Faits et procédure
1. M. [Aa] et Mme [B], qui vivaient en concubinage, ont acquis en indivision, le 25 juin 2002, un bien immobilier destiné au logement de la famille. Ils se sont séparés en août 2019.
2. L'ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de l'indivision a été ordonnée judiciairement, le 6 mai 2021, un notaire étant désigné pour y procéder.
3. Par arrêt du 17 octobre 2023, la cour d'appel de Colmar a déclaré prescrites tant la créance d'apport de M. [P] que les créances de conservation du bien indivis nées antérieurement au 6 mai 2016 dont il voudrait se prévaloir à l'égard de l'indivision constituée avec Mme [B].
Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité
4. A l'occasion du pourvoi qu'il a formé contre l'arrêt précité, M. [Aa] a, par mémoire distinct et motivé, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel deux questions prioritaires de constitutionnalité ainsi rédigées :
« 1°/ L'
article 2236 du code civil🏛, en ce qu'il ne prévoit la suspension de la prescription qu'entre époux et partenaires pacsés, et non entre concubins, méconnaît-il le principe d'égalité garanti par les articles 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et 1er de la Constitution ? »
« 2°/ L'article 2236 du code civil, qui ne prévoit la suspension de la prescription qu'entre époux et partenaires pacsés, ce qui contraint le concubin à agir en justice contre l'autre pendant le cours du concubinage pour interrompre la prescription applicable à ses créances patrimoniales contre ce dernier, laquelle peut se trouver acquise lors de sa rupture, méconnaît-il le droit de mener une vie familiale normale résultant des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 ? »
Examen des questions prioritaires de constitutionnalité
5. La disposition contestée, en ce qu'elle ne vise pas les concubins, est applicable au litige, au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958.
6. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
7. Cependant, d'une part, les questions posées, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, ne sont pas nouvelles.
8. D'autre part, les questions posées ne présentent pas un caractère sérieux.
9. D'abord, la disposition en cause, en ce qu'elle prévoit que la prescription ne court pas ou est suspendue entre époux, ainsi qu'entre partenaires liés par un pacte civil de solidarité (PACS), sans étendre ce régime de prescription aux concubins, ne méconnaît pas le principe d'égalité devant la loi, dès lors que la différence de traitement qui en résulte, fondée sur une différence de situation, est en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
10. En effet, afin de préserver la paix des ménages en évitant qu'un époux puisse être contraint, pour interrompre la prescription, d'intenter une action contre son conjoint pendant la durée du mariage, le législateur a pu prévoir que la prescription ne courrait pas ou serait suspendue pendant la durée de l'union, et étendre ensuite cette disposition aux partenaires liés par un PACS, auxquels il a accordé des droits et des obligations particuliers en créant une autre forme d'union légale dotée d'un statut et produisant un ensemble d'effets de droit, sans toutefois inclure les concubins, dont la situation se distingue en ce qu'il s'agit d'une union de fait qui se forme et se défait par la seule volonté, en dehors de tout cadre juridique, et qui emporte des droits et obligations moins nombreux.
11. Ensuite, l'application de la disposition contestée, elle-même, ne peut entraîner une atteinte au droit des concubins à mener une vie familiale normale, en ce qu'elle n'impose nullement à celui qui détient une créance contre l'autre d'agir en justice pendant la durée de leur relation afin d'éviter la prescription.
12. En outre, à supposer que la seconde question invoque l'atteinte à la vie familiale normale en ce qu'elle résulterait de la méconnaissance, par le législateur, de sa propre compétence, un tel grief d'incompétence négative, qui ne peut porter que sur l'insuffisance du dispositif instauré par la disposition contestée, serait inopérant à critiquer l'abstention du législateur qui n'a pas élaboré de régime de prescription réservé aux concubins.
13. En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer les questions au Conseil constitutionnel.