Jurisprudence : Cass. civ. 3, 27-06-2024, n° 22-21.272, FS-B, Cassation

Cass. civ. 3, 27-06-2024, n° 22-21.272, FS-B, Cassation

A29685LI

Identifiant européen : ECLI:FR:CCASS:2024:C300341

Identifiant Legifrance : JURITEXT000049857497

Référence

Cass. civ. 3, 27-06-2024, n° 22-21.272, FS-B, Cassation. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/109125263-cass-civ-3-27062024-n-2221272-fsb-cassation
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Abstract

II résulte de la combinaison des articles 1147 et 1149 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, 1732 du même code, et du principe de la réparation intégrale du préjudice, que le locataire qui restitue les locaux dans un état non conforme à ses obligations découlant de la loi ou du contrat commet un manquement contractuel et doit réparer le préjudice éventuellement subi de ce chef par le bailleur. Ce préjudice peut comprendre le coût de la remise en état des locaux, sans que son indemnisation ne soit subordonnée à l'exécution des réparations ou à l'engagement effectif de dépenses. Tenu d'évaluer le préjudice à la date à laquelle il statue, le juge doit prendre en compte, lorsqu'elles sont invoquées, les circonstances postérieures à la libération des locaux, telles la relocation, la vente ou la démolition. Dès lors, doit être censuré l'arrêt qui condamne un locataire à payer au bailleur des dommages-intérêts équivalents au coût de la remise en état des locaux précédemment loués au seul motif de l'inexécution des réparations par le locataire, sans constater qu'un préjudice pour le bailleur était résulté de sa faute contractuelle, alors qu'il invoquait une revente des locaux aux fins de leur destruction sans que le bailleur ait effectué de travaux de remise en état ni n'ait subi de dévalorisation du prix de vente


CIV. 3

MF


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 27 juin 2024


Cassation partielle


Mme TEILLER, président


Arrêt n° 341 FS-B

Pourvoi n° B 22-21.272


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 JUIN 2024


La société Carrefour proximité France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 7], venant aux droits de la société Erteco France, anciennement dénommée Dia France, a formé le pourvoi n° B 22-21.272 contre l'arrêt rendu le 15 juin 2022 par la cour d'appel de Paris (pole 5 - chambre 3), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme [E] [R], épouse [I], … [… …] (…),

2°/ à Mme [C] [R], épouse [H], domiciliée [Adresse 4],

3°/ à Mme [F] [R], épouse [W], domiciliée [Adresse 6],

4°/ à M. [M] [R], domicilié [… …],

5°/ à M. [A] [R], domicilié [… …],

6°/ à M. [Aa] [J], domicilié [Adresse 2], venant aux droits de [Y] [R],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.


Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. David, conseiller, les observations et les plaidoiries de la SCP Lesourd, avocat de la société Carrefour proximité France, et l'avis de Mme Morel-Coujard, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 mai 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. David, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, Mmes Grandjean, Grall, M. Bosse-Platière, Mme Proust, conseillers, Mmes Ab, Aldigé, M. Ac, Ad Ae, Af, MM. Pons, Choquet, conseillers référendaires, Mme Morel-Coujard, avocat général, et Mme Maréville, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire🏛, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.


Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 juin 2022), le 16 mai 2002, [N] [R], aux droits duquel viennent Mmes [C], [F] et [E] [R], MM. [M] et [A] [R] et M. [J] (les bailleurs), a donné à bail à la société ED, aux droits de laquelle vient la société Carrefour proximité France (la locataire), divers locaux commerciaux.

2. Le 10 novembre 2010, les bailleurs ont délivré à la locataire un congé avec offre de renouvellement du bail.

3. La locataire ayant accepté le principe du renouvellement mais contesté le loyer proposé, les bailleurs l'ont assignée en fixation du prix du bail renouvelé.

4. Exerçant son droit d'option, la locataire a, le 6 août 2018, renoncé au renouvellement du bail et, le 20 septembre 2018, a libéré les biens loués que, le 13 novembre 2019, les bailleurs ont vendus à l'établissement public foncier d'Ile-de-France.

