Cour de justice des Communautés européennes16 mai 2002
Affaire n°C-482/99
République française
c/
Commission des Communautés européennes
ARRÊT DE LA COUR
16 mai 2002 (1)
"Aides d'État - Article 87, paragraphe 1, CE - Aides accordées par la République française à l'entreprise Stardust Marine - Décision 2000/513/CE - Ressources d'État - Imputabilité à l'État - Investisseur avisé dans une économie de marché"
Dans l'affaire C-482/99,
République française, représentée par Mme K. Rispal-Bellanger et M. F. Million, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie requérante,
contre
Commission des Communautés européennes, représentée par MM. G. Rozet et J. Flett, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie défenderesse,
ayant pour objet l'annulation de la décision 2000/513/CE de la Commission, du 8 septembre 1999, concernant les aides accordées par la France à l'entreprise Stardust Marine (JO 2000, L 206, p. 6),
LA COUR,
composée de M. G. C. Rodríguez Iglesias, président, M. P. Jann, Mmes F. Macken et N. Colneric, et M. S. von Bahr, présidents de chambre, MM. C. Gulmann, D. A. O. Edward, A. La Pergola, J.-P. Puissochet, J. N. Cunha Rodrigues et C. W. A. Timmermans (rapporteur), juges,
avocat général: M. F. G. Jacobs,
greffier: Mme L. Hewlett, administrateur,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l'audience du 10 juillet 2001,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 13 décembre 2001,
rend le présent
Arrêt
1.
Par requête déposée au greffe de la Cour le 20 décembre 1999, la République française a, en vertu de l'article 230 CE, demandé l'annulation de la décision 2000/513/CE de la Commission, du 8 septembre 1999, concernant les aides accordées par la France à l'entreprise Stardust Marine (JO 2000, L 206, p. 6, ci-après la "décision litigieuse").
Les faits à l'origine du litige
2.
La société Stardust Marine (ci-après "Stardust"), dont l'activité principale s'est développée sur le marché de la plaisance nautique, a été créée en 1989. La banque SBT-Batif (ci-après "SBT"), filiale d'Altus Finance (ci-après "Altus"), cette dernière faisant partie du groupe du Crédit Lyonnais, s'était initialement engagée à financer Stardust par des prêts et des garanties.
3.
Après cinq années de forte croissance, le Crédit Lyonnais a enregistré des résultats négatifs en 1992 (- 1,8 milliard de FRF) et en 1993 (- 6,9 milliards de FRF). À l'invitation de l'Autorité de surveillance du système bancaire français, les autorités françaises ont pris, en 1994, des décisions portant soutien financier en sa faveur. Celles-ci comprenaient, d'une part, une augmentation de capital de 4,9 milliards de FRF et, d'autre part, la prise en charge des risques et des coûts liés aux engagements qui ont ensuite été transférés à une structure spécifique de cantonnement, le Consortium de réalisations (ci-après le "CDR"), filiale à 100 % du Crédit Lyonnais, qui a été créée en 1995 dans le cadre d'une opération dite "de défaisance". Le CDR a acheté pour presque 190 milliards de FRF d'actifs du Crédit Lyonnais. Conformément au plan de restructuration, tous les actifs concernés devaient être cédés ou liquidés.
4.
Stardust, contrôlée depuis 1994 par le Crédit Lyonnais par l'intermédiaire d'Altus à la suite d'une augmentation de capital de 44,3 millions de FRF, qui avait été souscrite par Altus en octobre 1994, par compensation de créances, a fait partie des actifs du Crédit Lyonnais qui ont été transférés au CDR dans le cadre du plan de défaisance de 1995, en raison de ses faibles résultats et des pertes prévisibles qu'elle pouvait générer. En tant que filiale du CDR, Stardust a fait partie du groupe du Crédit Lyonnais après 1995 et jusqu'à la privatisation de celui-ci, puisque le CDR est resté jusqu'à la fin de l'année 1998 une filiale à 100 % du Crédit Lyonnais, non consolidée. La direction du Crédit Lyonnais a toutefois cessé d'avoir un rôle direct dans la gestion de Stardust après son transfert au CDR, en raison de la séparation totale de gestion entre ce dernier et le Crédit Lyonnais, conformément à la décision 95/547/CE de la Commission, du 26 juillet 1995, portant approbation conditionnée de l'aide accordée par la France à la banque Crédit Lyonnais (JO L 308, p. 92).
5.
Le CDR a procédé à des augmentations du capital de Stardust en trois étapes. Une première augmentation de capital, pour un montant total de 112 millions de FRF, a eu lieu en avril 1995. Une deuxième augmentation, de 250,5 millions de FRF, a été décidée à l'issue d'une assemblée générale extraordinaire tenue le 26 juin 1996 et elle a été effectuée en deux paiements intervenus, respectivement, en juin 1996 (pour les deux tiers de ladite somme) et en mars 1997 (pour le tiers restant). Enfin, une troisième augmentation de capital a été réalisée à l'issue de l'assemblée générale extraordinaire du 5 juin 1997, pour un montant de 89 millions de FRF.
