Jurisprudence : CEDH, 19-03-2002, Req. 42406/98, VALLAR

CEDH, 19-03-2002, Req. 42406/98, VALLAR

A2802AYG

Référence

CEDH, 19-03-2002, Req. 42406/98, VALLAR. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1086405-cedh-19032002-req-4240698-vallar
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Cour européenne des droits de l'homme

19 mars 2002

Requête n°42406/98

VALLAR




COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME


DEUXIÈME SECTION


AFFAIRE VALLAR c. FRANCE


(Requête n° 42406/98)

ARRÊT

STRASBOURG

19 mars 2002


Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Vallar c. France,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. A.B. Baka, président,

J.-P. Costa,

Gaukur Jörundsson,

K. Jungwiert,

V. Butkevych,

Mme W. Thomassen,

M. M. Ugrekhelidze, juges, et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 29 mai 2001 et 26 février 2002,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :


PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (n° 42406/98) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Robert Vallar (" le requérant "), avait saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (" la Commission ") le 6 avril 1998 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (" la Convention ").

2. Le gouvernement français (" le Gouvernement ") est représenté par son agent, M. Ronny Abraham, Directeur des Affaires juridiques au Ministère des Affaires étrangères.

3. Le requérant se plaignait de la durée d'une procédure civile.

4. La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d'entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole n° 11).

5. La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.

6. Par une décision du 29 mai 2001, la chambre a déclaré la requête recevable.

7. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).

8. Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la deuxième section ainsi remaniée (article 52 § 1).


EN FAIT

9. Le 11 janvier 1989, la société C., employeur du requérant, souscrivit auprès de la compagnie d'assurance P. un contrat d'assurance de groupe ayant pour objet de garantir les cadres contre, entre autres, le risque d'incapacité totale de travail.

10. Le requérant fut en arrêt de travail pour dépression nerveuse du 29 avril au 15 mai 1989, puis à compter du 26 juin 1989. Des prolongations lui furent accordées par différents médecins jusqu'en août 1993 où il fut mis en invalidité par la caisse primaire d'assurance maladie.

11. Le 28 juillet 1989, le requérant fut licencié pour perte de confiance.

12. Les 1er juin 1990 et 8 février 1991, le requérant assigna les sociétés P. et C. devant le tribunal de grande instance d'Aix en Provence au motif que, par la carence de l'employeur, l'assureur avait refusé de le prendre en charge pour les périodes d'arrêts de travail précitées. Le 12 avril 1991, le juge de la mise en état ordonna la jonction des deux procédures.

13. Par un jugement du 8 avril 1993, le tribunal condamna la société P. à payer au requérant la somme de 5 692 FRF au titre de son incapacité temporaire de travail du 18 au 30 octobre 1989 et la société C. à lui payer la somme de 36 782 FRF pour n'avoir pas déclaré à l'assureur les arrêts de travail du 26 juin 1989 et du 13 juillet suivant. En outre, le tribunal ordonna, avant-dire droit, une expertise concernant la durée postérieure au 30 octobre 1989.

14. Les 30 avril et 27 mai 1993, la société C. et le requérant interjetèrent appel du jugement. Le 10 août 1993, la société C. déposa des conclusions. Le 13 septembre 1993, l'expert rendit son rapport. Les 23 décembre 1993, 18 août et 30 septembre 1994, le requérant déposa les siennes. La société P. en fit de même les 17 mars et 13 septembre 1994. Par conclusions déposées le 15 février 1994, le requérant saisit le juge de la mise en état d'une demande tendant à la désignation d'un nouvel expert.

15. Par une ordonnance du 8 avril 1994, le juge se déclara incompétent pour statuer sur la demande au motif que la cour d'appel était investie de l'entière connaissance du litige par l'effet dévolutif de l'appel.

16. Par un arrêt du 30 mars 1995, la cour d'appel d'Aix en Provence confirma le jugement du 8 avril 1993. Évoquant le litige au fond sur les nouvelles demandes présentées par le requérant après le dépôt du rapport d'expertise, elle le débouta de ses demandes d'indemnisation d'incapacité totale postérieure au 30 octobre 1989 et d'octroi d'une rente d'invalidité à compter du 1er août 1993 aux motifs que, d'une part, l'arrêt maladie postérieur était dû à une opération de sa hanche, affection signalée à la compagnie d'assurance et non couverte par le contrat souscrit et, d'autre part, que le taux d'incapacité du requérant, pour la période postérieure, n'était pas total mais de 66 %, ce qui n'était pas non plus pris en compte par ledit contrat.