5. Les bailleurs ont demandé la condamnation de la locataire à leur payer une certaine somme au titre de dégradations commises dans les locaux loués.


Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. La locataire fait grief à l'arrêt de la dire redevable envers les bailleurs d'une certaine somme en réparation du préjudice causé par les dégradations commises durant son occupation des lieux et de dire que cette somme serait déduite du montant du dépôt de garantie, alors « que des dommages-intérêts ne peuvent être alloués que si le juge, au moment où il statue, constate qu'il est résulté un préjudice de la faute contractuelle ; qu'en se fondant exclusivement sur l'inexécution par le locataire des réparations locatives pour indemniser le bailleur, à défaut de préciser la nature de son préjudice, la cour d'appel a violé les articles 1731, 1732 et 1231-1 du code civil🏛🏛🏛. »


Réponse de la Cour

Vu les articles 1147 et 1149, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 1732 du code civil et le principe de réparation intégrale du préjudice :

7. Selon le troisième de ces textes, le locataire répond des dégradations ou des pertes qui arrivent pendant sa jouissance, à moins qu'il ne prouve qu'elles ont eu lieu sans sa faute.

8. Aux termes du premier, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages-intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

9. Selon le deuxième et le principe susvisé, les dommages-intérêts dus au créancier sont de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé sans qu'il en résulte pour lui ni perte ni profit.

10. Il résulte de la combinaison de ces textes et principe que le locataire qui restitue les locaux dans un état non conforme à ses obligations découlant de la loi ou du contrat commet un manquement contractuel et doit réparer le préjudice éventuellement subi de ce chef par le bailleur.

11. Ce préjudice peut comprendre le coût de la remise en état des locaux, sans que son indemnisation ne soit subordonnée à l'exécution des réparations ou à l'engagement effectif de dépenses.

12. Tenu d'évaluer le préjudice à la date à laquelle il statue, le juge doit prendre en compte, lorsqu'elles sont invoquées, les circonstances postérieures à la libération des locaux, telles la relocation, la vente ou la démolition.

13. Pour condamner la locataire à payer aux bailleurs une certaine somme au titre de la réparation des dégradations commises durant son occupation des lieux, l'arrêt retient que l'absence de devis de travaux de réparation ou le fait que les bailleurs aient réalisé le cas échéant une plus value lors de la vente du bien immobilier sont inopérants sur le droit à indemnisation des bailleurs qui est la conséquence de l'inexécution par la locataire de son obligation de réparations locatives.

14. En statuant ainsi, au seul motif de l'inexécution des réparations par la locataire, sans constater qu'un préjudice pour les bailleurs était résulté de la faute contractuelle de la locataire, la cour d'appel a violé les textes et principe susvisés.


PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il infirme le jugement en ce qu'il a condamné la société Carrefour proximité France à verser aux consorts [R] la somme de 53 799,21 euros et en ce qu'il a dit que cette somme serait payée par le dépôt de garantie que Ad [C], [F] et [E] [R], MM. [M] et [A] [R] et M. [J] pourraient conserver et en ce que, statuant à nouveau, il dit que la société Carrefour proximité France est redevable envers Ad [C], [F] et [E] [R], MM. [M] et [A] [R] et M. [Ag] de la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice causé par les dégradations commises durant son occupation des lieux, dit que cette somme sera déduite du montant du dépôt de garantie qui a été conservé à hauteur de 53 799,21 euros par Ad [C], [F] et [E] [R], MM. [M] et [A] [R] et M. [Ag] et condamne, en conséquence, solidairement Ad [C], [F] et [E] [R], MM. [M] et [A] [R] et M. [Ag] à restituer à la société Carrefour proximité France la somme de 43 799,21 euros au titre du dépôt de garantie, l'arrêt rendu le 15 juin 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne Mmes [C], [F] et [E] [R], MM. [M] et [A] [R] et M. [Ag] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile🏛, condamne Mmes [C], [F] et [E] [R], MM. [M] et [A] [R] et M. [Ag], in solidum, à payer à la société Carrefour proximité France la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé le vingt-sept juin deux mille vingt-quatre, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile🏛.

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