COMM.
C.B.
COUR DE CASSATION
Audience publique du 4 juin 2002
Rejet
M. DUMAS, président
Pourvoi n° Q 99-21.477
Arrêt n° 1069 F D
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant
Sur le pourvoi formé par la société Argentaria Caja postal y banco hipotecario, société anonyme venant aux droits de la Banco exterior de Espana, dont le siège social est à Madrid (Espagne),
en cassation d'un arrêt rendu le 10 septembre 1999 par la cour d'appel d'Orléans (Chambre solennelle), au profit
1°/ de la société Iberlat, dont le siège social est à Madrid (Espagne),
2°/ de l'Union laitière normande (ULN), dont le siège social est Condé-sur-Vire,
3°/ de la société Banque française de commerce, devenue Natexis banque, dont le siège social est Paris,
4°/ de la société Tabacalera, société anonyme dont le siège social est Madrid
5°/ de la société Sociedad de gestion Cop, dont le siège social est à Madrid (Espagne),
défenderesses à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au Procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 9 avril 2002, où étaient présents M. Dumas, président, Mme Favre, conseiller rapporteur, M. Métivet, conseiller, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Favre, conseiller, les observations de la SCP Defrenois et Levis, avocat de la société Argentaria Caja postal y banco hipotecario, venant aux droits de la Banco exterior de Espana, de Me Copper-Royer, avocat des sociétés Iberlat et Union laitière normande, de la SCP Bachellier et Potier de La Varde, avocat de la société Banque française, devenue Natexis banque, de Me Choucroy, avocat de la société Tabacalera, les conclusions de M. Lafortune, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique, pris en ses deux branches
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Orléans, 10 septembre 1999), rendu sur renvoi après cassation (Chambre commerciale, financière et économique, arrêt n° 2191 P du 12 décembre 1995), qu'aux termes d'un "pré-contrat" en date du 5 septembre 1991, auquel était annexée une "offre d'achat" datée du 2 avril 1991, trois sociétés, dont la société Union laitière normande (ULN), celle-ci par l'intermédiaire de sa filiale espagnole, la société Iberlat, ont promis à la société Tabacalera de lui acheter des actions de la société Lactaria espanola (Lesa), en se réservant le droit de retirer leur offre si les pertes de cette société étaient supérieures à un certain montant ; qu'il était précisé que, si l'acte de cession n'était pas signé avant le 31 décembre 1991, pour des raisons non imputables à la société Tabacalera, il lui serait versé une pénalité ; que la société Banco exterior de Espana, aux droits de laquelle est la société Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, a garanti à la société Tabacalera le paiement d'une somme déterminée, à l'échéance du 15 janvier 1992, à première demande, sur son affirmation que le défaut de signature du contrat de cession d'actions à la date fixée ne lui était pas imputable ; que la Banque française du commerce extérieur (BFCE), devenue Natexis banque, a contre-garanti, dans les mêmes conditions, la Banco exterior de Espana ; qu'un rapport d'audit ayant révélé que les pertes de la société Lesa étaient supérieures au montant prévu, la société Tabacalera a été informée de ce que l'offre d'achat d'actions était retirée ; que, le 2 janvier 1992, la société Tabacalera a appelé la garantie en présentant à la Banco exterior de Espana un certificat indiquant que le contrat d'acquisition d'actions n'avait pas été signé pour des raisons qui ne pouvaient lui être imputées ; qu'après avoir appelé en vain la contre-garantie, la Banco exterior de Espana a, le 15 janvier 1992, payé la société Tabacalera ; que le juge des référés a autorisé la BFCE à ne pas payer tant qu'une décision sur le fond ne serait pas intervenue ; que la Banco exterior de Espana a assigné les sociétés Iberlat et ULN ainsi que la BFCE devant le tribunal ;
Attendu que la Banco Bilbao Vizcaya Argentaria fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande visant à faire condamner la BFCE à lui payer une certaine somme au titre de la contre-garantie à première demande souscrite par cette dernière à son profit, alors, selon le moyen
1°/ que ni l'information faite par l'un des acheteurs au banquier garant de ce que la justification fournie par le bénéficiaire n'était pas exacte, ni l'assignation en référé du banquier par le donneur d'ordre pour s'opposer au paiement de la contre-garantie, ni une lettre du contre-garant lui exposant la situation litigieuse, ni même des informations économiques parues dans la presse ne caractérisent la connaissance qu'a le banquier garant de premier rang de la réalité du caractère manifestement abusif ou frauduleux de l'appel en garantie ; qu'ainsi, en se prononçant comme elle a fait, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1134 du Code civil ;
2°/ qu'en toute hypothèse, la simple connaissance par la banque garante de premier rang de la fraude ou de l'abus manifeste commis par le bénéficiaire, qui ne caractérise ni une collusion frauduleuse du bénéficiaire et du banquier, ni un abus manifeste de ce dernier dans l'appel de la contre-garantie, ne fait pas obstacle à l'appel de la contre-garantie ; qu'en énonçant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, que l'arrêt relève que le président de la société Tabacalera était parfaitement informé de la situation pour avoir eu connaissance du rapport d'audit et avoir reçu, le 26 décembre 1991, un courrier l'avisant que, du fait du montant des pertes établi par ce rapport, le contrat de base était annulé dans tous ses effets, l'aval bancaire constitué en garantie par la Banco exterior de Espana en faveur de Tabacalera étant, de ce fait, lui aussi annulé, et que, malgré cette connaissance patente et établie, ce dirigeant a demandé à la Banco exterior le paiement de la garantie en émettant le 1er janvier 1992 un certificat contenant une déclaration sciemment inexacte ; qu'il retient ensuite que la Banco exterior de Espana, pleinement informée de la situation, par les courriers, adressés à sa filiale à 100 % le 26 décembre 1991, puis à elle-même, le 7 janvier 1992, faisant état de la résolution du contrat, ainsi que par la presse qui relatait les mauvais résultats de Lesa et la remise en cause des accords des parties, ne pouvait, en conséquence, ignorer que la déclaration du président de Tabacalera était mensongère ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a ainsi caractérisé à la fois la conscience de l'absence de droit du bénéficiaire, constitutive d'un abus manifeste dans l'appel de la garantie de premier rang, et la connaissance de cet abus par le garant, a légalement justifié sa décision ;
Attendu, d'autre part, que le moyen est irrecevable en sa seconde branche dès lors qu'il invite la Cour de Cassation à revenir sur la doctrine de son précédent arrêt, alors que la juridiction de renvoi s'y est conformée ;
D'où il suit qu'irrecevable en sa seconde branche, le moyen n'est pas fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Banco exterior de Espana aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Banco exterior de Espana à payer à la société Iberlat et à l'Union laitière normande la somme globale de 1 800 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quatre juin deux mille deux.