Jurisprudence : CA Paris, 4e ch., A, 18-09-2002, n° 2000/22427

CA Paris, 4e ch., A, 18-09-2002, n° 2000/22427

A4823A3Z

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COUR D'APPEL DE PARIS
4ème chambre, section A
ARRÊT DU 18 SEPTEMBRE 2002
(N° 313'3, 8 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général 2000/22427 Pas de jonction
Décision dont appel Jugement rendu le 19 SEPTEMBRE 2000 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE CRÉTEIL 1ère chambre civile RG n° 98/02885 Date ordonnance de clôture 13 MAI 2002 Nature de la décision CONTRADICTOIRE Décision CONFIRMATION PARTIELLE

APPELANT
L'INSTITUT NATIONAL DE L'AUDIOVISUEL "INA" dont le siège est BRY SUR MARNE agissant en la personne de son président domicilié en cette qualité audit siège.
représenté par Me Chantal BODIN CASALIS avoué
assisté de Me Yves BAUDELOT avocat LYSIAS P 59 PARIS
INTIMÉ
Monsieur Jean Y dit Jean X né le ..... à VAUCRESSON (92) de nationalité française demeurant Jean IVRY SUR SEINE.
représentée par Me Dominique OLIVIER avoué
assistée de Me Jocelyne GRANGER avocat D 190 PARIS

COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats M.F. MARAIS conseiller rapporteur a entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés, puis en a rendu compte à la Cour dans son délibéré Lors du délibéré,
Président Marie-Françoise MARAIS
Conseiller Marie-Gabrielle MAGUEUR
Conseiller Dominique ROSENTHAL-ROLLAND
GREFFIER lors des débats et du prononcé de l'arrêt E. ...
DÉBATS A l'audience publique du 25 JUIN 2002
ARRÊT CONTRADICTOIRE Prononcé publiquement par M.F. MARAIS Président laquelle a signé la minute avec E. DOYEN greffier.

Jean Y est le compositeur interprète de la chanson "Deux enfants au soleil". Cette chanson, enregistrée pour l'émission "TOUTE LA CHANSON" diffusée, le 31 décembre 1961, par la RTF, a été partiellement rediffusée, le 31 décembre 1997, par Canal +, dans une émission intitulée "SOS TUBES", coproduite par CANAL +, NOVA PRODUCTION et l'INA ENTREPRISE.
Estimant que cette rediffusion effectuée sans son autorisation portait atteinte à son droit moral d'auteur et d'artiste-interprète et constituait par ailleurs une violation des engagements pris par l'INA à son égard dans une lettre du 28 février 1989, Jean FERRAT a assigné ce dernier, par acte du 20 août 1998, devant le tribunal de CRÉTEIL pour solliciter réparation du préjudice qu'il estime lui avoir été causé.

Par jugement du 19 septembre 2000, le tribunal a
- dit que l'INA en diffusant sans l'autorisation de Jean Y son interprétation de la chanson susvisée enregistrée le 7 décembre 1961 pour l'émission "TOUTE LA CHANSON", alors que celui-ci n'avait pas conclu un contrat conforme à l'article L.212-4 du Code de la propriété intellectuelle, a porté atteinte au droit de l'artiste-interprète reconnu par les articles L.212-3 et L.212-4 du Code de la propriété intellectuelle,
- en conséquence, fait interdiction à l'INA de poursuivre de tels agissements à compter de la signification du jugement, sous astreinte de 500 francs par infraction constatée,
- condamné l'INA à verser à Jean Y la somme de 10.000 francs de dommages-intérêts en réparation de l'atteinte à son droit moral d'artiste interprète,
- autorisé la publication, par extraits ou in extenso, du dispositif du jugement dans deux journaux ou revues au choix du demandeur et aux frais de l'INA sans que le coût en excède la somme de 30.000 francs,
- rejeté les prétentions de Jean Y relatives à l'atteinte à son droit moral d'auteur et à la violation d'engagements contractuels,
- condamné l'INA à payer à Jean Y la somme de 8.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

L'INA a interjeté appel de cette décision, le 23 octobre 2000.

