ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
3 octobre 2002 (1)
"Assurance retraite volontaire - Souscription auprès d'une compagnie établie dans un autre État membre - Non-déductibilité des cotisations - Compatibilité avec les articles 6 et 59 du traité CE (devenus, après modification, articles 12 CE et 49 CE), 60, 73 B et 73 D du traité CE (devenus articles 50 CE, 56 CE et 58 CE), ainsi que 92 du traité CE (devenu, après modification, article 87 CE)"
Dans l'affaire C-136/00,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 234 CE, par le Kuopion hallinto-oikeus (Finlande) et tendant à obtenir, dans une procédure engagée par
Rolf Dieter Danner,
une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation des articles 6 et 59 du traité CE (devenus, après modification, articles 12 CE et 49 CE), 60, 73 B et 73 D du traité CE (devenus articles 50 CE, 56 CE et 58 CE), ainsi que 92 du traité CE (devenu, après modification, article 87 CE),
LA COUR (cinquième chambre),
composée de MM. P. Jann, président de chambre, S. von Bahr, D. A. O. Edward, A. La Pergola et M. Wathelet (rapporteur), juges,
avocat général: M. F. G. Jacobs,
greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,
considérant les observations écrites présentées:
- pour M. Danner, par M. P. Manninen, varatuomari,
- pour le gouvernement finlandais, par Mme T. Pynnä, en qualité d'agent,
- pour le gouvernement danois, par M. J. Molde, en qualité d'agent,
- pour la Commission des Communautés européennes, par MM. R. Lyal et M. Huttunen, en qualité d'agents,
- pour l'Autorité de surveillance AELE, par Mme E. Wright, en qualité d'agent,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les observations orales de M. Danner, représenté par M. P. Manninen, du gouvernement finlandais, représenté par Mmes E. Bygglin et K. Seppälä, en qualité d'agents, du gouvernement danois, représenté par M. J. Molde, de la Commission, représentée par MM. R. Lyal et M. Huttunen, ainsi que de l'Autorité de surveillance AELE, représentée par Mme E. Wright et M. P. Bjorgan, en qualité d'agent, à l'audience du 6 décembre 2001,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 21 mars 2002,
rend le présent
Arrêt
1.
Par ordonnance du 22 mars 2000, parvenue à la Cour le 10 avril suivant, le Kuopion hallinto-oikeus (tribunal administratif de Kuopio) a posé, en application de l'article 234 CE, une question préjudicielle relative à l'interprétation des articles 6 et 59 du traité CE (devenus, après modification, articles 12 CE et 49 CE), 60, 73 B et 73 D du traité CE (devenus articles 50 CE, 56 CE et 58 CE), ainsi que 92 du traité CE (devenu, après modification, article 87 CE).
2.
Cette question a été soulevée dans le cadre d'un recours introduit par M. Danner contre le refus de la Siilinjärven verotuksen oikaisulautakunta (commission de vérification en matière fiscale de Siilinjärvi) de lui accorder la déduction intégrale des cotisations d'assurance retraite qu'il a versées à des régimes d'assurance retraite gérés par des institutions allemandes.
Le cadre juridique
La réglementation finlandaise relative à la déductibilité des cotisations d'assurance retraite
3.
En vertu de l'article 96, paragraphe 1, de la tuloverolaki (loi relative à l'impôt sur le revenu, ci-après la "TVL"), les cotisations d'assurance retraite versées à certains régimes obligatoires ou légaux sont déductibles en totalité du revenu salarial net. Cette règle s'applique également dans le cas des régimes étrangers similaires.
4.
En revanche, un régime juridique différent est appliqué aux cotisations d'assurance retraite volontaire selon qu'elles sont versées à des organismes établis en Finlande ou à l'étranger et, dans ce dernier cas, selon la date à laquelle l'assurance a été souscrite.
5.
En vertu de l'article 96, paragraphes 2 à 5, de la TVL, les cotisations versées à des régimes d'assurance retraite volontaire gérés par des institutions finlandaises sont déductibles en tout ou en partie, sous certaines conditions et dans certaines limites. Par exemple, la déduction totale des cotisations est accordée dans une limite de 50 000 FIM si la retraite est servie à titre de pension de vieillesse au plus tôt quand l'assuré atteint l'âge de 58 ans et si ce dernier peut démontrer que la pension à laquelle il a théoriquement droit n'excède pas un certain pourcentage de son revenu.
6.
L'article 96, paragraphe 6, de la TVL prévoit que si l'assurance retraite volontaire ne remplit pas les critères mentionnés aux paragraphes 1 à 5 du même article, le contribuable est en droit de déduire 60 % de ses cotisations dans la limite toutefois de 30 000 FIM par an.
