Jurisprudence : TA Melun, du 06-06-2024, n° 2401743

TA Melun, du 06-06-2024, n° 2401743

A67525IW

Référence

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Abstract

► La délibération du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de Seine-et-Marne augmentant temporairement, pour la durée des Jeux olympiques et paralympiques de 2024, le plafond du temps de travail hebdomadaire des sapeurs-pompiers professionnels, n'est pas illégale.


Références

Tribunal Administratif de MELUN

N° 2401743

9ème chambre
lecture du 06 juin 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 12 février et 23 avril 2024,

le syndicat CFDT Interco de Seine-et-Marne, représenté par sa secrétaire générale en exercice, représenté par Me Boussoum, demande au tribunal :

1°) d'annuler la délibération n° 9 du conseil d'admission du

service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de Seine-et-Marne en date du

11 décembre 2023 ;

2°) de mettre à la charge du SDIS de Seine et Marne la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Il soutient que :

- il justifie d'un intérêt à agir et d'une qualité pour agir ;

- la délibération attaquée est entachée d'erreur de droit : d'une part, la durée de travail hebdomadaire des sapeurs-pompiers ne pouvant jamais dépasser un plafond de 48 heures, la délibération attaquée ne peut instaurer 96 heures de travail par semaine même glissante ; elle ne respecte pas le plafond de 48 heures de travail hebdomadaire sur une période de référence de six mois et ne prévoit aucune garantie concernant le calcul sur six mois glissants alors que la durée de 96 heures maximum sera le temps de présence par semaine glissante pour les périodes courant du 20 juillet au 15 août puis du 28 août au 8 septembre 2024, soit sur une période inférieure à deux mois ; d'autre part, en fixant à 96 heures le temps de présence par semaine glissante, la délibération contestée méconnaît le droit des agents de bénéficier d'une interruption de service d'une durée au moins égale aux cycles de garde préalablement effectués ;

- en fixant à 96 heures le temps de présence maximum par semaine glissante, la délibération attaquée méconnaît le droit de la santé et le droit de la sécurité dans le travail.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 5 avril et 21 mai 2024, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, le SDIS de Seine-et-Marne, représenté par Me Cayla-Destrem conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge du

syndicat CFDT Interco de Seine-et-Marne en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que les moyens soulevés par le SDIS de Seine-et-Marne ne sont pas fondés.

En application des dispositions de l'article R. 613-2 du code de justice administrative🏛, l'instruction a été close trois jours francs avant la date d'audience.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984🏛 ;

- le décret n° 2000-815 du 25 août 2000🏛 ;

- le décret n° 2001-623 du 12 juillet 2001🏛 ;

- le décret n° 2001-1382 du 31 décembre 2001🏛 ;

- le décret n° 2013-1186 du 18 décembre 2013🏛 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique:

- le rapport de Mme Bonneau-Mathelot,

- les conclusions de Mme Van Daële, rapporteure publique,

- les observations de Me Lejars-Riccardi, substituant Me Boussoum, représentant le syndicat CFDT Interco de Seine-et-Marne, en présence de Mme Haettel-Baudel, secrétaire générale, et les observations de Me Cayla-Destrem, représentant le SDIS de Seine-et-Marne, en présence de Mme A.

Considérant ce qui suit :

1. Par une délibération n° 9 du 11 décembre 2023, le conseil d'administration (CA) du SDIS de Seine-et-Marne a approuvé l'aménagement temporaire du temps de travail des sapeurs-pompiers professionnels non-officiers ainsi que des personnels de la filière technique affectés au CTA/CODIS portant à quatre-vingt-seize heures maximum le temps de présence par semaine glissante pour les périodes du 20 juillet au 15 août et du 28 août au 8 septembre 2024 et précisé " [que] ce temps de présence s'inscrit dans le respect des quarante-huit heures de travail effectif maximum par semaine qui s'apprécie en moyenne sur une période de six mois[et que] les cycles de gardes devront être suivis d'une interruption de service d'une durée au moins égale ". Par la présente requête, le syndicat CFDT Interco de Seine-et-Marne demande au tribunal d'annuler cette délibération.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne le cadre juridique du litige :

