COMM.
C.F
COUR DE CASSATION
Audience publique du 14 mai 2002
Cassation partielle
M. DUMAS, président
Pourvoi n° X 98-22.446
Arrêt n° 952 FS P
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant
Sur le pourvoi formé par la Banque nationale de Paris (BNP), société anonyme, dont le siège est Paris,
en cassation d'un arrêt rendu le 23 septembre 1998 par la cour d'appel de Rennes (2e chambre civile), au profit
1°/ de la société Icolo France, société anonyme, dont le siège est Brécé,
2°/ de la société JMA industrie, société en nom collectif, dont le siège est Cesson Sévigné,
3°/ de l'EURL Financière JP Rault, entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, dont le siège est Cesson Sévigné,
4°/ de M. Olivier V, ès qualités de représentant des créanciers du redressement judiciaire des sociétés Icolo, JMA industrie et société Financière JP Rault, demeurant Rennes,
5°/ de M. Michel U, ès qualités d'administrateur au redressement judiciaire des sociétés Icolo, JAM industrie et société Financière JP Rault et de commissaire à l'exécution du plan de ces dernières sociétés, demeurant Rennes,
6°/ de la société Imprimerie Raynard, dont le siège est La Guerche de Bretagne,
7°/ du Crédit maritime mutuel, dont le siège est Plérin,
défendeurs à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au Procureur général ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6-1 du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 19 mars 2002, où étaient présents M. Dumas, président, Mme Besançon, conseiller rapporteur, MM. Tricot, Badi, Mmes Aubert, Vigneron, Tric, Lardennois, Pinot, M. Cahart, conseillers, MM. Richard de la Tour, de Monteynard, Delmotte, conseillers référendaires, M. Jobard, avocat général, Mme Moratille, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Besançon, conseiller, les observations de la SCP Defrenois et Levis, avocat de la Banque nationale de Paris (BNP), de Me ..., aocat des sociétés Icolo France, JMA industrie, l'EURL Financière JP Rault et M. U, ès qualités, les conclusions de M. Jobard, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué et les productions, que, par une ordonnance du 21 juin 1996, le président du tribunal de commerce a ouvert, sur le fondement de l'article 35 de la loi du 1er mars 1984, une procédure de règlement amiable à l'égard des sociétés Icolo France, JMA industrie et Ibero puis, par une ordonnance du 19 juillet 1996, a ordonné la suspension provisoire des poursuites ; que l'accord de règlement amiable des principaux créanciers, qui prévoyait des échéances semestrielles payables à terme échu la première fois le 28 août 1997, a été homologué par une ordonnance du 12 novembre 1996 ; que, sur déclaration de cessation des paiements le 3 février 1997, le tribunal a ouvert le 7 février 1997 la procédure de redressement judiciaire des sociétés Icolo France, JMA industrie et Financière J.P. Rault et fixé au 15 juillet 1996 la date de cessation des paiements de ces sociétés ; que la Banque nationale de Paris (la banque) a formé tierce opposition à cette décision et a demandé que la date de cessation des paiements des sociétés soit fixée au jour de la déclaration ;
Sur le moyen unique en tant qu'il concerne la société Financière JP Rault
Attendu qu'il résulte du dossier régulièrement communiqué à la Cour de Cassation que la société Financière JP Rault n'a pas fait l'objet d'une procédure de règlement amiable ; que le moyen est inopérant ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche, en tant qu'il concerne les sociétés Icolo France et JMA industrie
Attendu que la banque fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande en modification de la date de cessation de paiements retenue dans le jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ouverte à l'égard des sociétés Icolo France et JMA industrie, alors, selon le moyen, que la procédure de règlement amiable instituée par l'article 35 de la loi du 1er mars 1984 s'applique à toute entreprise commerciale ou artisanale qui, sans être en cessation des paiements, éprouve une difficulté juridique, économique ou financière ; qu'en conséquence, l'ouverture d'une procédure de règlement amiable, la suspension provisoire des poursuites et l'homologation d'un protocole d'accord conclu par le conciliateur avec les créanciers supposent implicitement mais nécessairement l'absence de cessation des paiements au jour des ordonnances prises par le président du tribunal de commerce ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 35 et 36 de la loi du 1er mars 1984 (dans leur rédaction issue de la loi du 10 juin 1994) ;
