Cour de justice des Communautés européennes11 juillet 2002
Affaire n°C-210/00
Käserei Champignon Hofmeister GmbH & Co. KG
c/
Hauptzollamt Hamburg-Jonas
ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
11 juillet 2002 (1)
"Agriculture - Restitutions à l'exportation - Déclaration inexacte - Sanction - Validité de l'article 11, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), du règlement (CEE) n° 3665/87, tel que modifié par le règlement (CE) n° 2945/94 - Notion de 'force majeure"
Dans l'affaire C-210/00,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 234 CE, par le Bundesfinanzhof (Allemagne) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre
Käserei Champignon Hofmeister GmbH & Co. KG
et
Hauptzollamt Hamburg-Jonas,
une décision à titre préjudiciel sur la validité de l'article 11, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), du règlement (CEE) n° 3665/87 de la Commission, du 27 novembre 1987, portant modalités communes d'application du régime des restitutions à l'exportation pour les produits agricoles (JO L 351, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) n° 2945/94 de la Commission, du 2 décembre 1994 (JO L 310, p. 57), et sur l'interprétation de la notion de "force majeure" figurant à l'article 11, paragraphe 1, troisième alinéa, premier tiret, du même règlement,
LA COUR (cinquième chambre),
composée de MM. D. A. O. Edward, faisant fonction de président de la cinquième chambre, A. La Pergola et C. W. A. Timmermans (rapporteur), juges,
avocat général: Mme C. Stix-Hackl,
greffier: M. H. A. Rühl, administrateur principal,
considérant les observations écrites présentées:
- pour Käserei Champignon Hofmeister GmbH & Co. KG, par Me J. Gündisch, Rechtsanwalt,
- pour la Commission des Communautés européennes, par M. M. Niejahr, en qualité d'agent,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les observations orales de Käserei Champignon Hofmeister GmbH & Co. KG, représentée par Mes J. Gündisch et U. Schrömbges, Rechtsanwalt, et de la Commission, représentée par M. G. Braun, en qualité d'agent, à l'audience du 27 septembre 2001,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 27 novembre 2001,
rend le présent
Arrêt
1.
Par décision du 4 avril 2000, parvenue à la Cour le 26 mai suivant, le Bundesfinanzhof a posé, en application de l'article 234 CE, deux questions préjudicielles relatives, la première, à la validité de l'article 11, paragraphe 1,premier alinéa, sous a), du règlement (CEE) n° 3665/87 de la Commission, du 27 novembre 1987, portant modalités communes d'application du régime des restitutions à l'exportation pour les produits agricoles (JO L 351, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) n° 2945/94 de la Commission, du 2 décembre 1994 (JO L 310, p. 57, ci-après le "règlement n° 3665/87"), et, la seconde, à l'interprétation de la notion de "force majeure" figurant à l'article 11, paragraphe 1, troisième alinéa, premier tiret, du même règlement.
2.
Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant Käserei Champignon Hofmeister GmbH & Co. KG (ci-après "KCH") au Hauptzollamt Hamburg-Jonas (ci-après le "Hauptzollamt") quant à l'application à KCH de la sanction prévue à l'article 11, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), du règlement n° 3665/87 pour avoir demandé une restitution à l'exportation pour un produit n'autorisant pas l'octroi d'une telle restitution.
Cadre juridique
3.
Le règlement n° 2945/94 a notamment modifié l'article 11 du règlement n° 3665/87. Ses premier, deuxième et cinquième considérants sont rédigés comme suit:
"considérant que la réglementation communautaire en vigueur prévoit l'octroi de restitutions à l'exportation sur la seule base de critères objectifs, notamment en ce qui concerne la quantité, la nature et les caractéristiques du produit exporté ainsi que la destination géographique de celui-ci; que, à la lumière des expériences acquises, la lutte contre les irrégularités, et surtout contre la fraude, au détriment du budget communautaire mérite d'être renforcée; que, à cet effet, il est nécessaire de prévoir la récupération des montants indûment versés ainsi que des sanctions de façon à inciter les exportateurs à respecter la réglementation communautaire;
considérant que, pour garantir le bon fonctionnement du système des restitutions à l'exportation, des sanctions doivent être appliquées quel que soit l'aspect subjectif de la faute; qu'il convient cependant de renoncer à l'application de sanctions dans certains cas, notamment d'erreur manifeste reconnue par l'autorité compétente, et de prévoir des sanctions plus lourdes s'il y a un acte intentionnel;
[...]
considérant que l'expérience acquise, ainsi que les irrégularités, et surtout les fraudes déjà constatées dans ce contexte indiquent que cette mesure est nécessaire, proportionnée, suffisamment dissuasive et qu'elle doit être uniformément appliquée dans tout État membre".
4.
