Jurisprudence : CJCE, 21-09-1999, aff. C-67/96, Albany International BV c/ Stichting Bedrijfspensioenfonds Textielindustrie

CJCE, 21-09-1999, aff. C-67/96, Albany International BV c/ Stichting Bedrijfspensioenfonds Textielindustrie

A8062AYA

Référence

CJCE, 21-09-1999, aff. C-67/96, Albany International BV c/ Stichting Bedrijfspensioenfonds Textielindustrie. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1092837-cjce-21091999-aff-c6796-albany-international-bv-c-stichting-bedrijfspensioenfonds-textielindustrie
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Cour de justice des Communautés européennes

21 septembre 1999

Affaire n°C-67/96

Albany International BV
c/
Stichting Bedrijfspensioenfonds Textielindustrie



61996J0067

Arrêt de la Cour
du 21 septembre 1999.

Albany International BV contre Stichting Bedrijfspensioenfonds Textielindustrie.

Demande de décision préjudicielle: Kantongerecht Arnhem - Pays-Bas.

Affiliation obligatoire à un fonds sectoriel de pension - Compatibilité avec les règles de concurrence - Qualification en tant qu'entreprise d'un fonds sectoriel de pension.

Affaire C-67/96.

Recueil de jurisprudence 1999 page I-5751

1 Questions préjudicielles - Recevabilité - Nécessité de fournir à la Cour suffisamment de précisions sur le contexte factuel et réglementaire

(Traité CE, art. 177 (devenu article 234 CE))

2 Concurrence - Règles communautaires - Champ d'application matériel - Conventions collectives visant à atteindre des objectifs de politique sociale - Convention collective mettant en place un fonds de pension sectoriel - Décision des pouvoirs publics rendant obligatoire l'affiliation au fonds - Exclusion

(Traité CE, art. 3, g) et i) (devenu, après modification, art. 3, § 1, g) et j), CE), art. 5 et 85, § 1 (devenus art. 10 CE et 81, § 1, CE) et art. 118 et 118 B (les art. 117 à 120 du traité CE ont été remplacés par les art. 136 CE à 143 CE))

3 Concurrence - Règles communautaires - Entreprise - Notion - Fonds de pension chargé de la gestion d'un régime de pension complémentaire - Fonctionnement selon le principe de la capitalisation - Inclusion

(Traité CE, art. 85 et suiv. (devenus art. 81 CE et suiv.))

4 Concurrence - Entreprises publiques et entreprises auxquelles les États membres accordent des droits spéciaux ou exclusifs - Entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général - Fonds de pension chargé de la gestion d'un régime de pension complémentaire

(Traité CE, art. 86 et 90 (devenus art. 82 CE et 86 CE))

1 La nécessité de parvenir à une interprétation du droit communautaire qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s'insèrent les questions qu'il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées. Ces exigences valent tout particulièrement dans certains domaines, comme celui de la concurrence, qui sont caractérisés par des situations de fait et de droit complexes.

Les informations fournies dans les décisions de renvoi ne doivent pas seulement permettre à la Cour de donner des réponses utiles, mais également donner aux gouvernements des États membres ainsi qu'aux autres parties intéressées la possibilité de présenter des observations conformément à l'article 20 du statut de la Cour. Il incombe à la Cour de veiller à ce que cette possibilité soit sauvegardée, compte tenu du fait que, en vertu de la disposition précitée, seules les décisions de renvoi sont notifiées aux parties intéressées.

2 Il résulte d'une interprétation utile et cohérente des articles 3, sous g) et i), du traité (devenu, après modification, article 3, paragraphe 1, sous g) et j), CE), 85, paragraphe 1, du traité (devenu article 81, paragraphe 1, CE), 118 et 118 B du traité (les articles 117 à 120 du traité ont été remplacés par les articles 136 CE à 143 CE) que des accords conclus dans le cadre de négociations collectives entre partenaires sociaux en vue d'atteindre des objectifs de politique sociale, tels que l'amélioration des conditions d'emploi et de travail, doivent être considérés, en raison de leur nature et de leur objet, comme ne relevant pas de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

A cet égard, ne relève pas de l'article 85, paragraphe 1, du traité, en raison de sa nature et de son objet, un accord conclu sous la forme d'une convention collective qui met en place, dans un secteur déterminé, un régime de pension complémentaire géré par un fonds de pension auquel l'affiliation peut être rendue obligatoire par les pouvoirs publics. Un tel régime vise, dans son ensemble, à garantir un certain niveau de pension à tous les travailleurs de ce secteur et contribue dès lors directement à l'amélioration de l'une des conditions de travail des travailleurs, à savoir leur rémunération.