17. Le 19 décembre 1995, le requérant forma un pourvoi en cassation. Il déposa un mémoire ampliatif le 3 mai 1996. Les parties adverses déposèrent des mémoires en défense les 26 juin et 30 juillet 1996. Le 6 janvier 1998, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant en estimant " (...) qu'ayant sans dénaturation, analysé la teneur du rapport d'expertise, la cour d'appel, par une appréciation souveraine, en a déduit que le requérant n'était pas fondé à soutenir que le syndrome dépressif causé par son licenciement a engendré la polyarthrose opérée le 30 octobre 1989, qui procède de l'affection congénitale déjà traitée et opérée en 1975 et qui est exclue de la garantie du contrat ".


EN DROIT


I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

18. Le requérant se plaint de la durée de la procédure. Il invoque l'article 6 § 1 de la Convention, aux termes duquel :

" Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) "

19. Le Gouvernement s'oppose à cette thèse. A l'exception de la durée de la procédure devant la Cour de cassation - dont on ne saurait lui tenir rigueur eu égard à la durée globale de la procédure - (arrêt Gergouil c. France du 21 mars 2000, n° 40111/98, § 20), le Gouvernement considère que les autorités judiciaires ont agi avec diligence.

20. La Cour relève que la procédure a débuté le 1er juin 1990 et s'est terminée par l'arrêt de la Cour de cassation en date du 6 janvier 1998. Elle a donc duré sept ans, sept mois et cinq jours, pour trois instances.

21. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence, en particulier la complexité de l'affaire et le comportement du ou des requérants ainsi que celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d'autres, Frydlender c. France [GC], n° 30979, § 43, CEDH 2000-VII).

22. Soulignant l'absence de complexité du litige, la durée globale relativement longue de la procédure - en particulier le délai mis par la Cour de cassation - et rappelant que les " litiges du travail " appellent de par nature une décision rapide compte tenu de leur enjeu particulier pour les intéressés (ibidem § 45), la Cour conclut en l'espèce à une violation de l'article 6 § 1 de la Convention.


II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

23. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

" Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. "


A. Dommage

24. Le requérant réclame 2 146 571,79 francs (FRF), soit 327 242,76 euros (EUR) en réparation du préjudice matériel. Il se réfère à une somme qui lui a été allouée dans le cadre d'une autre procédure qu'il a engagée à la suite de son licenciement. Il demande en outre 500 000 FRF soit 76 224,51 EUR pour dommage moral.

25. Le Gouvernement soutient que les demandes du requérant concernant le préjudice matériel sont sans rapport avec la procédure examinée par Cour et conclut au rejet de ses prétentions. Il estime en revanche que le versement d'une somme de 15 000 FRF (2286,74 EUR) serait de nature à réparer le préjudice moral.

26. La Cour n'aperçoit pas de lien de causalité entre la violation de l'article 6 § 1 de la Convention et un quelconque dommage matériel dont le requérant aurait eu à souffrir. Il échet donc de rejeter cette partie des prétentions de l'intéressé.

Elle estime par contre que le prolongement de la procédure litigieuse au-delà du délai raisonnable a sans nul doute causé au requérant un préjudice moral justifiant l'octroi d'une indemnité. Statuant en équité, comme le veut l'article 41, elle lui alloue 5 000 EUR à ce titre.


B. Frais et dépens

27. Le requérant sollicite le paiement de 21 632,82 FRF (soit 3 97,90 EUR) au titre de ses frais et dépens. Il fournit deux relevés de frais d'honoraires datant des 15 décembre 1999 et 11 août 2000 concernant une autre procédure engagée devant les juridictions internes.

28. Le Gouvernement souligne que seuls les frais et dépens engagées devant la Cour pourront être remboursés sous réserve d'être dûment justifiés et d'un montant raisonnable.

29. La Cour constate que la demande du requérant au titre des frais et dépens engagés ne concerne pas la procédure devant elle et décide, en conséquence, de ne pas faire droit à cette partie des demandes du requérant.


C. Intérêts moratoires

30. Selon les informations dont dispose la Cour, le taux d'intérêt légal applicable en France à la date d'adoption du présent arrêt est de 4,26 % l'an.


PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,


1. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;


2. Dit


a) que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention la somme de 5 000 EUR (cinq mille euros) pour dommage moral ;


b) que ce montant sera à majorer d'un intérêt simple de 4,26 % l'an à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement ;


3. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 mars 2002 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
S. Dollé A.B. Baka

Greffière Président

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