Jurisprudence : Chbre mixte, 04-11-2002, n° 00-15.087, publié, Cassation

Chbre mixte, 04-11-2002, n° 00-15.087, publié, Cassation

A6872A3W

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Chbre mixte, 04-11-2002, n° 00-15.087, publié, Cassation. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1110499-chbre-mixte-04112002-n-0015087-publie-cassation
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COUR DE CASSATION
CHAMBRE MIXTE
Audience publique du 4 novembre 2002
Cassation
M. CANIVET, premier président
Pourvoi n° Z 00-15.087
Arrêt n° 215 P
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, siégeant en CHAMBRE MIXTE, a rendu l'arrêt suivant

Sur le pourvoi formé par M. Bernard Z, mandataire judiciaire, demeurant Brest Cedex,
en cassation d'un arrêt rendu le 25 février 2000 par la cour d'appel de Paris (1re chambre, section B), au profit

1°/ de M. Antoine Y, demeurant Marseille,

2°/ de la société Éditions Albin Michel, société anonyme, dont le siège est Paris,
défendeurs à la cassation ;
Par arrêt du 21 février 2002, la Deuxième chambre civile a renvoyé le pourvoi devant une Chambre mixte. Le premier président a, par ordonnance du 21 octobre 2002, indiqué que cette Chambre mixte sera composée de la Deuxième chambre civile, de la Chambre commerciale, économique et financière, et de la Chambre criminelle ;
Le demandeur invoque, devant la Chambre mixte, les moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Ces moyens ont été formulés dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de Cassation par Me Blondel, avocat de M. Z ;
Un mémoire en défense a été déposé au greffe de la Cour de Cassation par la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. Y et de la société Albin Michel ;
Sur quoi, LA COUR, siégeant en Chambre mixte, en l'audience publique du 25 octobre 2002, où étaient présents M. U, premier président, MM. T, T, T, présidents, Mme S, conseiller rapporteur, MM. Guerder, Tricot, Joly, Mme Chanet, MM. Mazars, Le Corroller, Mme Lardennois, M. Gomez, conseillers, M. R R, premier avocat général, Mme Q, greffier en chef ;
Sur le rapport de Mme S, conseiller, les observations de Me P, de la SCP Piwnica et Molinié, les conclusions de M. R R, premier avocat général, auxquelles les parties invitées à le faire, n'ont pas souhaité répliquer, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le premier moyen
Vu les articles 31 et 46 de la loi du 29 juillet 1881 ;
Attendu que l'interdiction d'exercer l'action civile séparément de l'action publique, édictée par l'article 46 de la loi visée, ne concerne que la diffamation commise envers les personnes protégées par l'article 31 de la même loi et notamment les citoyens chargés d'un service public ; qu'une telle qualité est reconnue à celui qui accomplit une mission d'intérêt général en exerçant des prérogatives de puissance publique ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société des Éditions Albin X a publié, le 26 mars 1998, un livre de M. Y intitulé "La mafia des tribunaux de commerce" mettant en cause, de la page 84 à la page 88, M. Z, mandataire judiciaire, accusé d'avoir liquidé à vil prix les biens d'entreprises en difficulté ; que s'estimant diffamé, M. Z a fait assigner, par acte d'huissier de justice du 23 juin 1998, M. Y et la société éditrice, en réparation de son préjudice, sur le fondement des articles 29 et 32, alinéa 1, de la loi du 29 juillet 1881 ; que les défendeurs ont invoqué l'irrecevabilité de la demande, en application de l'article 46 de la loi du 29 juillet 1881, et subsidiairement la nullité de l'assignation en application de l'article 53 de ladite loi ;
Attendu que, pour déclarer l'action irrecevable devant la juridiction civile, l'arrêt retient qu'en application de la loi du 25 janvier 1985 sur le redressement et la liquidation judiciaires, les administrateurs judiciaires et les mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises assument une mission de service public dans le cadre d'une activité libérale ; qu'à cette fin, de par leur statut et leur réglementation, il leur est imposé des obligations particulières et donné des pouvoirs et prérogatives propres découlant du mandat de justice qui leur est confié par l'autorité judiciaire et qui font d'eux, non pas de simples mandataires des personnes qu'ils représentent, chargés de la protection d'intérêts privés mais des organes nécessaires de la procédure collective, devant agir pour rechercher les mesures propres à permettre la sauvegarde de l'entreprise, le maintien de l'activité et de l'emploi et l'apurement du passif, et, à défaut d'y parvenir, à la liquidation judiciaire de l'entreprise au mieux des intérêts de toutes les personnes intéressées et de l'intérêt public ; qu'il est le délégué nécessaire de l'autorité judiciaire dans une procédure instituée pour répondre à un besoin d'intérêt général lorsque notamment il engage des poursuites à l'encontre des dirigeants des entreprises placées sous son administration sur le fondement des articles 180 et suivants de la loi du 25 janvier 1985 ; que le mandataire judiciaire à la liquidation des entreprises est un citoyen protégé par les dispositions de l'article 31 de la loi du 29 juillet 1881 ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que les mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises ne disposent d'aucune prérogative de puissance publique, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 25 février 2000, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne M. Y et la société des Éditions Albin X aux dépens ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, siégeant en Chambre mixte, et prononcé par le premier président en son audience publique du quatre novembre deux mille deux.
LE CONSEILLER RAPPORTEUR, LE PREMIER PRÉSIDENT,
LE GREFFIER EN CHEF,
Moyens produits par Me Blondel, avocat aux Conseils pour M. Z.

