CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 12 septembre 2024
Cassation
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 747 F-B
Pourvoi n° J 22-14.609
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 12 SEPTEMBRE 2024
La société [N]-Boiziot, notaires associés, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 4], [Localité 3], a formé le pourvoi n° J 22-14.609 contre l'arrêt rendu le 16 février 2022 par la cour d'appel d'Agen (chambre civile), dans le litige l'opposant à la société Mandataires judiciaires associés (MJA), dont le siège est [Adresse 1], [Localité 6], prise en qualité de liquidateur judiciaire de la société e-Motion, dont le siège social est [Adresse 2], [Localité 5], prise en la personne de Mme [Aa] [Ab], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vendryes, conseiller, les observations de la SARL Boré, Ac de Bruneton et Mégret, avocat de la société [N]-Boiziot, notaires associés, de Me Balat, avocat de la société Mandataires judiciaires associés (MJA), prise en la personne de Mme [Ab], en qualité de liquidateur judiciaire de la société e-Motion et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 18 juin 2024 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Vendryes, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Agen, 16 février 2022), la société MJA, en qualité de mandataire à la liquidation judiciaire de la société e-Motion, a saisi le président d'un tribunal judiciaire pour obtenir la délivrance, par la société civile professionnelle notariale [N]-Boiziot (la SCP notariale), de tout document en sa possession susceptible de faire connaître la consistance des droits du gérant de fait de cette société dans la succession de sa mère.
2. Par ordonnance du 6 novembre 2020, le président du tribunal a autorisé la SCP notariale à délivrer ces documents et notamment l'acte de notoriété, l'état de l'actif et du passif de la succession, les actes de donation consentis par la défunte au gérant, la déclaration de succession et l'acte de partage.
3. Par ordonnance du 8 février 2021, le juge des référés d'un tribunal judiciaire a rejeté la demande en rétractation de la décision précitée et confirmé celle ci à condition que les informations communiquées ne portent pas atteinte à la confidentialité attachée à la situation des autres héritiers ou ayants droit de la succession.
4. La SCP notariale a relevé appel de cette ordonnance.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
5. La SCP notariale fait grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance du 8 février 2021, sauf en ce qu'elle a limité l'autorisation accordée à la SCP de notaires à délivrer à la société MJA, prise en la personne de Mme [Ab], en qualité de liquidateur judiciaire, tout document dont il était actuellement dépositaire susceptible de faire connaître la consistance des droits de M. [V] [T] dans la succession [F], à la condition que cette information ne porte pas atteinte à la confidentialité attachée à la situation des autres héritiers ou ayants droit de la succession, alors « qu'en toute hypothèse, la procédure prévue par l'article 23 de la loi du 23 ventôse an XI, permettant à un tiers d'obtenir judiciairement la délivrance d'actes ou copies détenus par un notaire ne saurait, sans porter atteinte au secret professionnel auquel l'officier ministériel est tenu, déroger au principe du contradictoire ; qu'en retenant, par motifs adoptés du premier juge, que l'article 23 de la loi du 25 ventôse an XI « ouvre expressément au président du tribunal judiciaire la faculté d'autoriser sur requête, nonobstant les dispositions qu'il contient, la délivrance par les notaires des actes qui y sont visés », cependant que ces dispositions ne prévoient aucune dérogation au principe du contradictoire, dont le respect est au contraire nécessaire pour garantir le secret professionnel auquel l'officier ministériel est tenu, la cour d'appel a violé les
articles 23 de la loi du 25 ventôse an XI et 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales🏛. »
Réponse de la Cour
Vu l'
article 23 de la loi du 25 ventôse an XI, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2000-916 du 19 septembre 2000🏛, et l'
article 1436 du code de procédure civile🏛 :
6. Selon le premier de ces textes, le notaire ne peut délivrer expédition ni donner connaissance des actes qu'il a établis à d'autres personnes intéressées en nom direct, héritiers ou ayants droit, sauf néanmoins l'exécution des lois et règlements sur le droit d'enregistrement et de ceux relatifs aux actes soumis à une publication, sans une ordonnance du président du tribunal judiciaire.
7. Il résulte du second que le président du tribunal judiciaire, lorsqu'il est saisi par voie de requête d'une telle demande, ne peut statuer que le demandeur et le dépositaire entendus ou appelés.
8. Pour confirmer l'autorisation donnée à la SCP notariale de délivrer au liquidateur judiciaire tout document dont il était dépositaire susceptible de faire connaître la consistance des droits du gérant de fait de la société e-Motion dans la succession de sa mère, l'arrêt retient, par motifs adoptés, que le défaut d'audition du notaire lors de la délivrance de l'ordonnance sur requête du 6 novembre 2020, ne lui avait pas fait grief au-delà du caractère trop large de la requête dont il pouvait être tenu compte dans un débat contradictoire postérieur.
9. En statuant ainsi, alors que les dispositions de la loi susvisée ne prévoient aucune dérogation au principe de la contradiction, dont le respect est au contraire nécessaire pour garantir le secret professionnel auquel l'officier ministériel est tenu, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 16 février 2022, entre les parties, par la cour d'appel d'Agen ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;
Condamne la société MJA, prise en la personne de Mme [Ab], en qualité de mandataire à la liquidation judiciaire de la société e-Motion, aux dépens ;
En application de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze septembre deux mille vingt-quatre.