu'elle avait connaissance de celle-ci et que l'obligation n'était pas exigible antérieurement au décès.
Si les témoignages émanent tous de la famille proche, ils ne peuvent être écartés de ce seul fait, le litige étant intra-familial.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la commune intention des parties était de prévoir un remboursement, lorsque M. [R] [E] serait revenu à meilleure fortune et notamment lorsqu'il aurait pu vendre la maison de sa mère dont il a la nue propriété. Néanmoins, ces événéments n'ayant pu se réaliser, M. [R] [E] n'étant pas revenu à meilleure fortune et n'ayant pas vendu la maison, c'est bien au jour du décès de M. [R] [E] que la dette est devenue exigible.
Le point de départ de la prescription se situe ainsi à cette date et non pas à la date de la reconnaissance de dette ou de l'acte de donation partage contrairement à ce que soutiennent les appelants, ces dates ne coïncidant nullement avec la date d'exigibilité de la dette, les attestations produites révélant que M. [R] [E] avait prévu de rembourser sa dette ultérieurement, lorsque sa situation financière se serait améliorée et notamment lors de la vente de la maison de sa mère, maison sur laquelle il disposait de la nue propriété après le décès de son père.
M. [R] [E] étant décédé le [Date décès 4] 2021 et l'assignation ayant été délivrée le 3 juin 2022, soit dans le délai de cinq ans, la prescription n'est pas acquise.
En conséquence, l'ordonnance ayant rejeté la fin de non-recevoir et déclaré l'action de Mme [G] [E] recevable est confirmée.
- Sur les demandes accessoires
Les dispositions de l'ordonnance relative aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile sont confirmées.
Les appelants n'obtenant pas gain de cause dans le cadre de leur recours sont condamnés aux dépens de la procédure d'appel.
L'équité commande de débouter Mme [G] [E] de sa demande au titre des frais irrépétibles exposés par elle en cause d'appel.
Compte tenu de l'issue du litige, la demande de Mme [T] [Z] et de M. [B] [E] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile est rejetée.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme l'ordonnance déférée,
Y ajoutant,
Condamne Mme [T] [Z] et M. [B] [E] aux dépens d'appel,
Déboute Mme [G] [E] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
Déboute Mme [T] [Z] et M. [B] [E] de leur demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE