Jurisprudence : CAA Nantes, 1ère ch., 01-03-1999, n° 96NT01636

Cour administrative d'appel de Nantes

Statuant au contentieux
S.A.R.L. LE PATIS FRAUX


M. ISAÏA, Rapporteur
M. AUBERT, Commissaire du gouvernement


Lecture du 1 mars 1999



R E P U B L I Q U E   F R A N C A I S E
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


    
Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 25 juillet 1996, et le mémoire complémentaire, enregistré le 17 septembre 1996, présentés pour la S.A.R.L. LE PATIS FRAUX, qui a son siège 4 rue Bizante à Vern-sur-Seiche (35770), par Me GOURLAOUEN, avocat au barreau d'Avranches ;
    La S.A.R.L. LE PATIS FRAUX demande à la Cour :
    1 ) d'annuler le jugement n 911519 du 29 mai 1996 par lequel le Tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande en décharge des suppléments d'impôt sur les sociétés auxquels elle a été assujettie au titre des années 1986, 1987 et 1988 et des pénalités y afférentes ;
    2 ) de prononcer la décharge des impositions contestées et des pénalités dont elles ont été assorties, soit la somme de 1 105 332 F ;
    3 ) de condamner l'Etat à lui rembourser ses frais irrépétibles ;
    Vu les autres pièces du dossier ;
    Vu la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
    Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
    Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
    Vu la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
    Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience,
    Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 2 février 1999 :
    - le rapport de M. ISAÏA, premier conseiller,
    - et les conclusions de M. AUBERT, commissaire du gouvernement ;


    Sur la régularité de la procédure d'imposition :
    
Considérant, en premier lieu, que la S.A.R.L. LE PATIS FRAUX soutient qu'au cours de la vérification de comptabilité elle a été privée d'un débat oral et contradictoire ; qu'il est constant que le vérificateur est intervenu sur place à deux reprises ; que la société requérante n'établit pas qu'il se serait alors refusé à tout échange de vues ; que la brièveté des opérations de contrôle ne saurait démontrer à elle seule l'absence d'un débat oral et contradictoire ; que, par ailleurs, si au cours d'une vérification de comptabilité il doit être offert au contribuable d'avoir un tel débat avec l'agent vérificateur, relatif aux constatations auxquelles donne lieu ce contrôle, il est, en revanche, sans incidence sur la régularité dudit contrôle que le vérificateur s'abstienne de faire part au contribuable, à cette occasion, en vue de lui permettre d'en discuter, des éléments d'information qu'il a pu recueillir auprès de tiers ; que, dans ces conditions, la société requérante n'est donc pas fondée à soutenir que la vérification de comptabilité serait entachée d'irrégularité ;
    Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article L.57 du livre des procédures fiscales : 'L'administration adresse au contribuable une notification de redressement qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation ... Lorsque l'administration rejette les observations du contribuable sa réponse doit également être motivée' ; qu'il est constant que le vérificateur a indiqué, dans la notification de redressement du 18 décembre 1989, qu'une facture en date du 15 décembre 1986, remise au service, était une facture de complaisance ; qu'ainsi, la S.A.R.L. LE PATIS FRAUX a été mise à même, avant le recouvrement des impositions litigieuses, de demander la communication des éléments sur lesquels se fondait l'administration pour procéder au rehaussement contesté ; que si la requérante allègue avoir sollicité une telle communication, elle ne l'établit pas ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que les dispositions précitées de l'article L.57 du livre des procédures fiscales auraient été méconnues doit être rejeté ;
    Considérant, en troisième lieu, que la société n'établit pas, par les éléments qu'elle verse au dossier, que des manoeuvres du service l'auraient empêchée de saisir la commission départementale des impôts ;
    Considérant, enfin, que la circonstance qu'au cours de la procédure contentieuse l'administration aurait justifié les redressements en se fondant sur des motifs de fait différents de ceux qui étaient indiqués dans la notification de redressement n'est pas de nature à entacher d'irrégularité la procédure d'imposition ;
    Sur l'application des dispositions combinées des articles 44 bis et 44 quater du code général des impôts :
    En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :


    Considérant qu'aux termes de l'article 44 quater du code général des impôts : 'Les entreprises créées du 1er janvier 1983 au 31 décembre 1986, soumises de plein droit ou sur option à un régime réel d'imposition de leurs résultats et répondant aux conditions prévues aux 2 et 3 du II et au III de l'article 44 bis, sont exonérées d'impôt sur le revenu ou d'impôt sur les sociétés à raison des bénéfices industriels et commerciaux qu'elles réalisent à compter de la date de leur création jusqu'au terme du trente-cinquième mois suivant celui au cours duquel cette création est intervenue. Les bénéfices réalisés au cours des vingt-quatre mois suivant la période d'exonération précitée ne sont retenus dans les bases de l'impôt sur le revenu et de l'impôt sur les sociétés que pour la moitié de leur montant £..' ; qu'aux termes de l'article 44 bis du même code, dans sa rédaction applicable à l'espèce : ' ... II ... 2 A la clôture de l'exercice, le prix de revient des biens d'équipement amortissables selon le mode dégressif ... doit représenter au moins les 2/3 du prix de revient total des immobilisations corporelles amortissables ; les entreprises qui ne remplissent pas cette condition à la clôture de leur premier exercice peuvent pratiquer l'abattement à titre provisoire ; cet avantage leur sera définitivement acquis si le pourcentage des deux tiers est atteint à la clôture de l'exercice suivant ...' ;
    Considérant qu'il résulte de l'instruction que la S.A.R.L. LE PATIS FRAUX, pour justifier de ce qu'elle remplissait au 31 décembre 1986, date de la clôture du deuxième exercice suivant sa création, la condition susmentionnée relative à la détention de biens amortissables selon le mode dégressif, a produit au vérificateur une facture d'achat d'un micro-ordinateur datée du 15 décembre 1986 ; que, toutefois, il ressort des constatations de fait opérées par le tribunal de grande instance de Rennes, statuant en matière pénale dans un jugement en date du 28 avril 1994, devenu définitif, que la véritable facture date du 22 avril 1987 et que celle du 15 décembre 1986 constitue une facture de complaisance largement antidatée, qui doit être regardée comme dépourvue de toute portée ; qu'il s'attache à ces constatations qui sont le soutien nécessaire du dispositif du jugement susmentionné, l'autorité de la chose jugée ; que, par ailleurs, si la société requérante soutient avoir disposé d'un micro-ordinateur dès la fin de l'année 1986, à raison d'un prêt que lui aurait accordé son fournisseur, consécutivement à la commande qu'elle aurait effectuée et en l'absence de disponibilité immédiate de ce type de matériel, elle n'assortit ces allégations d'aucun commencement de preuve ; qu'il suit de là que la S.A.R.L. LE PATIS FRAUX ne remplissait pas, au 31 décembre 1986, la condition mentionnée au II de l'article 44 bis du code général des impôts ; que, dès lors, au regard de la loi fiscale elle ne pouvait prétendre au bénéfice de l'exonération prévue par les dispositions précitées ;
    En ce qui concerne le bénéfice de l'interprétation de la loi fiscale donnée par l'administration :


    Considérant que la société requérante soutient, sur le fondement des dispositions de l'article L.80-A du livre des procédures fiscales, qu'elle est en droit de se prévaloir de la réponse du ministre du budget à M. REYMANN, député, publiée au journal officiel du 1er décembre 1990 ; que, toutefois, ladite réponse a le caractère d'une recommandation adressée aux services et non celui d'une interprétation d'un texte fiscal dont le contribuable pourrait se prévaloir ; que la société requérante invoque également le bénéfice de l'instruction du 16 mars 1984 selon laquelle, pour l'appréciation de la condition relative aux biens amortissables suivant le mode dégressif, il est retenu 'les biens pris en location pour une durée minimale de deux ans' ; que, toutefois, s'agissant de l'ordinateur appartenant au cabinet de M. Georges COLLIOT, dans les locaux duquel elle exerçait son activité, la société requérante n'établit pas l'existence d'une telle location ; que, par suite, elle ne saurait utilement se prévaloir de l'instruction dont il s'agit ;
    Sur les pénalités pour manoeuvres frauduleuses :
    Considérant qu'à la suite de la vérification de comptabilité de la S.A.R.L. LE PATIS FRAUX l'administration a constaté que celle-ci avait produit une facture de complaisance largement antidatée, sans laquelle elle n'aurait pu justifier d'un amortissement selon le mode dégressif au moins égal aux deux tiers du prix de revient de ses biens d'équipement, avant la date requise ; que de tels agissements, destinés à égarer le pouvoir de contrôle de l'administration, doivent être regardés comme constitutifs de manoeuvres frauduleuses au sens de l'article 1729 du code général des impôts ; que, par ailleurs, le moyen tiré de l'article 6 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'est pas assorti de précisions suffisantes pour que la Cour puisse en apprécier le bien-fondé ; que, dès lors, la société requérante n'est pas en droit de prétendre à la réduction des pénalités contestées ;
    Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la S.A.R.L. LE PATIS FRAUX n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande ;
    Sur les conclusions tendant à l'allocation des sommes non comprises dans les dépens :

    Considérant que les conclusions fondées sur les dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, présentées par la S.A.R.L. LE PATIS FRAUX, partie perdante à l'instance, et tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui rembourser les frais qu'elle a exposés ne peuvent qu'être rejetées ;


Article 1er : La requête de la S.A.R.L. LE PATIS FRAUX est rejetée.
Article 2  : Le présent arrêt sera notifié à la S.A.R.L. LE PATIS FRAUX et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

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