L'article 11, paragraphe 1, premier, troisième et huitième alinéas, du règlement n° 3665/87 dispose:
"Lorsqu'il est constaté que, en vue de l'octroi d'une restitution à l'exportation, un exportateur a demandé une restitution supérieure à la restitution applicable, la restitution due pour l'exportation en question est la restitution applicable au produit effectivement exporté, diminuée d'un montant correspondant:
a) à la moitié de la différence entre la restitution demandée et la restitution applicable à l'exportation effectivement réalisée;
b) au double de la différence entre la restitution demandée et la restitution applicable si l'exportateur a fourni intentionnellement des données fausses.
[...]
La sanction en question au point a) n'est pas applicable:
- en cas de force majeure,
- dans certains cas exceptionnels, caractérisés par des circonstances qui échappent au contrôle de l'exportateur, et qui apparaissent après l'acceptation, par les autorités compétentes, de la déclaration d'exportation ou de la déclaration de paiement [...],
- en cas d'erreur manifeste sur la restitution demandée, reconnue par l'autorité compétente,
- dans les cas où la demande de restitution est conforme au règlement (CE) n° 1222/94, et notamment à son article 3 paragraphe 2, et a été calculée sur la base des quantités moyennes utilisées sur une période donnée,
- en cas d'ajustement du poids, pour autant que la différence de poids soit due à une méthode de pesage différente.
[...]
Les sanctions s'appliquent sans préjudice de sanctions supplémentaires prévues à l'échelon national."
5.
Le 18 décembre 1995, le Conseil a adopté le règlement (CE, Euratom) n° 2988/95, relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes (JO L 312, p. 1). Ce règlement établit une distinction entre, d'une part, les irrégularités intentionnelles ou causées par négligence et, d'autre part, les autres irrégularités.
6.
L'article 4 du règlement n° 2988/95 prévoit ainsi que toute irrégularité entraîne le retrait de l'avantage indûment perçu.
7.
Selon l'article 5, paragraphe 1, du même règlement, en revanche, une irrégularité intentionnelle ou causée par négligence peut conduire à des sanctions administratives telles que le paiement d'une amende administrative, le paiement d'un montant excédant les sommes indûment perçues, le retrait temporaire d'un agrément nécessaire à la participation à un régime d'aides communautaire ou encore la perte d'une garantie ou d'un cautionnement constitués aux fins du respect des conditions d'une réglementation.
8.
L'article 5, paragraphe 2, du règlement n° 2988/95 est rédigé comme suit:
"Sans préjudice des dispositions des réglementations sectorielles existant au moment de l'entrée en vigueur du présent règlement, les autres irrégularités ne peuvent donner lieu qu'aux sanctions non assimilables à une sanction pénale prévues au paragraphe 1, pour autant que de telles sanctions soient indispensables à l'application correcte de la réglementation."
Litige au principal et questions préjudicielles
9.
KCH a exporté en 1996 du fromage fondu, fabriqué par une entreprise tierce, sur la base d'une déclaration d'exportation sous le code de la nomenclature de restitutions 0406 3039 9500 et a reçu, à sa demande, du Hauptzollamt une avance sur restitutions à l'exportation d'environ 30 000 DEM.
10.
À la suite de l'examen d'un échantillon prélevé sur un envoi lors de l'exportation, il est apparu que la marchandise contenait des graisses végétales et devait être classée, en tant que préparation alimentaire, sous le code de la nomenclature de restitutions 2106 9098 0000.
11.
S'agissant d'un produit ne figurant pas à l'annexe II du traité CE (devenue, après modification, annexe I CE) et ne justifiant pas l'octroi d'une restitution à l'exportation, le Hauptzollamt a réclamé à KCH le paiement d'une pénalité en vertu de l'article 11, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), du règlement n° 3665/87.
12.
Le Finanzgericht Hamburg (Allemagne) ayant rejeté la requête tendant à l'annulation de cette sanction introduite par KCH, celle-ci a formé un recours en "Revision" devant le Bundesfinanzhof.
13.
Devant ce dernier, KCH a fait valoir que l'article 11, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), du règlement n° 3665/87 n'était pas valide au motif qu'il violait le principe de l'État de droit et l'interdiction de discrimination.
14.
Le Bundesfinanzhof a, en premier lieu, constaté que les conditions d'application de l'article 11, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), du règlement n° 3665/87 étaient réunies, de sorte que le Hauptzollamt devait infliger la sanction y prévue, pourautant que KCH ne se trouve pas dans l'un des cas énumérés au troisième alinéa de la même disposition, dans lesquels la sanction ne s'applique pas.
15.