7.
Il est constant que, jusqu'en 1996, les dispositions de l'article 96, paragraphes 2 à 6 de la TVL, s'appliquaient indistinctement aux cotisations versées à des institutions de retraite finlandaises ou étrangères.
8.
L'article 96, paragraphe 9, de la TVL - qui a été introduit dans celle-ci moins de douze mois après l'adhésion de la république de Finlande à l'Union européenne et qui est entré en vigueur le 1er janvier 1996 - exclut désormais la déduction des cotisations versées au titre d'assurances retraite volontaires contractées avec des institutions étrangères, sauf dans deux cas:
- lorsque la pension est accordée par un établissement permanent en Finlande d'une institution étrangère, et
- lorsque l'intéressé a transféré sa résidence de l'étranger en Finlande et n'a pas été contribuable dans cet État membre au cours des cinq années précédant son installation. Dans ce cas, toutefois, les cotisations ne sont déductibles que l'année du changement de résidence et les trois années suivantes.
9.
L'article 96, paragraphe 9, est accompagné de dispositions transitoires. Pour les exercices fiscaux 1996 et 1997, les cotisations versées au titre d'assurances retraite volontaires contractées avec des institutions étrangères avant le 1er septembre 1995 restent soumises au régime en vigueur en 1995, dans la limite d'un plafond déductible annuel de 15 000 FIM.
10.
En vertu d'une autre disposition transitoire, l'article 143, cinquième alinéa, de la TVL, le droit à déduction est plus élevé pour les assurances souscrites et versées avant le 1er octobre 1992, qui ne remplissent pas les critères visés aux paragraphes 2 et 4 de l'article 96 de la TVL. Dans cette hypothèse, le contribuable peut déduire au maximum 10 % de son revenu salarial net de l'année fiscale, cette déduction étant toutefois plafonnée à 50 000 FIM.
11.
Au cours de la procédure législative qui a conduit à l'adoption de l'article 96, paragraphe 9, le gouvernement finlandais a estimé que le régime fiscal de l'assurance retraite volontaire constituait un ensemble cohérent dans lequel la faculté de déduire les cotisations reposait sur la prémisse selon laquelle les prestations versées au retraité feraient l'objet d'une imposition ultérieure. La nouvelle règle serait donc justifiée par l'impossibilité de garantir l'imposition en Finlande des pensions servies par des institutions étrangères ou de vérifier si les conditions de déductibilité fixées à l'article 96, paragraphes 2 à 8, de la TVL sont réunies. À cet égard, le groupe de travail à l'origine du nouvel article 96, paragraphe 9, a considéré que, en pratique, de telles pensions échapperaient souvent à l'impôt en Finlande, soit en raison du départ de leur bénéficiaire à l'étranger, soit à cause d'une circulation déficiente de l'information concernant les pensions servies.
La convention relative à la double imposition conclue entre la république de Finlande et la République fédérale d'Allemagne
12.
Le 11 août 1979, la république de Finlande et la République fédérale d'Allemagne ont conclu une convention visant à éviter la double imposition dans les domaines de l'impôt sur le revenu et de l'impôt sur la fortune (SopS 18/1982; BGBl. 1981 II, p. 1072, ci-après la "convention").
13.
L'article 18, paragraphe 2, de la convention, relatif aux assurances sociales obligatoires, dispose:
"Sans préjudice des dispositions du paragraphe 1 du présent article, les sommes qu'une personne résidant dans un État signataire perçoit en exécution d'une assurance sociale réglementaire de l'autre État signataire sont exemptées d'impôts dans l'État cité en premier lieu. [...]"
14.
L'article 21 de la convention, qui concerne l'imposition des pensions volontaires, prévoit:
"Un revenu, non expressément mentionné aux articles précédents de la présente convention, perçu par une personne résidant dans l'un des États contractants, est imposé seulement dans cet État".
Le litige au principal et la question préjudicielle
15.
M. Danner est médecin et possède les nationalités allemande et finlandaise. Il semble qu'il a vécu et travaillé en Allemagne jusqu'en 1977, époque à laquelle il s'est établi en Finlande.
16.
En 1976, il a commencé à verser des cotisations d'assurance retraite à deux institutions allemandes, la Bundesversicherungsanstalt für Angestellte (ci-après la "BfA") et la Berliner Ärzteversorgung. Selon les informations données par M. Danner, la BfA gère un régime général d'assurance retraite qui est en principe obligatoire pour toute personne travaillant en Allemagne en qualité de salarié. Les cotisations dues à la BfA et les prestations servies par elle sont déterminées par la loi. La Berliner Ärzteversorgung gère, quant à elle, un régime de retraite complémentaire pour les médecins qui a été créé par une organisation professionnelle de médecins et qui est obligatoire en principe pour les médecins qui travaillent dans sa zone d'application géographique, à savoir la ville de Berlin (Allemagne). Les cotisations versées à la Berliner Ärzteversorgung et les prestations servies par celle-ci sont régies par les règles internes de cette institution.