LA COUR,
Vu les conclusions du 23 février 2001 aux termes desquelles l'INA, rappelant que par l'effet de la loi du 7 août 1974 elle a hérité des archives de la RTF et de l'ORTF
- soutient qu'il n'avait pas à solliciter l'autorisation de Jean Y pour faire apport à la coproduction de l'émission "SOS TUBES", par l'intermédiaire de sa filiale, INA ENTREPRISE, des droits d'y intégrer un extrait de la chanson qu'il avait interprétée lors de l'émission diffusée le 11 décembre 1961, ni pour le droit d'auteur, en vertu du protocole d'accord signé, le
22 novembre 1974 avec la SACEM dont Jean Y est membre, ni pour les droits d'artiste-interprète en vertu du contrat signé par lui avec la RTF pour l'interprétation soumis aux dispositions de l'article L. 212-4 du Code de la propriété intellectuelle qui lui sont applicables et vaut autorisation,
- conteste toute valeur contractuelle à la lettre adressée à Monsieur ..., le 28 février 1989, alléguée par l'intimé à l'appui de la prétendue violation des dispositions contractuelles, et demande à la Cour de
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Monsieur Jean Y de ses demandes fondées sur l'atteinte qui aurait été portée à sa qualité d'auteur ainsi qu'aux engagements qu'il aurait pris à son égard, le 28 février 1989,
- l'infirmer en ce qu'il a dit qu'il aurait porté atteinte aux droits d'artiste-interprète de Monsieur ... et en ce qu'il l'a condamné de ce chef,
- lui allouer la somme de 30.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
VU les conclusions en date du 7 ami 2001 aux termes desquelles Jean Y prétendant que la rediffusion partielle de sa chanson, effectuée sans son autorisation, porte atteinte à son droit moral d'auteur et d'artiste-interprète et qu'elle constitue au surplus une violation des engagements pris par l'INA à son égard dans le courrier adressé à Monsieur ..., le 28 février 1989, réitère ses prétentions de première instance et demande à la Cour de
- confirmer le jugement entrepris en ce qui concerne l'atteinte au droit moral d'artiste-interprète sauf à porter à la somme de 20.000 francs le montant des dommages-intérêts alloués de ce chef,
- l'infirmer pour le surplus et condamner l'INA à lui verser la somme de 50.000 francs pour atteinte à son droit moral d'auteur et celle d'un franc au titre de la violation par l'INA de ses engagements,
- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir aux frais de l'INA dans trois journaux, sans que le coût des insertions puisse dépasser 60.000 Francs,
- lui allouer la somme de 30.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
SUR QUOI,
Sur l'atteinte au droit moral d'auteur
Considérant que par l'effet de la loi du 7 août 1974, l'INA a hérité des archives de la RTF et de l'ORTF et des droits dont disposaient ces organismes, à charge pour lui de les conserver et de les exploiter ;
Que pour mener à bien la mission qui lui a été ainsi confiée, l'INA a conclu, le 22 novembre 1996, un protocole d'accord avec la SACEM, la SDRM, la SACD et le SCAM, l'autorisant à mettre à disposition des tiers, en vue notamment de leur télédiffusion, les oeuvres ou extraits des oeuvres sonores et audiovisuelles appartenant à son fond, en contrepartie du versement aux sociétés d'auteurs d'une rémunération annuelle de 5 % calculée selon des modalités précisément arrêtées ;
Considérant qu'il est constant que ce protocole, qui lie chacun des membres de la SACEM, s'applique à Jean Y qui a fait apport de ses oeuvres à celle-ci ;
Mais considérant que si l'INA se trouve effectivement investi des droits patrimoniaux d'auteur et du droit d'autoriser la reproduction - intégrale ou partielle - des oeuvres de son répertoire, elle ne peut exercer, aux lieu et place de l'auteur, le droit moral que reconnaît à celui-ci l'article L.121-1 du Code de la propriété intellectuelle et qui, attaché à la personne de l'auteur, est perpétuel, inaliénable et imprescriptible ;
Qu'il convient en conséquence de rechercher si la rediffusion critiquée porte atteinte au droit moral d'auteur de Jean Y ;
Considérant que si la reprise d'un extrait d'une chanson, telle quelle, dans une émission ultérieure ne porte pas, en soi, atteinte au droit moral d'auteur dès lors que la paternité de l'oeuvre est également respectée, il n'en est pas de même lorsque cet extrait est accompagné, comme en l'espèce, d'un commentaire tel que "des chansons comme ça, j'en fais tous les jours" et coupé par l'intervention d'un humoriste, en l'occurrence J. ..., qui ajoute "si lui a marché, alors j'ai des chances" ; que ces apartés, non dépourvus d'une certaine dérision, portent nécessairement atteinte au droit moral de l'auteur et ne pouvaient, même en dépit de leur vocation humoristique, être ajoutés aux extraits de la chanson sans l'autorisation de Jean Y ;
