SOC.
PRUD'HOMMES LM
COUR DE CASSATION
Audience publique du 10 octobre 2002
Rejet
M. BOUBLI, conseiller le plus ancien faisant fonctions de président
Pourvoi n° N 00-42.906
Arrêt n° 2979 F P
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant
Sur le pourvoi formé par M. Philippe Z, domicilié Roanne, agissant en sa qualité de mandataire-liquidateur de la société anonyme Desarbre international,
en cassation d'un jugement rendu le 20 mars 2000 par le conseil de prud'hommes de Roanne (section Industrie), au profit
1°/ de Mme Annie X, demeurant Riorges,
2°/ de M. Guy W,
3°/ de Mme Huguette W,
demeurant Ouches,
4°/ de Mme Marie-Thérèse V, demeurant Villerest,
5°/ de Mme Christiane U, demeurant Villerest,
6°/ de la délégation régionale UNEDIC AGS Sud-Est, Centre de gestion et d'études AGS (CGEA), dont le siège est Chalon-sur-Saône Cedex,
défendeurs à la cassation ;
Vu la communication faite au Procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 10 juillet 2002, où étaient présents M. Boubli, conseiller le plus ancien faisant fonctions de président, M. Frouin, conseiller référendaire rapporteur, MM. Bouret, Coeuret, conseillers, Mme Barrairon, avocat général, Mme Ferré, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Frouin, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, avocat de M. Z, ès qualités, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique
Attendu que par accord collectif de travail en date du 30 avril 1997, la société Desarbre, qui connaissait des difficultés économiques, a décidé de réduire la durée du travail de l'ensemble des salariés et une partie de leur rémunération et s'est engagée en contrepartie à maintenir l'effectif inscrit au 30 juin 1997 ; que, le 30 septembre 1998, la société a été placée en redressement judiciaire et que sa liquidation a été prononcée le 4 novembre 1998 ; que Mme X et quatre autres salariés ont saisi la juridiction prud'homale d'une demande en paiement de diverses sommes ;
Attendu que M. Z, ès qualités de mandataire-liquidateur de la société Desarbre international, fait grief au jugement attaqué (conseil de prud'hommes de Roanne, 20 mars 2000) de l'avoir condamné ès qualités à payer diverses sommes aux salariés, alors, selon le moyen
1°/ qu'un accord comportant engagement de l'employeur à éviter des licenciements déterminés moyennant une réduction du temps de travail n'équivaut pas à une garantie d'emploi en toutes circonstances ; que, sans méconnaître son engagement contractuel et sans faire preuve de mauvaise foi, l'employeur peut user de son droit d'ordre public de licencier lorsqu'il y est contraint et forcé ; que l'accord conclu le 30 avril 1997 permettait d'éviter la suppression de 28 postes en échange d'une réduction du temps de travail de l'ensemble du personnel ; qu'une violation d'un tel engagement ne peut être constituée par le prononcé de licenciements deux ans plus tard suite à la mise en liquidation judiciaire de la société Desarbre international ; qu'en concluant à une telle violation, sans chercher à déterminer la valeur et la portée de la concession de l'employeur, le juge a violé les articles 1134, 1147, 2044 du Code civil ;
2°/ que les transactions se renfermant dans leur objet, la renonciation y étant faite à un droit ne s'entend que de ce qui est relatif au différend y ayant donné lieu ; qu'en outre, la renonciation ne se présumant pas, le droit auquel il est renoncé doit être déterminé strictement ; que, dans l'accord du 30 avril 1997, la société Desarbre international a renoncé au seul droit de licencier les 28 salariés dont le poste était alors directement remis en question ; qu'elle n'a jamais renoncé définitivement au droit de licencier l'ensemble des salariés dans des conditions exceptionnelles, l'exercice d'un tel droit se situant en dehors de l'accord supposant une poursuite de l'activité ; qu'en concluant à une violation de l'accord du seul fait du prononcé des licenciements rendus inévitables par la mise en liquidation judiciaire, le juge a violé les articles 1134, 1147 et 2048 du Code civil ;
