Jurisprudence : CA Paris, 1, 10, 20-06-2024, n° 23/15899

CA Paris, 1, 10, 20-06-2024, n° 23/15899

A62325LE

Référence

CA Paris, 1, 10, 20-06-2024, n° 23/15899. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/109171935-ca-paris-1-10-20062024-n-2315899
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Abstract

Mots-clés : fauteuil roulant • expulsion • sort des meubles • difficultés d'exécution • personnes handicapées • inventaire Cet arrêt est venu statuer sur le sort des objets indispensables aux personnes handicapées ou destinés aux soins des personnes malades, présents lors des opérations d'expulsion, qui n'ont pas été retirés, pour leur accorder une protection particulière.


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


COUR D'APPEL DE PARIS


Pôle 1 - Chambre 10


ARRET DU 20 JUIN 2024


(n° , 6 pages)


Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/15899 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIJNA


Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 Septembre 2023 -Juge de l'exécution de BOBIGNY RG n° 22/12312



APPELANTE


ASSOCIATION FAC HABITAT

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 7]

[Adresse 7]


représentée par Me Aurélie FAURE, avocat au barreau de PARIS, toque : E1190


INTIMEE


Madame [S] [V]

[Adresse 3]

[Adresse 3]


n'a pas constitué avocat



COMPOSITION DE LA COUR


En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile🏛🏛, l'affaire a été débattue le 24 mai 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Bénédicte Pruvost, président, chargé du rapport.


Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :


Madame Bénédicte Pruvost, président

Madame Catherine Lefort, conseiller

Madame Valérie Distinguin, conseiller


GREFFIER lors des débats : Monsieur Grégoire Grospellier


ARRÊT

-défaut

-par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile🏛.

-signé par Madame Bénédicte Pruvost, président et par Monsieur Grégoire Grospellier, greffier, présent lors de la mise à disposition.


Par acte sous seing privé du 7 septembre 2012, l'association Fac Habitat, association ayant pour vocation la fourniture de logements sociaux aux étudiants et aux jeunes, a donné à bail à Mme [S] [V] un logement au sein de la résidence [Adresse 6] à [Localité 5], moyennant un loyer mensuel de 419,59 euros.


Par jugement du 2 décembre 2020, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Bobigny a notamment :


constaté la résiliation du bail conclu le 7 septembre 2012 entre l'association Fac Habitat et Mme [V] ;

ordonné l'expulsion de Mme [V], au besoin avec l'assistance de la force publique faute de départ volontaire dans les deux mois de la signification du commandement de quitter les lieux.


Ce jugement a été signifié à Mme [V] et à la caution, Mme [X] [P], le 5 janvier 2021.


Le 28 juillet 2022, l'association Fac Habitat a fait procéder à l'expulsion de Mme [V] du logement situé [Adresse 4].


Par requête parvenue au greffe du juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Paris le 30 août 2022, Mme [Aa] a contesté l'absence de valeur marchande des biens garnissant son logement lors de son expulsion.


Par jugement du 8 novembre 2022, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Paris s'est déclaré territorialement incompétent au profit de celui de Bobigny et a renvoyé l'affaire devant ce dernier.



Par jugement du 21 septembre 2023, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Bobigny a :


débouté Mme [V] de ses demandes,

débouté l'association Fac Habitat de ses demandes,

dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile🏛,

condamné Mme [V] aux dépens.



Selon déclaration du 4 octobre 2023 signifiée à Mme [V] selon procès-verbal de recherches infructueuses du 25 octobre suivant, l'association Fac Habitat a formé appel de ce jugement, limitant celui-ci aux chefs de jugement la déboutant de ses demandes et disant n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.


Par conclusions remises au greffe le 9 novembre 2023, signifiées à Mme [V] selon procès-verbal de recherches infructueuses le 13 novembre suivant, l'association Fac Habitat demande à la cour de :


confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Mme [V] de ses demandes et l'a condamnée aux dépens,

infirmer le jugement entrepris pour le surplus,


statuant à nouveau,


déclarer abandonnés les effets de Mme [V], déposés au garde-meuble,

l'autoriser à faire procéder à la destruction des effets de Mme [V],

condamner Mme [V] à lui payer la somme de 1968 euros au titre des frais de déménagement en garde-meuble,

condamner Mme [V] à lui payer la somme de 2160 euros au titre des frais de gardiennage, échéance d'octobre 2023 incluse, dont le montant sera à parfaire au jour de l'audience,


condamner Mme [V] à payer la somme de 2000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner Mme [V] aux dépens de l'instance et de ses suites.


Mme [V] n'a pas constitué avocat.



MOTIFS


En l'absence d'appel incident, il convient de relever que l'appel est limité, l'association Fac Habitat l'ayant mentionné dans sa déclaration d'appel, aux chefs de jugement la déboutant de ses demandes et disant n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.


