Jurisprudence : CEDH, 19-03-2002, Req. 56198/00, SOCIETE INDUSTRIELLE D'ENTRETIEN ET DE SERVICE ("SIES")

CEDH, 19-03-2002, Req. 56198/00, SOCIETE INDUSTRIELLE D'ENTRETIEN ET DE SERVICE ("SIES")

A2800AYD

Référence

CEDH, 19-03-2002, Req. 56198/00, SOCIETE INDUSTRIELLE D'ENTRETIEN ET DE SERVICE ("SIES"). Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1086403-cedh-19032002-req-5619800-societe-industrielle-dentretien-et-de-service-quotsiesquot
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Cour européenne des droits de l'homme

19 mars 2002

Requête n°56198/00

SOCIETE INDUSTRIELLE D'ENTRETIEN ET DE SERVICE ("SIES")



COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME


DEUXIÈME SECTION


AFFAIRE SOCIETE INDUSTRIELLE D'ENTRETIEN ET DE SERVICE ("SIES") c. FRANCE


(Requête n° 56198/00)


ARRÊT


STRASBOURG


19 mars 2002


Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Sies c. France,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. A.B. Baka, président,

J.-P. Costa,

Gaukur Jörundsson,

K. Jungwiert,

V. Butkevych,

Mme W. Thomassen,

M. M. Ugrekhelidze, juges, et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 26 février 2002,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :


PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (n° 56198/00) dirigée contre la République française et dont une personne morale de droit français, la Société Industrielle d'Entretien et de Service, dite " SIES " (" la requérante "), a saisi la Cour le 21 février 2000 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (" la Convention ").

2. La requérante est représentée devant la Cour par Me Anne-Victoria Fargepallet, avocate au barreau de Paris. Le gouvernement français (" le Gouvernement ") est représenté par son agent, M. Ronny Abraham, Directeur des Affaires juridiques au Ministère des Affaires étrangères.

3. La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.

4. Le 9 janvier 2001, se prévalant des dispositions de l'article 29 § 3 de la Convention, la Cour a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le fond de l'affaire.

5. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur la recevabilité et le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).

6. Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la deuxième section ainsi remaniée (article 52 § 1).


EN FAIT

7. Le 27 septembre 1994, la société requérante saisit le tribunal administratif de Paris d'une requête dirigée contre la ville de Saint Maur des Fossés, relative à un litige portant sur une procédure de passation de marché public et sur les conditions d'exécution financière dudit marché. Elle demandait essentiellement l'annulation d'une décision par laquelle la Commune avait refusé de lui régler des rappels de taxes sur la valeur ajoutée sur des prestations servies dans ce cadre, ainsi que sa condamnation au paiement de la somme correspondante et des intérêts.

La requérante déposa un mémoire ampliatif le 1er septembre 1997.

Par un jugement du 10 février 1998, le tribunal administratif de Paris rejeta la requête.

8. La société requérante releva appel de cette décision le 11 mai 1998 devant la cour administrative d'appel de Paris.

Le 6 juillet 1999, la ville de Saint Maur des Fossés communiqua un mémoire en duplique ; la société requérante informa le greffe de la cour que ces observations n'appelaient pas de réponse de sa part.

Par un courrier du 17 février 2000, le greffe de la cour administrative d'appel de Paris indiqua à la société requérante que l'affaire n'avait pas encore été inscrite au rôle d'audiencement. L'affaire est toujours pendante devant cette juridiction.


EN DROIT


I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

9. La requérante se plaint de la durée de la procédure. Elle invoque l'article 6 § 1 de la Convention, aux termes duquel :

" Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) ".

10. La Cour estime que la période à considérer en l'espèce sous l'angle du " délai raisonnable " de l'article 6 § 1 débute le 27 septembre 1994, date de la saisine du tribunal administratif de Paris (cela n'est pas controversé). L'affaire étant pendante devant la cour administrative d'appel de Paris, la procédure a donc duré à ce jour sept ans et environ quatre mois.


A. Recevabilité

11. La Cour constate que la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour constate par ailleurs que celle-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.


B. Sur le fond

12. Selon le Gouvernement, il convient de relever que, " ressortissant au contentieux fiscal, [l'affaire] présente une complexité certaine [;] il s'agi[rai]t en effet de statuer sur le bien-fondé des prétentions des parties à l'instances, concernant une procédure de passation de marché public et ses conditions d'exécution financière ".

