SOC. MF
COUR DE CASSATION
Audience publique du 30 octobre 2013
Rejet
M. FROUIN, conseiller le plus ancien faisant fonction de
président
Arrêt no 1785 F-D
Pourvois no Y 12-15.755
Z 12-15.756 JONCTION
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant
Statuant sur les pourvois nos Y 12-15.755 et Z 12-15.756 formés par la société International Herald Tribune, société par actions simplifiée, dont le siège est Neuilly-sur-Seine,
contre deux arrêts rendus le 25 janvier 2012 par la cour d'appel de Versailles (17e chambre), dans les litiges l'opposant
1o/ à M. Warren Y, domicilié Fourqueux,
2o/ à M. Nick X, domicilié Paris, défendeurs à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de chacun de ses pourvois, un moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 1er octobre 2013, où étaient présents M. Frouin, conseiller le plus ancien faisant fonction de président, Mme Salomon, conseiller référendaire rapporteur, Mme Terrier-Mareuil, conseiller, Mme Bringard, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Salomon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat de la société International Herald Tribune, de la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat de MM. X et Y, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu leur connexité, joint les pourvois no Y 12-15.755 et Z 12-15.756 ;
Sur le moyen unique commun aux pourvois
Attendu, selon les arrêts attaqués (Versailles, 25 janvier 2012), qu'engagés les 19 février 1978 et 1er septembre 1987 en qualité de journalistes et occupant en dernier lieu respectivement les fonctions de rédacteur en chef adjoint et de " associate director ", MM. X et Y ont été licenciés pour motif économique, les 23 janvier et 1er février 2008 ;
Attendu que l'employeur fait grief aux arrêts de dire le licenciement des salariés sans cause réelle et sérieuse et de le condamner en conséquence au paiement de dommages-intérêts, alors, selon le moyen
1o/ que les pertes financières importantes et récurrentes enregistrées par l'entreprise constituent des difficultés économiques dont le caractère sérieux ne peut être écarté du seul fait que ces pertes, quoique réelles et toujours substantielles à la date du licenciement, se sont sensiblement réduites par rapport aux années passées ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la société International Herald Tribune avait enregistré des pertes financières de plus de 12 000 000 d'euros en 2005, de 11 000 000 d'euros en 2006 et de 3 500 000 d'euros en 2007, qui montraient que " les difficultés économiques de la société étaient réelles et persistantes " à la date du licenciement, en février 2008 ; qu'en retenant néanmoins que le motif économique invoqué à l'appui du licenciement n'était pas sérieux, au motif inopérant que la situation de la société International Herald Tribune connaissait une amélioration très encourageante et que cette amélioration s'était maintenue en 2008 avec des pertes de 3 200 000 d'euros, la cour d'appel a violé par fausse application l'article L. 1233-3 du code du travail ;
2o/ que le juge ne peut retenir que la diminution des pertes de l'entreprise prive de sérieux le motif économique invoqué, sans faire ressortir que cette amélioration préfigure un retour à l'équilibre ; qu'en l'espèce, pour démontrer le caractère structurel de ses difficultés économiques, la société International Herald Tribune faisait valoir qu'après le licenciement intervenu en février 2008, elle avait à nouveau enregistré des pertes de 3 200 000 d'euros en 2008, de 5 100 000 d'euros en 2009 et de 3 000 000 d'euros en 2010 ; qu'en se bornant à relever que la situation de la société International Herald Tribune, dont les pertes étaient passées de 11 400 000 à 3 500 000 d'euros entre 2006 et 2007, avait connu une amélioration très encourageante au moment du licenciement et que cette amélioration s'était " maintenue " en 2008 avec un résultat négatif de 3 200 000 d'euros, sans constater que cette amélioration préfigurait une résorption à termes des difficultés économiques rencontrées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail ;
3o/ que la perte d'un marché qui est de nature à aggraver la situation déficitaire de l'entreprise renforce le sérieux des difficultés économiques rencontrées par l'entreprise à la date du licenciement ; qu'en l'espèce, la société International Herald Tribune faisait valoir que la résiliation du partenariat qui la liait à l'agence de presse Bloomberg entraînait la perte de 3 700 000 d'euros de financement de la production des pages Finance du journal et, en conséquence, une aggravation de sa situation économique déjà très fragile ; qu'elle expliquait également que le nouveau contrat conclu avec l'agence Reuters n'était pas de nature à compenser la perte consécutive à la résiliation du contrat avec Bloomberg, dans la mesure où ce nouveau partenaire s'était seulement engagé à acheter des espaces publicitaires pour un montant de 1 100 000 d'euros ; qu'il en résultait une perte nette d'environ 2 600 000 d'euros ; qu'en retenant, pour dire que les difficultés économiques invoquées n'étaient pas sérieuses, que la perte du marché Bloomberg ne pouvait à elle seule constituer un motif de licenciement et qu'elle était partiellement compensée par le partenariat nouvellement établi avec Reuters qui ouvrait des perspectives de développement sur le web, sans tenir compte de ce que cette perte de marché qui, comme elle l'a elle-même relevée, n'était que partiellement compensée, intervenait alors que l'entreprise enregistrait des pertes de plusieurs millions d'euros, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-3 du code du travail ;