Une décision prise par les pouvoirs publics, à la demande des parties à l'accord, de rendre obligatoire l'affiliation à un tel fonds ne saurait dès lors être considérée comme imposant ou favorisant la conclusion d'ententes contraires à l'article 85 du traité ou renforçant les effets de telles ententes et, partant, n'entre pas dans les catégories de mesures réglementaires qui portent atteinte à l'effet utile des articles 3, sous g), du traité, 5 du traité (devenu article 10 CE) et 85 du traité.

Il s'ensuit que les articles 3, sous g), 5 et 85 du traité ne s'opposent pas à la décision des pouvoirs publics de rendre obligatoire, à la demande des organisations représentatives des employeurs et des travailleurs d'un secteur déterminé, l'affiliation à un fonds sectoriel de pension.

3 La notion d'entreprise, au sens des articles 85 et suivants du traité (devenus article 81 CE et suivants), comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment de son statut juridique et de son mode de financement.

Est une entreprise, au sens de ces dispositions, un fonds de pension chargé de la gestion d'un régime de pension complémentaire, instauré par une convention collective conclue entre les organisations représentatives des employeurs et des travailleurs d'un secteur déterminé, auquel l'affiliation a été rendue obligatoire par les pouvoirs publics pour tous les travailleurs de ce secteur, et qui fonctionne selon le principe de la capitalisation et exerce une activité économique en concurrence avec les compagnies d'assurances. Ni l'absence de but lucratif ni la poursuite d'une finalité sociale ne suffisent à enlever à un tel fonds sa qualité d'entreprise au sens des règles de concurrence du traité.

4 Les articles 86 et 90 du traité (devenus articles 82 CE et 86 CE) ne s'opposent pas à ce que les pouvoirs publics confèrent à un fonds de pension le droit exclusif de gérer dans un secteur déterminé un régime de pension complémentaire.

Le droit exclusif d'un fonds sectoriel de pension de gérer les pensions complémentaires dans un secteur déterminé et la restriction de la concurrence qui en découle peuvent être justifiés au titre de l'article 90, paragraphe 2, du traité en tant que mesure nécessaire à l'accomplissement d'une mission sociale particulière d'intérêt général dont ce fonds est chargé.

Dans l'affaire C-67/96,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), par le Kantongerecht te Arnhem (Pays-Bas) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Albany International BV

Stichting Bedrijfspensioenfonds Textielindustrie,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation des articles 85, 86 et 90 du traité CE (devenus articles 81 CE, 82 CE et 86 CE),

LA COUR,

composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, J.-P. Puissochet, G. Hirsch et P. Jann, présidents de chambre, J. C. Moitinho de Almeida (rapporteur), C. Gulmann, J. L. Murray, D. A. O. Edward, H. Ragnemalm, L. Sevón et M. Wathelet, juges,

avocat général: M. F. G. Jacobs,

greffier: Mme D. Louterman-Hubeau, administrateur principal,

considérant les observations écrites présentées:

- pour Albany International BV, par Mes T. R. Ottervanger, avocat au barreau de Rotterdam, et M. H. van Coeverden, avocat au barreau de La Haye,

- pour la Stichting Bedrijfspensioenfonds Textielindustrie, par Mes E. Lutjens, avocat au barreau d'Amsterdam, et M. O. Meulenbelt, avocat au barreau d'Utrecht,

- pour le gouvernement néerlandais, par M. A. Bos, conseiller juridique au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent,

- pour le gouvernement allemand, par MM. E. Röder, Ministerialrat au ministère fédéral de l'Économie, et C.-D. Quassowski, Regierungsdirektor au même ministère, en qualité d'agents,

- pour le gouvernement français, par Mme K. Rispal-Bellanger, sous-directeur du droit international économique et du droit communautaire à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et M. C. Chavance, secrétaire des affaires étrangères à la même direction, en qualité d'agents,

- pour la Commission des Communautés européennes, par M. W. Wils, membre du service juridique, en qualité d'agent,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales d'Albany International BV, représentée par Me T. R. Ottervanger, de la Stichting Bedrijfspensioenfonds Textielindustrie, représentée par Mes E. Lutjens et M. O. Meulenbelt, du gouvernement néerlandais, représenté par M. M. A. Fierstra, chef du service du droit européen au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent, du gouvernement français, représenté par M. C. Chavance, du gouvernement suédois, représenté par M. A. Kruse, departementsråd au secrétariat juridique (UE) du ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent, et de la Commission, représentée par M. W. Wils, à l'audience du 17 novembre 1998,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 28 janvier 1999,

rend le présent

Arrêt

1 Par jugement du 4 mars 1996, parvenu à la Cour le 11 mars suivant, le Kantongerecht te Arnhem a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), trois questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 85, 86 et 90 du traité CE (devenus articles 81 CE, 82 CE et 86 CE).