2. D'une part, aux termes de l'article 6 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail : " Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que, en fonction des impératifs de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs : / a) la durée hebdomadaire du travail soit limitée au moyen de dispositions législatives, réglementaires ou administratives ou de conventions collectives ou d'accords conclus entre partenaires sociaux ; / b) la durée moyenne de travail pour chaque période de sept jours n'excède pas quarante-huit heures, y compris les heures supplémentaires ". Aux termes de l'article 16 de cette directive : " Les États membres peuvent prévoir : / () ; / b) pour l'application de l'article 6 (durée maximale hebdomadaire de travail), une période de référence ne dépassant pas quatre mois. / () ". Aux termes de l'article 17 de cette directive : " (). / 2. Les dérogations prévues aux paragraphes 3, 4 et 5 peuvent être adoptées par voie législative, réglementaire et administrative ou par voie de conventions collectives ou d'accords conclus entre partenaires sociaux, à condition que des périodes équivalentes de repos compensateur soient accordées aux travailleurs concernés ou que, dans des cas exceptionnels dans lesquels l'octroi de telles périodes équivalentes de repos compensateur n'est pas possible pour des raisons objectives, une protection appropriée soit accordée aux travailleurs concernés / 3. Conformément au paragraphe 2 du présent article, il peut être dérogé aux articles 3, 4, 5, 8 et 16 : / () ; / c) pour les activités caractérisées par la nécessité d'assurer la continuité du service ou de la production, notamment lorsqu'il s'agit : / () ; / iii) () de sapeurs-pompiers ou de protection civile ; / () ". Enfin, aux termes de l'article 19 de cette directive : " La faculté de déroger à l'article 16, point b), prévue à l'article 17, paragraphe 3, () ne peut avoir pour effet l'établissement d'une période de référence dépassant six mois. / () ".

3. Lorsque le régime du temps de travail d'agents, tels que les sapeurs-pompiers professionnels, est déterminé en fonction d'une période de référence, en application des articles 16, 17 et 19 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, la durée hebdomadaire maximale de travail de 48 heures prévue par l'article 6 de cette directive ne s'apprécie pas pour chacune des périodes de sept jours comprises dans cette période de référence mais uniquement, en moyenne, sur l'ensemble de celle-ci.

4. D'autre part, aux termes de l'article 1er du décret n° 2001-1382 du 31 décembre 2001🏛 relatif au temps de travail des sapeurs-pompiers professionnels, dans sa rédaction applicable au présent litige : " La durée de travail effectif des sapeurs-pompiers professionnels est définie conformément à l'article 1er du décret du 25 août 2000🏛 susvisé auquel renvoie le décret du 12 juillet 2001🏛 () ". Aux termes de l'article 2 du même décret : " La durée de travail effectif journalier définie à l'article 1er ne peut pas excéder 12 heures consécutives. Lorsque cette période atteint une durée de 12 heures, elle est suivie obligatoirement d'une interruption de service d'une durée au moins égale ". Aux termes de l'article 3 du même décret : " Par dérogation aux dispositions de l'article 2 relatives à l'amplitude journalière, une délibération du conseil d'administration du service d'incendie et de secours peut, eu égard aux missions des services d'incendie et de secours et aux nécessités de service, et après avis du comité technique, fixer le temps de présence à vingt-quatre heures consécutives. / Dans ce cas, le conseil d'administration fixe une durée équivalente au décompte semestriel du temps de travail, qui ne peut excéder 1 128 heures sur chaque période de six mois. / (). / Ce temps de présence est suivi d'une interruption de service d'une durée au moins égale ".

En ce qui concerne la légalité de la délibération attaquée :

5. En premier lieu, et contrairement à ce que soutient le syndicat CFDT Interco de

Seine-et-Marne, il ne résulte pas des dispositions précitées aux points 2. et 4. que " la durée hebdomadaire des sapeurs-pompiers ne peut jamais dépasser un plafond de 48 heures hebdomadaires de travail ". Lorsque le régime du temps travail des sapeurs-pompiers professionnels est déterminé en fonction d'une période de référence, la durée hebdomadaire maximale de travail de 48 heures prévues à l'article 6 de la directive 2003/88/CE du

Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 s'apprécie en moyenne sur l'ensemble de cette période de référence. Les dispositions précitées ne font donc pas, par elles-mêmes, obstacle à ce que le CA du SDIS de Seine-et-Marne aménage temporairement le temps de travail des sapeurs-pompiers professionnels en portant à 96 heures le temps maximal de présence par semaine glissante dès lors que la moyenne de 48 heures hebdomadaires est respectée sur cette période de référence. En tout état de cause, à supposer que le syndicat requérant ait entendu soulever un tel moyen, en portant à 96 heures le temps de présence maximum par semaine glissante, le CA du SDIS n'a pas méconnu la délibération n° 13 du 7 janvier 2019 dès lors que la délibération litigieuse n'a eu ni pour objet ni pour effet d'augmenter le temps de présence sur la période de référence mais seulement d'aménager temporairement le temps de travail des sapeurs-pompiers professionnels pendant la période des Jeux Olympiques et Paralympiques, ce que la délibération n° 13 du 7 janvier 2019 n'a pas interdit.

6. En deuxième lieu, et contrairement à ce que soutient le syndicat CFDT Interco de

Seine-et-Marne, qui envisage une organisation du travail des sapeurs-pompiers professionnels en fonction de cycles débutant la journée du samedi, la délibération critiquée, en ce qu'elle prévoit seulement l'aménagement du temps de travail des sapeurs-pompiers professionnels à raison de 96 heures maximum de temps de présence par semaine glissante n'a ni pour objet ni pour effet d'imposer un temps de présence de 96 heures chaque semaine pendant la tenue des Jeux Olympiques et Paralympiques. D'une part, la durée de présence hebdomadaire de 96 heures, qui constitue un plafond, n'implique pas que le temps de présence sera nécessairement de 96 heures sur la semaine glissante. D'autre part, il ne résulte pas des termes de la délibération attaquée que les sapeurs-pompiers professionnels devront réaliser des semaines consécutives de 96 heures de présence sans pouvoir bénéficier d'une interruption de service d'une durée au moins égale aux cycles de garde préalablement effectuées. Les plannings produits par le syndicat requérant sont, à cet égard, dépourvus de pertinence et ne permettent pas de remettre en cause cette analyse. En outre, la délibération en litige prévoit expressément que les cycles de gardes devront être suivis d'une interruption de service d'une durée au moins égale.

7. En troisième et dernier lieu, en se bornant à produire une étude du conseil scientifique et technique du Fond national de prévention réalisée auprès des sapeurs-pompiers de Saône-et-Loire de 2006 à 2014 intitulé " Rythmes, horaires atypiques et Travail " et un rapport de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail de 2018 sur " les risques sanitaires liés aux expositions professionnelles des sapeurs-pompiers ", le syndicat requérant n'établit pas que la délibération litigieuse, en portant à 96 maximum le temps de présence par semaine glissante sur une courte période, porte atteinte au droit à la santé et à la sécurité au travail des agents du SDIS de Seine-et-Marne et méconnaîtrait les dispositions onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 garantissant à tous le droit à la protection de la santé, les articles 3 et 11 de la Charte sociale européenne, les articles L. 4, L. 136-1 et L. 811-1 du code général de la fonction publique ainsi que les dispositions des articles L. 4121-1 et suivants du code du travail🏛 alors, au demeurant, ainsi que le relève le SDIS en défense, " [la] durée de 96 heures ne remet aucunement en cause le garde-fou selon lequel les sapeurs-pompiers ne devront pas travailler plus de 48 heures en moyenne sur 6 mois ".

8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de la requête, que le syndicat CFDT Interco de Seine-et-Marne n'est pas fondé à demander l'annulation de la délibération n° 9 du 11 décembre 2023 en litige.

Sur les frais liés au litige :

9. D'une part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du SDIS de Seine-et-Marne, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande le syndicat requérant au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

10. D'autre part, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du syndicat CFDT Interco de Seine-et-Marne une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête du syndicat CFDT Interco de Seine-et-Marne est rejetée.

Article 2 : Le syndicat CFDT Interco de Seine-et-Marne versera au SDIS de Seine-et-Marne une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié au syndicat CFDT Interco de Seine-et-Marne et au service départemental d'incendie et de secours de Seine-et-Marne.

Délibéré après l'audience du 23 mai 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Bonneau-Mathelot, présidente,

Mme Réchard, première conseillère,

Mme Luneau, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 juin 2024.

La présidente-rapporteure,

S. BONNEAU-MATHELOT

L'assesseure la plus ancienne,

J. RECHARDLa greffière,

S. SCHILDER

La République mande et ordonne au préfet de Seine-et-Marne en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N°2401743

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