CIV. 2
C.B.
COUR DE CASSATION
Audience publique du 4 juillet 2002
Rejet
M. ANCEL, président
Pourvoi n° P 01-02.408
Arrêt n° 757 F D
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant
Sur le pourvoi formé par
1°/ M. Antonio Z, demeurant Saint-Nazaire,
2°/ la compagnie d'assurances Les Assurances du Crédit mutuel IARD (ACM), société anonyme dont le siège est Strasbourg Cedex,
en cassation d'un arrêt rendu le 19 décembre 2000 par la cour d'appel de Caen (1re Chambre, Section civile), au profit
1°/ de M. Claude X, demeurant Saint-Quentin-sur-le-Homme,
2°/ de la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Manche, dont le siège est Saint-Lô,
défendeurs à la cassation ;
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au Procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 5 juin 2002, où étaient présents M. Ancel, président, M. Bizot, conseiller rapporteur, M. Guerder, conseiller doyen, Mlle Laumône, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Bizot, conseiller, les observations de la SCP Garaud-Gaschignard, avocat de M. Z et de la compagnie Les Assurances du Crédit mutuel IARD, de la SCP Parmentier et Didier, avocat de M. X, les conclusions de M. Kessous, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique
Attendu selon l'arrêt attaqué (Caen, 19 décembre 2000) que M. Claude X a été victime d'une fracture ouverte temporo-occipitale gauche à la suite de la percussion de l'arrière du véhicule qu'il conduisait par le véhicule conduit par M. Z ; qu'il a été ultérieurement licencié par son employeur en raison de son état de santé ; qu'à l'issue d'un bilan neurologique approfondi, il a été déclaré atteint d'une sclérose en plaques ;
Attendu que M. Z et son assureur la compagnie Assurances du Crédit mutuel (ACM) font grief à l'arrêt de les avoir condamnés in solidum à indemniser intégralement le préjudice corporel et économique subi par M. X, y compris les conséquences de la sclérose en plaques, et à payer à la victime une certaine somme à titre de provision, alors, selon le moyen
1°/ qu'il appartient à la victime d'un accident de la circulation de rapporter la preuve d'un lien de causalité entre l'accident et le dommage dont elle prétend avoir réparation ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que l'état pathologique de la victime ne s'était révélé que 2 ans après l'accident et que l'expert avait conclu qu'"aucun argument scientifique ne permet de rattacher cette maladie de substance blanche au traumatisme crânien dans une relation de causalité, le plus probable est que ces lésions préexistaient au traumatisme" et qu'il était seulement "possible" que le traumatisme crânien ait "favorisé l'expression des symptômes actuels" ; qu'en faisant état, pour retenir l'existence d'un lien de causalité, de l'absence d'antécédents familiaux ou personnels de la victime, l'arrêt attaqué, qui fait ainsi supporter au conducteur la preuve de la non-imputabilité des dommages à l'accident, a violé les articles 1315 et 1382 du Code civil ;
2°/ que, dès lors qu'il résulte du rappel par l'arrêt attaqué des conclusions de l'expert que celui-ci s'était borné à conclure "il est possible que la conjonction d'un traumatisme crânien franc sur un cerveau fragilisé par des lésions multiples de substance blanche ait favorisé l'expression des symptômes actuellement présents", ce qui constituait une simple hypothèse, l'arrêt attaqué ne pouvait en déduire qu'il était établi que l'accident a été le facteur déclenchant d'un état pathologique latent ; qu'il a ainsi violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
3°/ que, en condamnant les ACM à réparer la totalité du préjudice découlant de la maladie, tout en constatant que cette maladie était latente et préexistante et que l'accident n'avait été qu'un facteur de déclenchement, la cour d'appel a condamné les ACM à réparer un préjudice non imputable en totalité à l'auteur de l'accident, violant l'article 1er de la loi du 5 juillet 1985 ;
Mais attendu que, par motifs propres et adoptés, l'arrêt retient que M. X a été victime d'une maladie dégénérative du système nerveux sans aucun symptôme avant l'accident ; qu'au plan de l'anamnèse, il résulte des rapports des professeurs Curtes et Edan, que M. X a regagné son domicile le 8 août 1994 sans traitement particulier ; que, toutefois, plusieurs certificats de prolongation d'arrêt de travail lui ont été délivrés jusqu'en juin 1995 et que, bien qu'il ait été considéré comme consolidé à la date du 29 septembre 1995 par le médecin-conseil de la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche, il a été déclaré inapte à reprendre son activité antérieure et licencié le 1er novembre suivant faute d'emploi compatible avec son état ; qu'en effet, dans les suites immédiates de l'accident, il a présenté un ensemble de symptômes à l'étiologie alors non établie, dont une instabilité à la marche, des difficultés mnésiques, des troubles génito-urinaires et une dysarthrie ; que la persistance de ces troubles, nonobstant un suivi neurologique et un traitement antidépresseur à compter du mois de mars 1995, a conduit à la préconisation, puis à la réalisation en décembre 1996, d'un bilan neurologique approfondi, au résultat duquel le diagnostic d'une sclérose en plaques a été posé ; que M. X n'avait pas d'antécédents, familiaux ou personnels et qu'il connaissait avant l'accident une existence physiquement active, tant sur le plan professionnel que privé, et que la maladie en cause n'a connu aucune évolution récente ; qu'ainsi l'accident a été le facteur déclenchant d'un état pathologique latent, jusqu'alors sans manifestation externe et qui aurait pu rester sans expression dommageable externe, de sorte qu'il doit être considéré comme étant en relation de causalité avec la maladie ;
Qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel, qui a souverainement apprécié les éléments de preuve qui lui étaient soumis, sans inverser la charge de la preuve et sans se déterminer par des motifs hypothétiques, a pu décider que la preuve de l'imputabilité du dommage à l'accident était établie et que M. X pouvait prétendre à la réparation intégrale de son préjudice ;
D'où il suit que le moyen ne peut qu'être écarté ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. Z et la compagnie Les Assurances du Crédit mutuel IARD aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne in solidum M. Z et la compagnie Les Assurances du Crédit mutuel IARD à payer à M. X la somme de 2 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre juillet deux mille deux.