2 Ces questions ont été posées dans le cadre d'un litige opposant Albany International BV (ci-après "Albany") à la Stichting Bedrijfspensioenfonds Textielindustrie (Fonds de pension sectoriel de l'industrie textile, ci-après le "Fonds") à propos du refus d'Albany de verser au Fonds les cotisations correspondant à l'année 1989, au motif que l'affiliation obligatoire au Fonds en vertu de laquelle lesdites cotisations lui sont réclamées serait contraire aux articles 3, sous g), du traité CE [devenu, après modification, article 3, paragraphe 1, sous g), CE], 85, 86 et 90 du traité.

La législation nationale

3 Le système de pension néerlandais est fondé sur trois piliers.

4 Le premier est constitué par une pension de base légale, accordée par l'État conformément à l'Algemene Ouderdomswet (loi instituant un régime général de pension de vieillesse, ci-après l'"AOW") et à l'Algemene Nabestaandenwet (loi sur l'assurance généralisée des survivants). Ce régime légal obligatoire donne droit, à l'ensemble de la population, à une pension d'un montant réduit, indépendant du salaire effectivement perçu auparavant et calculé sur la base du salaire minimal légal.

5 Le deuxième pilier comprend les pensions complémentaires, fournies en relation avec une activité professionnelle, salariée ou indépendante, qui complètent, dans la majorité des cas, la pension de base. Ces pensions complémentaires sont généralement gérées dans le cadre de régimes collectifs s'appliquant à un secteur de l'économie, à une profession ou aux travailleurs d'une entreprise par des fonds de pensions auxquels l'affiliation a été rendue obligatoire, notamment, comme dans l'affaire au principal, en vertu de la Wet van 17 maart 1949 houdende vaststelling van en regeling betreffende verplichte deelneming in een bedrijfspensioenfonds (loi du 17 mars 1949 établissant les règles relatives à l'affiliation obligatoire à un fonds sectoriel de pension, ci-après la "BPW").

6 Le troisième pilier est constitué par les contrats individuels d'assurance pension ou d'assurance vie qui peuvent être conclus sur une base volontaire.

7 La Wet op de loonbelasting (loi relative à l'impôt sur les salaires) prévoit que les primes servant à constituer une pension ne sont déductibles que lorsque cette pension n'excède pas un niveau "raisonnable". Les primes ne sont pas déductibles en cas de constitution d'une pension dépassant un tel niveau. Ce niveau s'élève, pour une carrière de 40 ans, à 70 % du traitement individuel de fin de carrière. Cette réglementation fiscale a pour effet que la norme actuelle aux Pays-Bas en matière de constitution d'une pension correspond à une pension, y compris celle au titre de l'AOW, qui est égale à 70 % de son dernier salaire.

8 L'article 1er, paragraphe 1, de la BPW, dans sa version résultant de la loi du 11 février 1988, dispose:

"1. Il convient d'entendre, au sens de la présente loi et des dispositions qui se fondent sur celle-ci, par:

...

b. un fonds sectoriel de pension: un fonds opérant dans un secteur d'activité, dans le cadre duquel des fonds sont rassemblés soit uniquement au bénéfice de personnes qui exercent une activité salariée dans le secteur concerné, soit également au bénéfice de personnes qui exercent une activité sous une autre qualité dans ledit secteur.

...

f. notre ministre: le ministre des Affaires sociales et de l'Emploi."

9 L'article 3 de la BPW, modifiée, prévoit:

"1. Notre ministre peut, à la demande d'une organisation professionnelle sectorielle qu'il estime suffisamment représentative de la structure de la vie économique d'un secteur d'activité, après s'être concerté avec le chef du département d'administration générale concerné qui possède au nombre de ses compétences les affaires du secteur d'activité concerné, et après consultation du Sociaal-Economische Raad [Conseil économique et social] et de la Verzekeringskamer [chambre des assurances], rendre obligatoire l'affiliation au fonds sectoriel de pension pour tous les travailleurs ou pour certaines catégories de travailleurs du secteur d'activité concerné.

2. Dans le cas visé au paragraphe précédent, toutes les personnes relevant des catégories concernées conformément aux dispositions dudit paragraphe, de même que, s'il s'agit de travailleurs salariés, leurs employeurs, sont tenues de respecter les dispositions prévues à leur égard par les statuts et les règlements du fonds sectoriel de pension ou en vertu de ceux-ci. Le respect de ces dispositions peut faire l'objet de poursuites en justice, en ce qui concerne notamment le versement des cotisations."

10 L'article 5, paragraphe 2, de la BPW, modifiée, énumère plusieurs conditions pour que le ministre des Affaires sociales et de l'Emploi puisse approuver une demande d'affiliation obligatoire telle que celle visée à l'article 3, paragraphe 1. Ainsi, conformément à l'article 5, paragraphe 2, points III et IV, de la BPW, modifiée, les statuts et règlements du fonds sectoriel de pension doivent garantir suffisamment les intérêts des affiliés, et les représentants des associations d'employeurs et de travailleurs du secteur concerné doivent siéger en nombre égal au comité de gestion du fonds.

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