MOYENS ANNEXES à
l'arrêt n° 215.P (Chambre mixte)
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré l'action de Me Z irrecevable devant la juridiction civile ;
"Considérant que le citoyen chargé d'un service public, spécialement protégé par l'article 31 de la loi sur la presse est celui qui est investi dans une mesure quelconque d'une partie de l'autorité publique ;"
AUX MOTIFS QUE dans le cadre de l'application de la loi du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises, les administrateurs judiciaires et les mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises assument une mission de service public dans le cadre d'une activité libérale ; qu'à cette fin, de par leur statut et leur réglementation, il leur est imposé des obligations particulières et donné des pouvoirs et prérogatives propres découlant du mandat de justice qui leur est confié par l'autorité judiciaire et qui font d'eux non pas un simple mandataire de la personne qu'il représente chargé de la protection d'intérêts privés mais un organe nécessaire de la procédure collective devant agir pour rechercher les mesures propres à permettre la sauvegarde de l'entreprise, le maintien de l'activité et de l'emploi et l'apurement du passif et, à défaut d'y parvenir, à la liquidation judiciaire de l'entreprise au mieux des intérêts de toutes les personnes intéressées et de l'intérêt public ; que le mandataire judiciaire tient ses pouvoirs du juge et non de la personne qu'il représente ; qu'il dispose, comme l'a justement relevé le tribunal de prérogatives particulières puisqu'aux termes de l'article 183 de la loi du 25 janvier 1985, il peut à l'instar du Procureur de la République saisir le tribunal de poursuites à l'encontre des dirigeants des entreprises dont il est chargé ; qu'il est ainsi en vertu de ses attributions légales le délégué nécessaire de l'autorité judiciaire dans une procédure instituée pour répondre à un besoin d'intérêt général ; que comme l'a fait observer le tribunal "que la qualité des citoyens chargés d'un service ou d'un mandat public" est reconnue en jurisprudence aux mandataires judiciaires lorsqu'il est fait application des articles 177 ancien et 432-11 du nouveau Code pénal représentant les délits de corruption passive et de trafic d'influence commis par des personnes exerçant une fonction publique ; que dans le cadre de poursuites pour outrage (art. 224 du Code pénal) cette qualité a été également reconnue à l'ancien syndic de faillite au motif que "les attributions conférées à celui-ci étaient de celles qui associent à l'oeuvre de justice et constituent une véritable délégation judiciaire" ; qu'en cela, la situation du mandataire judiciaire est assimilable à celle de l'ancien agent de la procédure collective et justifierait, dans les mêmes conditions, qu'il soit fait application des dispositions de l'article 433-5 du nouveau Code pénal réprimant cette infraction ; que la notion de "citoyen chargé d'un service ou d'un mandat public" doit être appréciée de la même manière, qu'il s'agisse de pénaliser spécialement une personne en raison du mandat qu'elle exerce, ou de lui ménager une protection particulière du fait même qu'elle exerce ce mandat ; que le législateur a voulu, par l'incrimination de l'article 31 de la loi du 29 juillet 1881, que l'on ne puisse indûment porter atteinte à l'honneur et à la considération d'une personne participant à l'autorité publique ; qu'en l'occurrence, c'est l'autorité judiciaire, qui se trouve affectée par l'image négative résultant des propos diffamatoires dirigés contre son mandataire ; qu'il y a lieu, en conséquence, de considérer que le mandataire judiciaire à la liquidation des entreprises est un citoyen protégé par les dispositions de l'article 31 précité réprimant plus sévèrement le délit de diffamation".
ALORS QUE les mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises sont des mandataires chargés par décision de justice de représenter les créanciers et de procéder éventuellement à la liquidation d'une entreprise dans les conditions définies par la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises ; que, faute d'être investis dans une mesure quelconque d'une portion de l'autorité publique, même si un intérêt public s'attache à l'exercice de leurs fonctions, les mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises ne sont pas des citoyens chargés d'un service public ; qu'en statuant dès lors comme elle le fait, en déduisant des attributions dévolues aux mandataires judiciaires qu'ils sont investis d'une partie de l'autorité publique, si bien que les dispositions des articles 31 et 46 de la loi du 29 juillet 1881 leur sont applicables, la cour d'appel les viole par fausse application.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré l'action de Me Z irrecevable devant la juridiction civile ;
AUX MOTIFS QUE comme l'a relevé à juste titre le tribunal par des motifs exacts et pertinents que la cour fait siens, que la règle d'ordre public imposant la saisine du tribunal correctionnel en cas de diffamation commise envers un citoyen chargé d'un service public n'est pas contraire au droit dont dispose toute personne à ce que sa cause soit entendue équitablement dès lors que la personne en cause peut demander à la juridiction saisie aussi bien de l'action civile que de l'action publique réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi ; qu'en outre, elle conserve la possibilité de demander à la juridiction civile, sur le fondement de l'article 1382 du code civil, l'indemnisation de son dommage, à condition d'incriminer des faits distincts de ceux susceptibles de relever de la loi sur la liberté de la presse ; que dès lors les articles 21 et 46 de la loi du 29 juillet 1881 ne sont pas incompatibles avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme".
ALORS QUE toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement ; que la dissociation de la faute civile et de la faute pénale implique le droit pour la victime de porter son action devant le juge civil, selon les règles du droit civil pour en obtenir réparation ; qu'ainsi les articles 31 et 46 de la loi du 21 juillet 1881 sont incompatibles avec l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, violée.
LE GREFFIER EN CHEF.

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