6.
À la suite de la dernière opération de recapitalisation en juin 1997, le CDR a vendu sa participation dans Stardust (soit 99,90 % du capital de celle-ci) à l'entreprise FG Marine pour un montant de 2 millions de FRF.
La procédure devant la Commission et la décision litigieuse
7.
Le 20 juin 1997, la Commission a reçu une plainte dirigée contre la République française et concernant plusieurs recapitalisations de Stardust par l'État ainsi que lesconditions dans lesquelles cette dernière avait été cédée par le CDR à la société FG Marine.
8.
Le 2 juillet 1997, la Commission a adressé une lettre aux autorités françaises, leur demandant de lui fournir des informations complètes sur la situation financière de Stardust, les opérations en capital intervenues ainsi que, le cas échéant, la cession ou les projets de cession de cet actif du CDR et les modalités précises de la procédure de vente engagée.
9.
La Commission a, le 5 novembre 1997, décidé d'ouvrir la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité CE (devenu article 88, paragraphe 2, CE) en ce qui concerne les mesures de soutien en faveur de Stardust et en a informé le gouvernement français par lettre du 8 décembre 1997, en l'invitant à lui fournir tous les renseignements nécessaires à l'instruction de l'affaire.
10.
L'ouverture de cette procédure a fait l'objet de la communication 98/C 111/07 de la Commission, du 9 avril 1998, adressée au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité aux autres États membres et autres intéressés concernant les mesures de recapitalisation de la société Stardust Marine (JO C 111, p. 9).
11.
Postérieurement à l'ouverture de la procédure susmentionnée, sont intervenus de nouveaux échanges d'informations entre la Commission et le gouvernement français.
12.
Le 8 septembre 1999, la Commission a adopté la décision litigieuse et l'a notifiée aux autorités françaises le 13 octobre 1999.
13.
Le dispositif de la décision litigieuse est libellé comme suit:
"Article premier
Les augmentations de capital de Stardust Marine de 44,3 millions de FRF effectuées par Altus Finance en octobre 1994, de 112 millions de FRF par le CDR en avril 1995, l'avance en compte courant du CDR de 127,5 millions de FRF de juillet 1995 à juin 1996, les recapitalisations de 250,5 millions de FRF en juin 1996 et de 89 millions de FRF en juin 1997 par le CDR sont des mesures d'aides d'État au sens de l'article 87, paragraphe 1, du traité. Ces mesures, d'une valeur totale actualisée au 31 octobre 1994 de 450,4 millions de FRF, ne peuvent être déclarées compatibles avec le marché commun au sens de l'article 87, paragraphes 2 et 3, du traité et avec l'article 61, paragraphes 2 et 3, de l'accord EEE.
Article 2
La France est tenue d'exiger la restitution par Stardust à l'État, ou au CDR, des 450,4 millions de FRF correspondant au contenu en aides des mesures en question, en valeur actualisée au 31 octobre 1994. S'y ajoutent les intérêts calculés sur ce montant, àcompter de cette date, au taux d'intérêt de référence établi par la Commission pour le calcul de l'équivalent-subvention net des aides en France.
Article 3
La France informe la Commission dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision des mesures prises pour s'y conformer.
Article 4
La République française est destinataire de la présente décision."
Sur le fond
14.
À l'appui de son recours en annulation de la décision litigieuse, le gouvernement français invoque cinq moyens.
15.
En premier lieu, le gouvernement français conteste l'origine étatique des fonds de soutien à Stardust, moyen qui est articulé en deux branches. En deuxième lieu, il soutient que la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation en écartant le caractère avisé du comportement de SBT et d'Altus à l'égard de Stardust. En troisième lieu, la décision litigieuse révélerait des contradictions internes, notamment en ce qui concerne l'identification du dispensateur de l'aide. En quatrième lieu, ladite décision violerait le principe de sécurité juridique en revenant sur des décisions antérieures de la Commission. En dernier lieu, la Commission aurait violé les droits de la défense du gouvernement français dans le cadre de la procédure ayant conduit à l'adoption de la décision litigieuse.
Observations liminaires générales
16.
Il y a lieu de relever, au préalable, qu'il ressort de la décision litigieuse que l'analyse du caractère d'aides d'État des mesures en cause, effectuée par la Commission, porte, en premier lieu, sur les soutiens financiers accordés à Stardust avant son cantonnement au sein du CDR.
17.