Sur la demande de l'association Fac Habitat tendant à voir déclarer abandonnés les effets de Mme [Aa] et à se voir autoriser à les détruire


Devant le juge de l'exécution, l'association Fac Habitat a demandé à être autorisée à détruire les meubles présents dans le logement de Mme [Aa] lors de l'expulsion et réclamé la condamnation de celle-ci au paiement des factures de déménagement et de garde-meuble pour 1968 et 720 euros, outre une indemnité de 500 euros en compensation de ses frais irrépétibles.


Pour rejeter les demandes de l'association Fac Habitat, le premier juge a considéré qu'en application des dispositions des articles L. 433-1 et L. 433-2 du code des procédures civiles d'exécution🏛🏛, il n'y avait pas lieu d'autoriser la destruction des meubles garnissant le logement et que l'association s'abstenait de verser aux débats les factures de déménagement et garde-meuble dont elle réclamait paiement.


L'association Fac Habitat fait valoir qu'elle n'a eu d'autre choix, à la suite de la contestation de l'absence de valeur marchande de ses meubles, formée par Mme [V] le 10 septembre 2022, qui indiquait son intention de récupérer 2 fauteuils roulants, un ordinateur, un récepteur de télévision et une imprimante, mais n'est jamais venue les récupérer, de faire dresser un procès-verbal de constat par huissier de justice le 3 octobre 2022, soit plus de deux mois après l'expulsion, puis de faire transporter, à ses frais, les effets très sales de Mme [V] dans un garde-meuble le 22 décembre suivant, moyennant une facture de déménagement et la location de ce local à raison de 600 euros par trimestre.

Elle soutient qu'elle produisait bien devant le juge de l'exécution les factures correspondantes en annexes n°10 et 11 et qu'il est urgent qu'elle soit autorisée à détruire les effets de Mme [V] qu'elle ne peut garder indéfiniment dans ce garde-meuble, les frais de location ne faisant qu'augmenter.

Elle prétend avoir tenté, à de nombreuses reprises, de trouver une solution amiable avecAaM. [V], père de l'intéressée.


Aux termes de l'article L. 433-1 du code des procédures civiles d'exécution, les meubles se trouvant sur les lieux sont remis, aux frais de la personne expulsée, en un lieu que celle-ci désigne. A défaut, ils sont laissés sur place ou entreposés en un autre lieu approprié et décrits avec précision par le commissaire de justice chargé de l'exécution avec sommation à la personne expulsée d'avoir à les retirer dans un délai fixé par voie réglementaire, qui est deux mois selon l'article R. 433-2 du même code🏛.


Selon l'article R. 433-1 du même code🏛, si des biens ont été laissés sur place ou déposés par le commissaire de justice en un lieu approprié, le procès-verbal d'expulsion contient, en outre, à peine de nullité :

1° Inventaire de ces biens (le commissaire de justice a dit, au vu de l'état d'encombrement extrême des lieux, qu'aucun inventaire n'était possible), avec l'indication qu'ils paraissent avoir ou non une valeur marchande ;


2° Mention du lieu et des conditions d'accès au local où ils ont été déposés ;

3° Sommation à la personne expulsée, en caractères très apparents, d'avoir à les retirer dans le délai de deux mois non renouvelable à compter de la remise ou de la signification de l'acte, faute de quoi les biens qui n'auront pas été vendus aux enchères publiques.


L'article L. 433-2 du même code dispose en outre qu'à l'expiration du délai imparti, il est procédé à la mise en vente aux enchères publiques des biens susceptibles d'être vendus. Les biens qui ne sont pas susceptibles d'être vendus sont réputés abandonnés. Le produit de la vente est remis à la personne expulsée après déduction des frais et de la créance du bailleur.


Selon l'article R. 433-3 du même code🏛, la contestation élevée devant le juge de l'exécution par la personne expulsée suspend le délai de deux mois mentionné à l'article R. 433-2 au terme duquel les biens sans valeur marchande sont réputés abandonnés. En l'espèce, la contestation élevée par Mme [V] a donc suspendu jusqu'à la date du présent arrêt le délai précité, dès lors qu'il n'est pas justifé de la signification du jugement du juge de l'exécution.


Selon l'article R. 433-5 alinéa 1er, si les biens laissés sur place ou déposés en un lieu approprié ont une valeur marchande, il est procédé à leur vente forcée comme en matière de saisie-vente.


L'article R. 433-6 prévoit en revanche que les papiers et documents de nature personnelle, notamment les dossiers médicaux de l'intéressée doivent être placés sous enveloppe scellée et conservés par le commissaire de justice pendant deux ans à compter de la date d'expulsion, soit en l'occurrence jusqu'au 28 juillet 2024. Le procès-verbal de constat du 22 décembre 2022 fait état d'un « lot de papiers » et de lutins, qui peuvent contenir des papiers ou documents médicaux.