En deuxième lieu, le Bundesfinanzhof a considéré que la composition non contractuelle (ou une composition ne satisfaisant simplement pas aux exigences implicitement supposées évidentes par l'exportateur) d'un produit fabriqué par un tiers ne saurait constituer un cas de force majeure pour l'exportateur au sens de l'article 11, paragraphe 1, troisième alinéa, premier tiret, du règlement n° 3665/87. Dans sa jurisprudence relative à la force majeure, la Cour aurait en effet jugé, notamment, que le non-respect de ses obligations contractuelles par un partenaire commercial de l'exportateur ne peut être considéré comme inhabituel et imprévisible pour ce dernier, auquel il appartient de prendre les mesures appropriées pour prévenir cette éventualité, soit en incorporant des clauses correspondantes dans le contrat en question, soit en contractant une assurance spécifique (arrêts du 27 octobre 1987, Theodorakis, 109/86, Rec. p. 4319, et du 9 août 1994, Boterlux, C-347/93, Rec. p. I-3933). La Cour n'aurait même pas reconnu la force majeure en cas de comportement frauduleux du cocontractant de l'exportateur (arrêts du 8 mars 1988, McNicholl, 296/86, Rec. p. 1491, et Boterlux, précité).
16.
Le Bundesfinanzhof a également estimé que l'on n'était pas non plus en présence d'un cas prévu à l'article 11, paragraphe 1, troisième alinéa, troisième tiret, du règlement n° 3665/87, c'est-à-dire d'une erreur manifeste sur la restitution demandée, reconnue par l'autorité compétente. En effet, ce ne serait qu'à l'aide d'analyses chimiques poussées que le Hauptzollamt a pu déterminer la véritable composition de la marchandise exportée et la requérante au principal elle-même ne l'aurait, selon elle, tout d'abord pas connue.
17.
Examinant, en dernier lieu, si l'article 11, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), du règlement n° 3665/87 méconnaissait les droits fondamentaux, le Bundesfinanzhof a considéré que tel n'était, à son sens, pas le cas, car cette disposition n'édictait pas une peine et ne violait ni le principe de proportionnalité ni l'interdiction de discrimination.
18.
L'article 11, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), du règlement n° 3665/87 ne prévoirait pas une sanction pénale. Selon le Bundesfinanzhof, une sanction pénale a pour objectif de réprimer certains comportements à l'égard desquels elle exprime une désapprobation éthico-sociale. Une telle sanction présuppose une culpabilité subjective et, en général, son degré de sévérité est déterminé par le degré de culpabilité. Or, la sanction prévue à l'article 11, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), du règlement n° 3665/87 viserait seulement à dissuader l'exportateur de fournir à l'avenir de fausses indications, lesquelles sont susceptibles de mettre en péril les intérêts financiers de la Communauté et l'exécution correcte du régime des organisations communes de marchés concernées. Elle n'exprimerait aucun reproche d'ordre moral ou éthique mais poursuivrait un simple objectif de prévention, ainsique le démontrerait le fait que la faute de l'exportateur n'est pas une condition d'application de la disposition en cause.
19.
Selon le Bundesfinanzhof, le fait que les considérants du règlement n° 2945/94 font référence à une "sanction" de l'exportateur ne serait pas pertinent, car il est possible qu'il y ait lieu de comprendre cette notion dans une acception plus large et non technique.
20.
Examinant le règlement n° 2988/95, le Bundesfinanzhof considère que son article 5, paragraphe 1, ne prévoit de sanctions administratives que lorsque des irrégularités ont été commises intentionnellement ou par négligence. Toutefois, selon le paragraphe 2 du même article, des sanctions sont introduites "[s]ans préjudice des dispositions des réglementations sectorielles existant au moment de l'entrée en vigueur du présent règlement" et auxquelles appartiennent les règles sur la sanction en cause au principal.
21.
Le Bundesfinanzhof considère par ailleurs que l'article 11, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), du règlement n° 3665/87 ne méconnaît pas le principe de proportionnalité. Premièrement, le fait que la menace de sanction est dirigée contre un exportateur prudent et de bonne foi ne constituerait pas une violation du principe de proportionnalité dès lors que l'exportateur est totalement libre d'exercer ses activités dans le domaine des exportations de marchandises subventionnées par des restitutions. S'il prend la décision de participer, dans son propre intérêt, à un système de prestations publiques, il est alors tenu de se conformer aux règles établies, dont fait partie la sanction litigieuse, sans pouvoir ensuite critiquer leur sévérité. Deuxièmement, le Bundesfinanzhof considère que le fait d'épargner ainsi aux autorités douanières la tâche, souvent difficile, de devoir apporter la preuve non équivoque d'un acte d'imprudence de l'exportateur et d'éviter d'emblée les différends prévisibles en cas d'admission d'une preuve à décharge, facilitant ainsi la gestion des restitutions à l'exportation, plaide également en faveur de l'interprétation du mécanisme de sanction de l'article 11, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), du règlement n° 3665/87 comme étant une diminution de la restitution indépendante d'une faute. Selon lui, la sanction ne serait pas inappropriée, compte tenu du grand nombre de déclarations inexactes difficiles à déceler, ni excessive au regard de l'objectif poursuivi.