Cour de justice des Communautés européennes31 mai 2001
Affaire n°C-122/99
D et Royaume de Suède
c/
Conseil de l'Union européenne
61999J0122
Arrêt de la Cour
du 31 mai 2001.
D et Royaume de Suède contre Conseil de l'Union européenne.
Pourvoi - Fonctionnaire - Allocation de foyer - Fonctionnaire marié - Partenariat enregistre de droit suédois.
Affaires jointes C-122/99 P et C-125/99 P.
Recueil de jurisprudence 2001 page 0000
1 Fonctionnaires - Rémunération - Allocations familiales - Allocation de foyer - Conditions d'octroi - Mariage - Notion - Partenariat enregistré - Exclusion
(Statut des fonctionnaires, annexe VII, art. 1er, § 2, a))
2 Fonctionnaires - Rémunération - Allocations familiales - Allocation de foyer - Conditions d'octroi - Mariage - Discrimination fondée sur le sexe - Violation du principe d'égalité des rémunérations entre hommes et femmes - Absence
(Traité CE, art. 119 (les art. 117 à 120 du traité CE ont été remplacés par les art. 136 CE à 143 CE); statut des fonctionnaires, annexe VII, art. 1er, § 2, a))
3 Fonctionnaires - Égalité de traitement - Partenariat enregistré et mariage - Notion - Situations non comparables
4 Droit communautaire - Principes - Droits fondamentaux - Respect de la vie familiale - Refus d'octroi d'une allocation de foyer à un fonctionnaire - Décision susceptible de constituer une ingérence dans la vie privée et familiale au sens de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme - Non
(Convention européenne des droits de l'homme, art. 8; statut des fonctionnaires, annexe VII, art. 1er, § 2, a))
1 C'est aux seuls ménages mariés que le législateur communautaire a entendu accorder, sur le fondement de l'article 1er, paragraphe 2, sous a), de l'annexe VII du statut, le bénéfice de l'allocation de foyer et il ne peut appartenir qu'au législateur d'adopter, le cas échéant, des mesures susceptibles d'affecter cette situation, par exemple en modifiant les termes du statut.
L'assimilation, d'ailleurs incomplète, du partenariat enregistré au mariage dans un nombre limité d'États membres ne saurait avoir pour conséquence, par la voie d'une simple interprétation, d'inclure dans la notion statuaire de "fonctionnaire marié" des personnes soumises à un régime de droit distinct du mariage.
En effet, le terme de "mariage", selon la définition communément admise par les États membres, désigne une union entre deux personnes de sexe différent. S'il est vrai que, depuis 1989, des États membres en nombre croissant ont mis en place, à côté du mariage, des régimes légaux accordant une reconnaissance juridique à diverses formes d'union entre des partenaires de même sexe ou de sexe différent et donnant à ces unions certains effets identiques ou comparables à ceux du mariage, tant entre les partenaires qu'à l'égard des tiers, il apparaît toutefois que, au-delà de leur grande hétérogénéité, ces régimes d'enregistrement de relations de couple qui n'étaient jusque-là pas reconnues par la loi sont, dans les États membres concernés, distincts du mariage. De telles circonstances ne permettent pas au juge communautaire d'interpréter le statut des fonctionnaires de telle sorte que soient assimilées au mariage des situations légales qui en sont distinctes. (voir points 34-39)
2 L'article 1er, paragraphe 2, sous a), de l'annexe VII du statut, qui réserve l'allocation de foyer au fonctionnaire marié, ne peut être regardé comme discriminatoire en fonction du sexe de l'intéressé, ni, par conséquent, comme contraire à l'article 119 du traité (les articles 117 à 120 du traité ont été remplacés par les articles 136 CE à 143 CE).
La circonstance que le fonctionnaire soit un homme ou une femme est indifférente du point de vue de l'octroi de cette allocation. (voir point 46)
3 Le principe de l'égalité de traitement ne saurait s'appliquer qu'à des personnes placées dans des situations comparables. En vue d'apprécier si la situation d'un fonctionnaire ayant fait enregistrer un partenariat entre personnes de même sexe est comparable à celle d'un fonctionnaire marié, le juge communautaire ne saurait faire abstraction des conceptions prévalant dans l'ensemble de la Communauté.