Mais attendu qu'ayant énoncé que ni l'ordonnance ouvrant le règlement amiable, ni l'ordonnance suspendant les poursuites, ni l'ordonnance homologuant l'accord n'ont autorité de chose jugée quant à la date de cessation des paiements, l'arrêt retient que l'ouverture de la procédure de règlement amiable n'empêchait pas le report de la date de cessation des paiements ; que la cour d'appel ayant légalement justifié sa décision, le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le moyen unique, pris en sa troisième branche, en tant qu'il concerne les sociétés Icolo France et JMA industrie
Attendu que la banque fait encore le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, que le protocole d'accord prévoyait expressément, pour les créanciers ne participant pas au règlement amiable et dont le montant des créances n'était pas trop important, que le remboursement de leurs créances se ferait, en application des dispositions de l'article 1244-1 du Code civil, au terme d'un délai de deux ans, pour permettre au débiteur de faire face aux besoins de trésorerie des trois sociétés et de respecter ses engagements vis-à-vis des créanciers acceptant ; qu'en considérant comme exigible, au 15 juillet 1996, le montant global des créances inférieures à 50 000 francs, la cour d'appel a violé l'article 36 de la loi du 1er mars 1984 (dans sa rédaction issue de la loi du 10 juin 1994), ensemble les articles 3 et 9 de la loi du 25 janvier 1985 ;
Mais attendu que l'ordonnance du 12 novembre 1996, qui a constaté et homologué l'accord des créanciers, n'a pas dit que le remboursement des sommes dues aux créanciers ne participant pas au règlement amiable se ferait, en application des dispositions de l'article 1244-1 du Code civil, au terme d'un délai de deux ans; que le moyen manque en fait ;
Mais sur le même moyen, pris en sa deuxième branche, en tant qu'il concerne les sociétés Icolo France et JMA industrie
Vu les articles 35 et 36 de la loi du 1er mars 1984 devenus les articles L. 611-3 et L. 611-4 du Code de commerce et les articles 3 et 9 de la loi du 25 janvier 1985 devenus les articles L. 621-1 et L. 621-7 du même Code ;
Attendu que pour rejeter la demande de la banque, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que ce n'est pas parce qu'aucune demande de résolution du protocole d'accord du règlement amiable n'a été formulée par les créanciers concernés que les sociétés Icolo France et JMA industrie n'étaient pas en état de cessation des paiements à une date antérieure à quinze jours à la déclaration qui en a été faite par le dirigeant, qu'il suffit de renvoyer à l'examen du procès-verbal de conciliation dressé par le conciliateur pour constater qu'au 15 juillet 1996 les passifs exigibles, c'est-à-dire échus, des sociétés Icolo France et JMA industrie étaient respectivement de plus de 10 000 000 francs et de plus de 558 000 francs alors que leurs actifs disponibles n'étaient respectivement que de 1 088 000 francs et de 6 000 francs, que l'on doit admettre qu'au 15 juillet 1996 la renonciation des principaux créanciers à exiger le paiement immédiat de leurs créances n'était nullement volontaire mais seulement la conséquence de l'ordonnance ayant ordonné la suspension des poursuites contre les sociétés Icolo France et JMA industrie, que force est de constater en outre que l'actif disponible (cumulé) des sociétés Icolo France et JMA Industrie ne leur permettait même pas, toujours au 15 juillet 1996, de régler leurs "créanciers ou fournisseurs non appelés" au motif que ceux-ci n'étaient "titulaires que de créances inférieures à 50 000 francs", créances dont le montant global était pourtant déjà à l'époque de l'ordre de 1 900 000 francs ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans tenir compte des reports d'exigibilité des créances constatés par le protocole du 28 octobre 1996 prévoyant l'apurement du passif des sociétés Icolo France et JMA industrie, ni rechercher si ces sociétés avaient bénéficié d'un report d'échéance des "créanciers non appelés" qui aurait contribué à différer la survenance de leur état de cessation des paiements, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté la Banque nationale de Paris de sa demande de modification de la date de cessation des paiements des sociétés Icolo France et JMA industrie, l'arrêt rendu le 23 septembre 1998, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Angers ;
Condamne les défendeurs aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de M. U, ès qualités, des sociétés Icolo, JMA industrie et l'EURL Financière J.P Rault ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze mai deux mille deux.