En effet, la Commission reconnaît, dans la décision litigieuse, que, "considérée isolément dans le temps, l'action de l'État, par l'intermédiaire du CDR, à partir du moment où l'entreprise a été cantonnée en 1995, [a] pu en partie répondre à des objectifs de saine gestion, de minimisation des pertes et de préservation des intérêts patrimoniaux de l'État. [...] Toutefois, même dans cette hypothèse non vérifiée, une bonne gestion du dossier par le CDR, en investisseur avisé, ne retirerait pas aux mesures en question le caractère d'aides à Stardust" (point 50). "En effet, pour apprécier cette opération, la Commission considère le continuum de l'action de l'État à l'égard de Stardust [...], que l'acte de cantonnement de l'entreprise au sein du CDR ne saurait rompre comme s'il ne s'était rien passé avant 1995" (point 51).
18.
Par ailleurs, bien que la Commission ait considéré, dans la décision litigieuse, que les recapitalisations de Stardust par Altus, en octobre 1994, et par le CDR, en avril 1995, en juin 1996, et en juin 1997, étaient des mesures d'aide au sens de l'article 87, paragraphe 1, CE, il convient de souligner que la Commission reconnaît elle-même que celles-ci ne sont que "la traduction" des aides accordées à Stardust avant le mois d'octobre 1994.
19.
En effet, il ressort du point 95 de la décision litigieuse que "les mesures d'aide en question ont en réalité précédé les recapitalisations de l'entreprise de 1994 à 1997 - qui ne représentent que le paiement différé des éléments d'aide qu'elles contenaient - et qu'elles sont principalement afférentes au financement inconsidéré de l'entreprise par le Crédit Lyonnais pendant sa période de croissance accélérée, en 1992-1994". En outre, aux termes du point 103 de ladite décision, "les mesures de recapitalisation" doivent être appréciées "dans le contexte où les aides ont en réalité été initialement accordées à Stardust, et notamment au cours des années 1992, 1993 et 1994" (d'autres citations allant dans le même sens figurent aux points 48, 51, 53, 100 à 102, 106 et 114 de la décision litigieuse).
20.
La Commission ayant ainsi considéré les concours financiers accordés à Stardust par Altus et SBT en 1992, en 1993 et en 1994 comme étant à l'origine des aides d'État incriminées par la décision litigieuse, l'examen par la Cour de la qualification d'aides d'État, auquel l'invitent tant le premier que le deuxième moyen soulevés par la requérante, doit porter en premier lieu sur ces mesures.
Sur le premier moyen
21.
Par ce moyen, le gouvernement français conteste, d'une part, que les moyens financiers utilisés par Altus et SBT, filiales du Crédit Lyonnais, pour financer Stardust puissent être qualifiés de "ressources d'État", au sens de l'article 87, paragraphe 1, CE (première branche), et, d'autre part, que les mesures de soutien prises en faveur de Stardust puissent être considérées comme imputables à l'État français (seconde branche).
Observations liminaires sur le premier moyen
22.
À titre liminaire, il convient de rappeler que l'article 87, paragraphe 1, CE déclare incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État, sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions.
23.
Ainsi qu'il résulte d'une jurisprudence constante, il n'y a pas lieu de distinguer entre les cas où l'aide est accordée directement par l'État et ceux où elle est accordée par des organismes publics ou privés que l'État institue ou désigne en vue de gérer l'aide (voir, notamment, arrêts du 22 mars 1977, Steinike & Weinlig, 78/76, Rec. p. 595,point 21; du 30 janvier 1985, Commission/France, 290/83, Rec. p. 439, point 14; du 2 février 1988, Van der Kooy e.a./Commission, 67/85, 68/85 et 70/85, Rec. p. 219, point 35, et du 21 mars 1991, Italie/Commission, C-305/89, Rec. p. I-1603, point 13). En effet, le droit communautaire ne saurait admettre que le seul fait de créer des institutions autonomes chargées de la distribution d'aides permette de contourner les règles relatives aux aides d'État.
24.
Toutefois, pour que des avantages puissent être qualifiés d'aides au sens de l'article 87, paragraphe 1, CE, ils doivent, d'une part, être accordés directement ou indirectement au moyen de ressources d'État (voir arrêts du 17 mars 1993, Sloman Neptun, C-72/91 et C-73/91, Rec. p. I-887, point 19; du 30 novembre 1993, Kirsammer-Hack, C-189/91, Rec. p. I-6185, point 16; du 7 mai 1998, Viscido e.a., C-52/97 à C-54/97, Rec. p. I-2629, point 13; du 1er décembre 1998, Ecotrade, C-200/97, Rec. p. I-7907, point 35; du 17 juin 1999, Piaggio, C-295/97, Rec. p. I-3735, point 35, et du 13 mars 2001, PreussenElektra, C-379/98, Rec. p. I-2099, point 58), et, d'autre part, être imputables à l'État (arrêts Van der Kooy e.a./Commission, précité, point 35; du 21 mars 1991, Italie/Commission, C-303/88, Rec. p. I-1433, point 11, et Italie/Commission, C-305/89, précité, point 13).