17.
Après son installation en Finlande, M. Danner a décidé de continuer à verser des cotisations aux deux régimes mentionnés au point précédent. Il a justifié ce choix par deux considérations. D'une part, même s'il n'était plus tenu de le faire, il devait néanmoins continuer à verser des cotisations à la BfA s'il souhaitait bénéficier d'une pension en cas d'invalidité. D'autre part, les cotisations versées à ces deux régimes augmentaient ses droits à pension.
18.
D'après les pièces jointes à sa déclaration de revenus, M. Danner a versé en 1996 auxdits régimes une somme totale de 11 176,20 DEM (soit 33 582 FIM ou 5 700 euros) et à une compagnie d'assurance vie finlandaise la somme de 17 635,06 FIM (soit 3 000 euros). Le total de ses cotisations de retraite pour l'année fiscale 1996 s'élevait donc à 51 217 FIM (environ 8 700 euros).
19.
Dans sa déclaration de revenus afférente à l'année 1996, il a réclamé la déduction de ses cotisations d'assurance retraite de son revenu imposable net.
20.
Les autorités fiscales ne lui ont accordé la déduction de ses cotisations d'assurance retraite volontaire qu'à hauteur de 10 % dudit revenu imposable, soit 22 562 FIM (environ 3 800 euros).
21.
La demande de révision de cette décision présentée par M. Danner devant la Siilinjärven verotuksen oikaisulautakunta a été rejetée le 17 février 1998. M. Danner a contesté cette dernière décision devant le Kuopion hallinto-oikeus.
22.
Il a fait valoir, à titre principal, que les cotisations à la BfA et à la Berliner Ärzteversorgung étaient des cotisations obligatoires et, partant, devaient être considérées comme déductibles en totalité en vertu de l'article 96, paragraphe 1, de la TVL. À titre subsidiaire, il a soutenu que lesdites cotisations devaient être déductibles dans la même mesure que des cotisations versées à des régimes d'assurance retraite volontaire contractés avec des institutions finlandaises, à savoir dans la limite de 60 % des cotisations acquittées et de 30 000 FIM par an, conformément à la règle prévue à l'article 96, paragraphe 6, de la TVL.
23.
C'est dans ces conditions que le Kuopion hallinto-oikeus a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
"La restriction [...] du droit de déduire du revenu imposable les cotisations d'assurance retraite dues à l'étranger, prévue à l'article 96, paragraphe 9, première phrase, de la loi finlandaise relative à l'impôt sur le revenu, est-elle contraire à l'article 59 du traité CE [...] ou aux autres dispositions citées dans le recours (articles 6, 60, 73 B, 73 D et 92 du traité CE [...])?"
24.
Par sa question, la juridiction de renvoi demande en substance si une réglementation fiscale d'un État membre qui restreint ou exclut la faculté de déduire aux fins de l'impôt sur le revenu des cotisations d'assurance retraite volontaire versées à des prestataires de pensions établis dans d'autres États membres tout en accordant la faculté de déduire de telles cotisations lorsqu'elles sont versées à des organismes établis dans le premier État membre est contraire aux articles 6, 59, 60, 73 B, 73 D et 92 du traité.
Sur la libre prestation des services
Sur l'applicabilité des dispositions du traité relatives à la libre prestation des services
25.
À titre liminaire, il y a lieu de constater que les dispositions du traité relatives à la libre prestation des services s'appliquent à une situation telle que celle du litige au principal.
26.
En effet, l'article 60 du traité précise que le chapitre concernant les services s'applique aux prestations fournies normalement contre rémunération. Or, il a déjà été jugé que, au sens de cette disposition, la caractéristique essentielle de la rémunération réside dans le fait que celle-ci constitue la contrepartie économique de la prestation en cause (voir arrêt du 27 septembre 1988, Humbel et Edel, 263/86, Rec. p. 5365, point 17).
27.
En l'occurrence, les cotisations que verse M. Danner constituent bien la contrepartie économique des pensions qui lui seront servies lorsqu'il cessera d'exercer ses activités et elles présentent incontestablement un caractère rémunératoire dans le chef des deux institutions allemandes qui les perçoivent (voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2001, Smits et Peerbooms, C-157/99, Rec. p. I-5473, point 58).
Sur l'existence d'une restriction à la libre prestation des services
28.