3°/ que la cause étrangère ne revêtant pas les caractères de la force majeure exonère le débiteur de sa responsabilité ; que cette intervention d'un événement causal extérieur témoigne de la bonne foi du débiteur et écarte intégralement sa responsabilité lorsque la propre attitude de celui-ci à l'origine de l'inexécution résulte de la cause étrangère ; que l'état de cessation des paiements puis la liquidation judiciairement prononcée ont contraint la société Desarbre international à licencier son personnel ; que, s'interposant entre la décision de justice et le dommage, cette décision ne casse pas pour autant le lien causal exclusif existant entre ces deux événements ; qu'en condamnant la société Desarbre international au paiement des sommes correspondant à la concession réciproque des salariés, le juge a violé les articles 1147 et 1148 du Code civil ;
4°/ qu'en tout état de cause, la cause étrangère ne revêtant pas les caractères de la force majeure exonère partiellement le débiteur contractuel ; qu'à supposer que le jugement de liquidation et la décision de licencier ne soient pas étroitement liés, la société Desarbre international ne peut se voir imputer l'entière responsabilité de l'inexécution contractuelle ; qu'en faisant supporter par la société Desarbre international la charge de l'intégralité des sommes ayant normalement dues être versées en l'absence d'accord de réaménagement du temps de travail, le juge a violé les articles 1147 et 1148 du Code civil ;
5°/ que les dommages-intérêts par lesquels se résout l'inexécution contractuelle doivent être du strict montant du dommage subi ; que, du mois de juin 1997 au jour des licenciements prononcés en raison de la liquidation judiciaire, la société Desarbre international a respecté son engagement de maintenir les effectifs ; que, durant cette période, la concession réciproque des salariés -baisse de 4 à 5 % de la rémunération- était de ce fait causée et justifiée par la propre concession de l'employeur -renonciation temporaire au droit de procéder à des licenciements ; qu'à supposer que les licenciements finalement prononcée puissent être analysés comme une inexécution contractuelle, l'écart entre l'ancien salaire et le salaire réduit depuis l'accord du 30 avril 1997 n'est dû par l'employeur que du jour des licenciements au terme de l'accord ; qu'en condamnant la société Desarbre international à acquitter cet écart depuis le mois de juin 1997, le juge a ignoré le principe de la réparation intégrale du préjudice et violé l'article 1149 du Code civil ;
6°/ que l'inexécution d'une obligation à exécution successive ou échelonnée survenant après une période d'exécution ne se résout pas par une résolution avec retour au statu quo ante, mais une simple résiliation ne valant que pour l'avenir ; que seule une indivisibilité de l'obligation justifie une telle mesure ; qu'en omettant de rechercher si la société Desarbre international a contracté une obligation indivisible, le juge a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134, 1184, 1217 et suivants du Code civil ;
7°/ que si elle permet à une partie au lien contractuel de ne plus exécuter ses obligations, l'exception d'inexécution, dans le cas d'une obligation à exécution successive ou échelonnée, ne permet pas de méconnaître la période antérieure d'exécution ; qu'ainsi, la partie coupable d'inexécution ne peut être condamnée à indemniser le créancier au titre de cette période ; que, du mois de juin 1997 au jour des licenciements, la société Desarbre international a exécuté son obligation de maintenir les effectifs ; qu'à le supposer constitutif d'une inexécution, le prononcé des licenciements en 1998 ne permet pas de revenir sur cette période d'exécution ; qu'en permettant aux salariés de percevoir un écart de salaire compensé pendant deux ans par une poursuite de contrats de travail menacés, le juge, qui n'a pas caractérisé l'indivisibilité, a méconnu l'effet de l'exception d'inexécution sur le droit à restitution et à réparation et violé l'article 1134, alinéa 1er, du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant relevé que, par accord collectif de travail en date du 30 avril 1997, la société avait pris l'engagement, en contrepartie de la réduction de la durée de travail des salariés assortie d'une réduction de leur rémunération, de maintenir jusqu'au 30 juin 2000 l'effectif de l'entreprise inscrit au 30 juin 1997, la cour d'appel a pu décider que l'inexécution de cette obligation justifiait l'action des salariés en réparation de leur préjudice ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. Z, ès qualités, aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne M. Z, ès qualités, à payer aux salariés chacun la somme de 300 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix octobre deux mille deux.