Or, la situation qui existe dans les États membres de la Communauté quant à la reconnaissance des partenariats entre personnes de même sexe ou de sexe différent étant marquée par une grande hétérogénéité des législations et par une absence générale d'assimilation entre le mariage, d'une part, et les autres formes d'union légale, d'autre part, la situation d'un fonctionnaire ayant fait enregistrer un partenariat dans un État membre ne saurait être tenue pour comparable, aux fins de l'application du statut des fonctionnaires, à celle d'un fonctionnaire marié. (voir points 48-51)
4 Le refus de l'octroi d'une allocation de foyer par l'administration communautaire à l'un de ses fonctionnaires n'affecte pas la situation de celui-ci au regard de l'état civil et, ne concernant que les rapports entre le fonctionnaire et son employeur, ne donne lieu, par lui-même, à aucune transmission d'informations personnelles à des personnes étrangères à l'administration communautaire. Une telle décision n'est donc pas susceptible de constituer une ingérence dans la vie privée et familiale au sens de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme. (voir points 59-60)
Dans les affaires jointes C-122/99 P et C-125/99 P,
D, fonctionnaire du Conseil de l'Union européenne, demeurant à Arvika (Suède), représenté par Mes J.-N. Louis, G.-F. Parmentier et V. Peere, avocats, ayant élu domicile à Luxembourg,
Royaume de Suède, représenté par Mme L. Nordling, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg,
parties requérantes,
soutenus par
Royaume de Danemark, représenté par M. J. Molde, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg,
et par
Royaume des Pays-Bas, représenté par M. M. A. Fierstra et Mme J. van Bakel, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
parties intervenantes aux pourvois,
ayant pour objet deux pourvois formés contre l'arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes (deuxième chambre) du 28 janvier 1999, D/Conseil (T-264/97, RecFP p. I-A-1 et II-1), et tendant à l'annulation de cet arrêt,
l'autre partie à la procédure étant:
Conseil de l'Union européenne, représenté par M. M. Bauer et Mme E. Karlsson, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
LA COUR,
composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, C. Gulmann, A. La Pergola, M. Wathelet et V. Skouris, présidents de chambre, D. A. O. Edward, J.-P. Puissochet (rapporteur), P. Jann, L. Sevón, R. Schintgen, Mmes F. Macken, N. Colneric, MM. S. von Bahr, J. N. Cunha Rodrigues et C. W. A. Timmermans, juges,
avocat général: M. J. Mischo,
greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l'audience du 23 janvier 2001, au cours de laquelle D a été représenté par Me J.-N. Louis, le royaume de Suède par M. A. Kruse, en qualité d'agent, le Conseil par M. M. Bauer et Mme E. Karlsson, et le royaume de Danemark par M. J. Molde,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 22 février 2001,
rend le présent
Arrêt
1 Par deux requêtes déposées au greffe de la Cour, respectivement le 13 et le 14 avril 1999, D et le royaume de Suède ont, en vertu de l'article 49 du statut CE et des dispositions correspondantes des statuts CECA et CEEA de la Cour de justice, formé un pourvoi contre l'arrêt du Tribunal de première instance du 28 janvier 1999, D/Conseil (T-264/97, RecFP, p. I-A-1 et II-1, ci-après l'"arrêt attaqué"), par lequel le Tribunal a rejeté le recours de D, soutenu par le royaume de Suède, tendant à l'annulation du refus du Conseil de l'Union européenne d'admettre le requérant au bénéfice de l'allocation de foyer.
Le cadre juridique
2 L'article 1er, paragraphe 2, de l'annexe VII du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le "statut") est ainsi libellé:
"A droit à l'allocation de foyer:
a) le fonctionnaire marié;
b) le fonctionnaire veuf, divorcé, séparé légalement ou célibataire, ayant un ou plusieurs enfants à charge au sens de l'article 2 paragraphes 2 et 3;
c) par décision spéciale et motivée de l'autorité investie du pouvoir de nomination, prise sur la base de documents probants, le fonctionnaire qui, ne remplissant pas les conditions prévues aux points a) et b), assume cependant effectivement des charges de famille."
3 L'article 1er du chapitre 1 de la lagen (1994:1117) om registrerat partnerskap, du 23 juin 1994 (loi suédoise sur le partenariat enregistré), prévoit que "[d]eux personnes de même sexe peuvent demander l'enregistrement de leur partenariat". Selon l'article 1er du chapitre 3 de la même loi, "[l]e partenariat enregistré a les mêmes effets juridiques que le mariage, sous réserve des exceptions prévues [...]".
Les faits à l'origine du litige
4 D, fonctionnaire des Communautés européennes en service au Conseil, de nationalité suédoise, a fait enregistrer en Suède le 23 juin 1995 un partenariat avec un autre ressortissant suédois de même sexe. Par notes des 16 et 24 septembre 1996, il a demandé au Conseil d'assimiler à un mariage son statut de partenaire enregistré en vue d'obtenir le bénéfice de l'allocation de foyer prévue par le statut.
5 Le Conseil a rejeté la demande par une note du 29 novembre 1996 au motif que les dispositions du statut ne permettaient pas d'assimiler, par voie d'interprétation, l'état de "partenariat enregistré" à celui de mariage.
6 La réclamation contre cette décision introduite par D le 1er mars 1997 a été rejetée pour le même motif, par une note du 30 juin 1997 du secrétaire général du Conseil (ci-après la "décision litigieuse").