4o / que si les difficultés économiques doivent être appréciées à la date du licenciement, les juges ne peuvent se borner à relever l'existence de résultats bénéficiaires au cours de l'exercice précédant le licenciement pour écarter l'existence de difficultés économiques, si les résultats des exercices précédents et postérieurs sont négatifs ; qu'en outre, les juges ne peuvent refuser de tenir compte des résultats du groupe de l'année au cours de laquelle intervient le licenciement, lorsqu'ils tiennent compte des résultats de l'entreprise au cours de cette année ; qu'en l'espèce, la société International Herald Tribune établissait que la société New York Times Company, qui était son unique actionnaire, rencontrait elle aussi des difficultés économiques à la date du licenciement, en février 2008, et que, si son résultat était positif à la fin de l'année 2007, il s'était soldé par des pertes de plus de 543 000 000 d'euros en 2006 et il était à nouveau négatif de plus de 58 000 000 de dollars en 2008 et de plus de 70 000 000 de dollars en 2009 ; qu'en affirmant qu'il n'y avait pas lieu de tenir compte des pertes annoncées par le New York Times en octobre 2008, tout en se fondant sur les résultats enregistrés par la société International Herald Tribune en 2008 pour caractériser le maintien de l'amélioration de la situation économique de l'entreprise, et en se bornant à relever que les résultats de la société New York Times Company étaient positifs à la fin de l'année 2007 pour dire que les difficultés économiques invoquées n'étaient pas sérieuses, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-3 du code du travail ;
Mais attendu qu'ayant exactement retenu que les difficultés économiques doivent être appréciées au moment du licenciement et au niveau du secteur d'activité du groupe auquel appartient l'entreprise, la cour d'appel, qui a constaté que la situation économique de la société, encore que déficitaire, connaissait une nette amélioration au moment du licenciement et qu'au même moment les résultats du groupe étaient positifs en sorte que les difficultés économiques n'étaient pas caractérisées, a pu décider que le licenciement était dépourvu de cause économique ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE les pourvois ;
Condamne la société International Herald Tribune aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société International Herald Tribune à payer à MM. Y et X la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trente octobre deux mille treize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen commun produit aux pourvois nos Y 12-15.755 et Z 12-15.756 par la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat aux Conseils, pour la société International Herald Tribune.
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit le licenciement de Monsieur Y sans cause réelle et sérieuse et d'AVOIR condamné la société INTERNATIONAL HERALD TRIBUNE à verser à Monsieur Y 130.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
AUX MOTIFS QUE " Que les difficultés économiques doivent être appréciées au moment du licenciement et au niveau du groupe auquel appartient l'entreprise, y compris à l'étranger ; Qu'en l'espèce, sans qu'il y ait particulièrement lieu de tenir compte ni de l'optimisme affiché par les dirigeants d'IHT au début de l'année 2008, ni des pertes annoncées par le NEW YORK TIMES en octobre 2008, ni encore de l'évolution de la situation depuis le licenciement, les résultats négatifs de IHT, de 12 490 330 euros pour 2005, 11 468 939 euros pour 2006 et 3 514 179 euros pour 2007 montrent que, si les difficultés économiques de la société étaient réelles et persistantes, sa situation n'en connaissait pas moins une amélioration très encourageante au moment du licenciement, qui s'est d'ailleurs maintenue en 2008 avec un résultat négatif moindre de 3 203 076 euros ; que les résultats de la compagnie NEW YORK TIMES, de + 253 476 US dollars pour 2005, - 543 433 US dollars pour 2006 étaient à nouveau de + 208 704 US dollars à la fin de l'année 2007 ; Que la perte du marché Bloomberg, qui ne peut à elle seule constituer un motif de licenciement, était en outre partiellement compensée par le partenariat nouvellement établi avec Reuters qui ouvrait des perspectives de développement sur le web ; Qu'il en résulte suffisamment que le motif économique invoqué à l'appui du licenciement n'est pas sérieux ; que le jugement doit donc être infirmé " ;