Le Gouvernement ajoute que le comportement de la requérante a " manifestement contribué à l'allongement de la procédure suivie devant le tribunal administratif ". Il souligne à cet égard qu' " après avoir produit un mémoire introductif d'instance le 27 septembre 1994, [la requérante] a attendu jusqu'au 1er septembre 1997, soit presque 3 ans, pour déposer son mémoire ampliatif ". Le tribunal aurait en revanche " accompli tous les actes utiles dans un délai particulièrement satisfaisant ". Le Gouvernement concède cependant que " la phase de la procédure devant la cour administrative d'appel de Paris est relativement longue " et déclare " s'en remettre à la sagesse de la Cour pour ce qui est de l'appréciation de la durée de la procédure litigieuse ".

13. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence, en particulier la complexité de l'affaire et le comportement du ou des requérants ainsi que celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d'autres, Frydlender c. France [GC], n° 30979, § 43, CEDH 2000-VII).

En l'espèce, la Cour estime que l'affaire n'est pas complexe au point de justifier la durée de la procédure, et que le comportement de la requérante devant le tribunal administratif de Paris n'explique pas, à lui seul, cette durée. Elle relève en particulier que l'affaire est pendante devant la cour d'administrative d'appel de Paris depuis le 15 mai 1998 sans que le comportement de la requérante soit en cause, et que le Gouvernement ne fournit aucune explication à cet égard. Considérant la durée de la procédure prise dans sa globalité, la Cour estime que la cause de la requérante n'a pas été entendue dans un " délai raisonnable " et qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention.


II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

14. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

" Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. "


A. Dommage

15. La requérante expose que la durée de la procédure lui est préjudiciable, " eu égard à l'enjeu du litige, qui porte sur une somme en principal de 1 041 725 francs (" FRF ") constituant des rappels de TVA liés aux prestations effectuées par [elle] pour le compte de la commune de Saint Maur des Fosses devant faire l'objet d'une réintégration dans le prix convenu ". Elle serait empêchée de prendre des " décisions de gestion " en raison de la somme en jeu, ce qui rendrait " difficile toute planification de trésorerie ". Elle évalue son préjudice à 100 000 FRF, soit 15 244,90 euros (" EUR ").

16. Le Gouvernement ne s'exprime pas sur ce point.

17. La Cour n'aperçoit aucun lien de causalité entre la violation constatée et un quelconque dommage matériel dont la société requérante aurait eu à souffrir ; elle conclut en conséquence au rejet des prétentions de cette dernière en ce qu'elles se rapporteraient à un préjudice de cette nature (voir, par exemple, l'arrêt Demir et autres c. Turquie du 23 septembre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-VI, p. 2660, § 63).

La Cour estime en revanche que, vu l'importance de l'enjeu pécuniaire de la procédure litigieuse, le prolongement de celle-ci au-delà du délai raisonnable a pu causer à la société requérante des désagréments notables et une incertitude prolongée, ne serait-ce que dans la planification des décisions à prendre (Comingersoll S.A. c. Portugal [GC], n° 35382/97, §§ 29-37). Elle est donc fondée à réclamer le versement d'une somme en réparation d'un préjudice autre que matériel. Statuant en équité, comme le veut l'article 41, la Cour lui alloue 6 500 EUR à ce titre.


B. Frais et dépens

18. Au titre des frais et dépens exposés devant la Cour, la requérante réclame 12 060 francs (" FRF "), soit 1 838,54 euros (" EUR "), taxe sur la valeur ajoutée (" TVA ") comprise. Elle produit une note d'honoraires datée du 14 janvier 2000.

19. Le Gouvernement ne s'exprime pas sur ce point.

20. La Cour constate que la demande de la requérante est dûment justifiée par la note d'honoraires produite. Estimant par ailleurs que le montant réclamé est raisonnable, elle alloue à la requérante 1 838,54 EUR, TVA comprise, pour frais et dépens.


C. Autres demandes

21. La requérante demande " qu'une date d'audience soit fixée par le greffe de la cour administrative d'appel de Paris, dans les meilleurs délais ".

22. La Cour rappelle que l'article 41 ne lui donne pas compétence pour adresser une telle injonction à un Etat contractant (voir, mutatis mutandis, l'arrêt Allenet de Ribemont c. France, du 10 février 1995, série A n° 308, § 65).


D. Intérêts moratoires

23. Selon les informations dont dispose la Cour, le taux d'intérêt légal applicable en France à la date d'adoption du présent arrêt est de 4,26 % l'an.


PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,


1. Déclare la requête recevable ;


2. Dit, qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;


3. Dit,


a) que l'Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention], les sommes suivantes :


i. 6 500 EUR (six mille cinq cent euros) pour dommage ;


ii 1 838,54 EUR (mille huit cent trente-huit euros et cinquante-quatre cents) pour frais et dépens, TVA comprise ;


b) que ces montants seront à majorer d'un intérêt simple de 4,26 % l'an à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement ;


4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 mars 2002 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
S. Dollé A.B. Baka

Greffière Président

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