Que le jugement entrepris, en ce qu'il rejette l'atteinte au droit moral d'auteur, doit donc être infirmé ;
Sur la violation des droits voisins
Considérant que l'article L.212-3 du Code de la propriété intellectuelle dispose que sont soumises à l'autorisation écrite de l'artiste-interprète la fixation de sa prestation, sa reproduction et sa communication au public, l'article L. 121-4 précisant quant à lui que La signature du contrat conclu entre un artiste-interprète et un producteur pour la réalisation d'une oeuvre audiovisuelle vaut autorisation de fixer, reproduire et communiquer au public la prestation de l'artiste interprète ;
Qu'en vertu de l'article L 212-7 du Code de la propriété intellectuelle, ces dispositions sont applicables aux contrats passés antérieurement au 1er janvier 1986 pour les modes d'exploitation qu'ils excluaient ;
Considérant qu'invoquant le bénéfice de ces textes, l'INA prétend qu'un contrat avait été conclu, en 1961, entre Jean Y et la RTF pour l'enregistrement de son interprétation valant autorisation de rediffusion ;
Mais considérant que par des motifs pertinents que la Cour adopte le tribunal a justement relevé que la simple feuille de présence signée par Jean Y aux côtés des autres intervenants, qui ne porte d'autre mention que la date de diffusion et ne comporte aucune clause d'aucune sorte, ne présente pas la nature d'un contrat au sens des textes précités ;
Que l'INA ne peut donc se prévaloir du bénéfice de l'article L. 212-4 du Code de la propriété intellectuelle et valablement prétendre avoir été autorisé par les artistes-interprètes à rediffuser l'émission de 1961 ;
Qu'il convient au surplus de relever que l'autorisation susdite ne s'entend pas du droit moral des artistes-interprètes, lequel est également inaliénable ; que les commentaires ci-dessus évoqués et pour des motifs précédemment indiqués portent également atteinte aux droits d'artiste interprète de Jean Y ;
Que le jugement, qui retient le grief formulé au titre des droits de l'artiste-interprète, doit être confirmé ;
Sur la violation d'engagements contractuels
Considérant que dans une lettre du 28 février 1989, adressé à Monsieur B. ..., conseil, entre autres chanteurs, de Jean Y, l'INA, faisant part de son souci de maintenir avec les artistes la qualité de relation qu'appellent leur talent et leur notoriété, déclare qu'il est disposé à les interroger préalablement à toute utilisation de leurs interprétations télévisuelles ; que toutefois les termes conditionnels de cette lettre et le souhait de voir désigner un interlocuteur unique entre les mains duquel transiteraient les demandes et qui s'obligerait de son côté à fournir une réponse rapide, ne confère pas à ce courrier, non suivi de réponse ou de la conclusion d'une quelconque convention, force obligatoire ;
Que les demandes ponctuelles d'autorisation postérieurement formulées, dans des circonstances non explicitées et dont le caractère systématique n'est pas démontré, ne permettent pas de considérer que la proposition de 1989 aurait été purement et simplement exécutée ;
Que dans ces conditions le tribunal a justement estimé que le grief de violation des engagements contractuels par l'INA n'était pas établi et devait être écarté ;
Sur la réparation du préjudice
Considérant qu'en allouant à Jean Y la somme de 10.000 francs de dommages-intérêts, les premiers juges ont fait une exacte appréciation du préjudice subi par celui-ci du fait des atteintes portées à ses droits d'artiste-interprète ;
Qu'une somme de même montant ( soit 1.524,49 euros) doit lui être octroyée au titre de l'atteinte portée à son droit moral d'auteur ;
Que la mesure de publication, justement limitée à deux parutions et à la somme de 30.000 francs HT sera également confirmée, sauf à préciser que cette mesure devra faire mention du présent arrêt ;
Considérant que la solution du litige commande le rejet de la demande formée par l'INA au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; qu'il convient en revanche d'allouer à Jean Y une somme de 2.000 euros pour ses frais irrépétibles en cause d'appel ;
ARRÊT DU 18 SEPTEMBRE 2002 RG N° 2000/22427 7ème page
br)
Cour d'Appel de Paris 4ème chambre, section A

PAR CES MOTIFS
CONFIRME la décision entreprise en toutes ses dispositions sauf en celles relatives à l'atteinte au droit moral d'auteur, L'infirmant sur ce point,
Condamne l'INA à payer à Jean Y la somme de 1.524,49 euros à titre de dommages-intérêts pour atteinte à son droit moral d'auteur, Y ajoutant,
Dit que la mesure de publication devra faire mention du présent arrêt,
Condamne l'INA à payer à Jean Y la somme de 2.000 euros pour ses frais irrépétibles en cause d'appel,
Rejette toute autre demande, Met les dépens à la charge de l'INA et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.
Le Greffier Le Président

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