7 À la suite de ce rejet, D a, par requête déposée au greffe du Tribunal le 2 octobre 1997, formé un recours tendant à l'annulation du refus de reconnaître son statut légal de partenariat et de lui octroyer, ainsi qu'à son partenaire, la rémunération à laquelle il prétend avoir droit en application du statut, des règlements et des autres dispositions générales applicables aux fonctionnaires des Communautés européennes.
L'arrêt attaqué
8 Le Tribunal a considéré, aux points 14 à 18 de l'arrêt attaqué, que la procédure précontentieuse n'avait eu pour objet que la demande d'allocation de foyer et que, dès lors, le recours ne pouvait tendre qu'à l'annulation du refus de faire droit à cette demande.
9 Le Tribunal a, aux points 19 à 21 de l'arrêt attaqué, rejeté l'exception d'irrecevabilité soulevée par le Conseil à l'encontre de certains des moyens d'annulation développés par le requérant.
10 Sur le premier moyen, tiré de la violation des principes d'égalité de traitement et de non-discrimination, le Tribunal a tout d'abord constaté, aux points 23 à 25 de l'arrêt attaqué, que le règlement (CE, CECA, Euratom) n° 781/98 du Conseil, du 7 avril 1998, modifiant le statut des fonctionnaires des Communautés européennes ainsi que le régime applicable aux autres agents de ces Communautés en matière d'égalité de traitement (JO L 113, p. 4), qui a inséré dans le statut un article 1er bis garantissant aux fonctionnaires l'égalité de traitement sans référence à leur orientation sexuelle, sans préjudice des dispositions statutaires requérant un état civil déterminé, n'est entré en vigueur que postérieurement à l'adoption de la décision litigieuse, de sorte qu'il n'y avait pas lieu de le prendre en considération.
11 Il a ensuite rappelé, aux points 26 et 27 de l'arrêt attaqué, que, selon sa jurisprudence, la notion de mariage au sens du statut doit s'entendre comme un rapport fondé sur le mariage civil au sens traditionnel du terme (arrêt du Tribunal du 17 juin 1993, Arauxo-Dumay/Commission, T-65/92, Rec. p. II-597, point 28) et que la référence aux droits des États membres n'est pas nécessaire lorsque les dispositions pertinentes du statut sont susceptibles d'une interprétation autonome (arrêt du Tribunal du 18 décembre 1992, Díaz García/Parlement, T-43/90, Rec. p. II-2619, point 36).
12 Enfin, se fondant sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et sur celle de la Cour de justice (arrêt du 17 février 1998, Grant, C-249/96, Rec. p. I-621, points 34 et 35), le Tribunal a considéré, aux points 28 à 30 de l'arrêt attaqué, que le Conseil n'était pas dans l'obligation d'assimiler au mariage, au sens des dispositions statutaires, la situation d'une personne entretenant avec un partenaire de même sexe une relation stable, même si celle-ci a fait l'objet d'un enregistrement officiel par une administration nationale. Il a ajouté, aux points 31 et 32 de l'arrêt attaqué, que la Commission avait été invitée à soumettre des propositions relatives à la reconnaissance des situations de partenariat enregistré et qu'il appartiendrait au Conseil, comme législateur et non comme employeur, d'apporter éventuellement au statut les modifications appropriées à la suite de ces propositions.
13 Le Tribunal a, aux points 36 et 37 de l'arrêt attaqué, écarté comme dénué de pertinence le deuxième moyen selon lequel le requérant avait droit au respect de l'unicité de son statut personnel de partenaire enregistré, distinct du statut de célibataire.
14 Sur le troisième moyen, tiré d'une violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le Tribunal a, aux points 39 à 41 de l'arrêt attaqué, jugé que le Conseil n'avait pas pu violer cette disposition puisque des relations homosexuelles durables ne relèvent pas du droit au respect de la vie familiale protégé par ladite disposition.
15 S'agissant du quatrième moyen, tiré d'une violation du principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins qui figure à l'article 119 du traité CE (les articles 117 à 120 du traité CE ont été remplacés par les articles 136 CE à 143 CE), le Tribunal s'est borné à souligner, aux points 42 à 44 de l'arrêt attaqué, que les dispositions statutaires pertinentes s'appliquent de la même manière aux fonctionnaires de sexe féminin et à ceux de sexe masculin et n'entraînent donc aucune discrimination interdite par l'article 119 du traité.
16 Par ces motifs, le Tribunal a rejeté le recours.
Les pourvois
17 D et le royaume de Suède concluent à ce qu'il plaise à la Cour annuler l'arrêt attaqué et la décision du Conseil rejetant la demande de D et condamner le Conseil, respectivement, aux dépens des instances devant le Tribunal et la Cour et aux frais de procédure exposés par le royaume de Suède devant la Cour.
18 Le Conseil demande à la Cour de rejeter les pourvois comme non fondés et de condamner D et le royaume de Suède aux dépens.