  Le critère de répartition retenu par la Cour de cassation entre les biens pouvant faire l'objet d'une vente aux enchères publiques et ceux qui peuvent être déclarés abandonnés est, non pas l'absence de valeur aucune, mais l'absence de valeur suffisante pour faire face au coût d'une vente forcée. Ici, l'huissier a indiqué une valeur de « 0 euro » pour l'ensemble des effets lors du procès-verbal d'expulsion. En effet l'inventaire dressé le 22 décembre 2022 lors du transport au garde-meuble, selon un procès-verbal de constat de 94 pages, ne fait apparaître, qui pourrait représenter une quelconque valeur, que deux fauteuils roulants, tous deux manuels, dont l'un apparaît pliant et l'autre recouvert d'immondices, un ordinateur dont l'écran est cassé, un écran d'ordinateur et une imprimante HP, mais dont le coût d'une vente aux enchères serait évidemment bien supérieur à son produit.


Au vu de la liste des effets placés au garde-meuble, figurant en page 10/93 du procès-verbal de constat du 22 décembre 2022, il y a lieu, en application des textes précités, de déclarer abandonnés les effets personnels de Mme [V], qui pourront être mis à la décharge publique, sous la réserve qui suit.


Au regard de l'état de santé présenté par Mme [V], que ne conteste pas l'appelante, il convient d'autoriser Mme [V], ou à défaut M. [R] [V], son père, à récupérer auprès du garde-meuble situé, [Adresse 1], avant le 28 juillet 2024 :


un lot de papiers (et les lutins visés par le procès-verbal, pouvant contenir des papiers ou documents médicaux),

un fauteuil roulant manuel pliant,

un ordinateur (dont l'écran est cassé, précise le procès-verbal de constat du 22 décembre 2022) et un écran d'ordinateur,

une imprimante HP.


Sur la demande en paiement des frais de déménagement et de garde-meuble


Aux termes de l'article L. 433-1 du code des procédures civiles d'exécution, les meubles se trouvant sur les lieux sont remis, aux frais de la personne expulsée, en un lieu que celle-ci désigne. A défaut, ils sont laissés sur place ou entreposés en un autre lieu approprié et décrits avec précision par le commissaire de justice chargé de l'exécution avec sommation à la personne expulsée d'avoir à les retirer dans un délai fixé par voie réglementaire.


En l'espèce, le procès-verbal d'expulsion du 28 juillet 2022 contient en caractères gras et très apparents sommation d'avoir à retirer les meubles, alors laissés sur place, dans un délai de deux mois non renouvelable à compter de sa remise à Mme [Aa], alors présente.


Il ressort des procès-verbaux de constat des 3 octobre et 22 décembre suivants que Mme [V] n'a pas fait retirer les meubles qu'elle souhaitait conserver, ni à l'issue du délai de deux mois ni ultérieurement.


Les frais de déménagement au garde-meuble et de location de ce garde-meuble s'analysent ici comme des frais d'expulsion, soit des frais d'exécution forcée qui, selon les dispositions de l'article L. 111-8 du code des procédures civiles d'exécution🏛, sont en principe à la charge du débiteur, et qui, au vu des procès-verbaux des 28 juillet, 3 octobre et 22 décembre 2022, ont été rendus nécessaires pour des raisons d'hygiène et dans la mesure où Mme [Aa] n'a jamais désigné de lieu où transporter ses effets. Le procès-verbal dressé le 22 décembre 2022 avant transport au garde-meubles précise que les poubelles, dont s'échappaient de nombreux insectes, ont été jetées à la décharge publique.


Cependant, ni le juge de l'exécution, ni la cour statuant sur appel d'une décision de ce juge, n'ont le pouvoir juridictionnel de délivrer de titre exécutoire hors les cas expressément prévus par la loi et, par conséquent, de condamner la personne expulsée au paiement des factures produites par l'appelante. Il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté l'association Fac Habitat de sa demande en paiement à ce titre, mais pour les motifs susvisés et non parce que cette dernière s'abstenait de produire les factures justificatives (alors qu'elle justifie les avoir produites devant le premier juge).


Sur les demandes accessoires


L'issue du litige commande de laisser les dépens d'appel à la charge de l'intimée.


L'état d'impécuniosité de celle-ci justifie néanmoins de ne prononcer aucune condamnation à paiement en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, malgré les frais irrépétibles d'appel qu'a dû effectivement supporter l'appelante.



PAR CES MOTIFS


Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté l'association Fac Habitat de l'intégralité de ses demandes ;


Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,


Déclare abandonnés les biens appartenant à Mme [S] [V], entreposés au garde-meuble situé [Adresse 2],


Autorise l'association Fac Habitat à transporter les biens appartenant à Mme [S] [V], à la décharge publique, sous la réserve qui suit :


Autorise Mme [S] [V], ou à défaut M. [R] [V], son père, à récupérer auprès du garde-meuble situé, [Adresse 1], avant le 28 juillet 2024 :


un lot de papiers (et les lutins visés par le procès-verbal, pouvant contenir des papiers ou documents médicaux),

un fauteuil roulant manuel pliant,

un ordinateur (dont l'écran est cassé, précise le procès-verbal de constat du 22 décembre 2022) avec écran d'ordinateur,

une imprimante HP ;


Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté l'association Fac Habitat de sa demande en paiement ;


Dit n'y avoir lieu à condamnation en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;


Condamne Mme [S] [V] aux dépens d'appel.


Le greffier, Le président,

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