1. ALORS QUE les pertes financières importantes et récurrentes enregistrées par l'entreprise constituent des difficultés économiques dont le caractère sérieux ne peut être écarté du seul fait que ces pertes, quoique réelles et toujours substantielles à la date du licenciement, se sont sensiblement réduites par rapport aux années passées ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la société INTERNATIONAL HERALD TRIBUNE avait enregistré des pertes financières de plus de 12 millions d'euros en 2005, de 11 millions d'euros en 2006 et de 3,5 millions d'euros en 2007, qui montraient que " les difficultés économiques de la société étaient réelles et persistantes " à la date du licenciement, en février 2008 ; qu'en retenant néanmoins que le motif économique invoqué à l'appui du licenciement n'était pas sérieux, au motif inopérant que la situation de la société INTERNATIONAL HERALD TRIBUNE connaissait une amélioration très encourageante et que cette amélioration s'était maintenue en 2008 avec des pertes de 3,2 millions d'euros, la cour d'appel a violé par fausse application l'article L. 1233-3 du Code du travail ;
2. ALORS, A TOUT LE MOINS, QUE le juge ne peut retenir que la diminution des pertes de l'entreprise prive de sérieux le motif économique invoqué, sans faire ressortir que cette amélioration préfigure un retour à l'équilibre ; qu'en l'espèce, pour démontrer le caractère structurel de ses difficultés économiques, la société INTERNATIONAL HERALD TRIBUNE faisait valoir qu'après le licenciement intervenu en février 2008, elle avait à nouveau enregistré des pertes de 3,2 millions d'euros en 2008, de 5,1 millions d'euros en 2009 et de 3 millions d'euros en 2010 ; qu'en se bornant à relever que la situation de la société INTERNATIONAL HERALD TRIBUNE, dont les pertes étaient passées de 11,4 millions à 3,5 millions d'euros entre 2006 et 2007, avait connu une amélioration très encourageante au moment du licenciement et que cette amélioration s'était " maintenue " en 2008 avec un résultat négatif de 3,2 millions d'euros, sans constater que cette amélioration préfigurait une résorption à termes des difficultés économiques rencontrées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-3 du Code du travail ;
3. ALORS, EN TOUT ÉTAT DE CAUSE, QUE la perte d'un marché qui est de nature à aggraver la situation déficitaire de l'entreprise renforce le sérieux des difficultés économiques rencontrées par l'entreprise à la date du licenciement ; qu'en l'espèce, la société INTERNATIONAL HERALD TRIBUNE faisait valoir que la résiliation du partenariat qui la liait à l'agence de presse BLOOMBERG entraînait la perte de 3,7 millions d'euros de financement de la production des pages Finance du journal et, en conséquence, une aggravation de sa situation économique déjà très fragile ; qu'elle expliquait également que le nouveau contrat conclu avec l'agence REUTERS n'était pas de nature à compenser la perte consécutive à la résiliation du contrat avec BLOOMBERG, dans la mesure où ce nouveau partenaire s'était seulement engagé à acheter des espaces publicitaires pour un montant de 1,1 million d'euros ; qu'il en résultait une perte nette d'environ 2,6 millions d'euros ; qu'en retenant, pour dire que les difficultés économiques invoquées n'étaient pas sérieuses, que la perte du marché BLOOMBERG ne pouvait à elle seule constituer un motif de licenciement et qu'elle était partiellement compensée par le partenariat nouvellement établi avec REUTERS qui ouvrait des perspectives de développement sur le web, sans tenir compte de ce que cette perte de marché qui, comme elle l'a elle-même relevé, n'était que partiellement compensée, intervenait alors que l'entreprise enregistrait des pertes de plusieurs millions d'euros, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-3 du Code du travail ;
4. ALORS, PAR AILLEURS, QUE si les difficultés économiques doivent être appréciées à la date du licenciement, les juges ne peuvent se borner à relever l'existence de résultats bénéficiaires au cours de l'exercice précédant le licenciement pour écarter l'existence de difficultés économiques, si les résultats des exercices précédents et postérieurs sont négatifs ; qu'en outre, les juges ne peuvent refuser de tenir compte des résultats du groupe de l'année au cours de laquelle intervient le licenciement, lorsqu'ils tiennent compte des résultats de l'entreprise au cours de cette année ; qu'en l'espèce, la société INTERNATIONAL HERALD TRIBUNE établissait que la société NEW YORK TIMES COMPANY, qui était son unique actionnaire, rencontrait elle aussi des difficultés économiques à la date du licenciement, en février 2008, et que, si son résultat était positif à la fin de l'année 2007, il s'était soldé par des pertes de plus de 543 millions d'euros en 2006 et il était à nouveau négatif de plus de 58 millions de dollars en 2008 et de plus de 70 millions de dollars en 2009 ; qu'en affirmant qu'il n'y avait pas lieu de tenir compte des pertes annoncées par le NEW YORK TIMES en octobre 2008, tout en se fondant sur les résultats enregistrés par la société INTERNATIONAL HERALD TRIBUNE en 2008 pour caractériser le maintien de l'amélioration de la situation économique de l'entreprise, et en se bornant à relever que les résultats de la société NEW YORK TIMES COMPANY étaient positifs à la fin de l'année 2007 pour dire que les difficultés économiques invoquées n'étaient pas sérieuses, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-3 du Code du travail.