Jurisprudence : CEDH, 19-03-2002, Req. 46280/99, BENZI

CEDH, 19-03-2002, Req. 46280/99, BENZI

A2797AYA

Référence

CEDH, 19-03-2002, Req. 46280/99, BENZI. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1086400-cedh-19032002-req-4628099-benzi
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Cour européenne des droits de l'homme

19 mars 2002

Requête n°46280/99

BENZI



COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME


DEUXIÈME SECTION


AFFAIRE BENZI c. FRANCE


(Requête n° 46280/99)


ARRÊT


STRASBOURG


19 mars 2002


Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Benzi c. France,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. A.B. Baka, président,

J.-P. Costa,

Gaukur Jörundsson,

K. Jungwiert,

V. Butkevych,

Mme W. Thomassen,

M. M. Ugrekhelidze, juges, et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 26 février 2002,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :


PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (n° 46280/99) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Roberto Benzi (" le requérant "), a saisi la Cour le 15 février 1999 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (" la Convention ").

2. Le requérant est représenté devant la Cour par Me Bertrand Favreau, avocat au barreau de Bordeaux. Le gouvernement français (" le Gouvernement ") est représenté par son agent, M. Ronny Abraham, Directeur des Affaires juridiques au Ministère des Affaires étrangères.

3. La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.

4. Le 9 janvier 2001, se prévalant des dispositions de l'article 29 § 3 de la Convention, la Cour a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le fond de l'affaire.

5. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur la recevabilité et le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).

6. Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la deuxième section ainsi remaniée (article 52 § 1).


EN FAIT

7. En 1973, le requérant fut recruté par la ville de Bordeaux en qualité de directeur de l'orchestre municipal sur la base d'un contrat à durée déterminée renouvelable par tacite reconduction. Le 23 octobre 1987, son employeur lui notifia la résiliation de ce contrat à compter du 1er novembre 1987.

8. Le 18 octobre 1988, le requérant saisit le conseil de prud'hommes de Bordeaux, le contrat de travail dont il entendait contester la rupture prévoyant expressément la compétence des tribunaux civils pour tout litige le concernant.

Par un jugement du 8 juin 1990, le conseil de prud'hommes se déclara incompétent au profit du tribunal administratif. Cette déclaration d'incompétence fut confirmée par la cour d'appel de Bordeaux par arrêt du 19 février 1991. Le pourvoi subséquent du requérant fut rejeté par la Cour de cassation le 20 mai 1992.

9. Le 18 décembre 1992, le requérant adressa à la ville de Bordeaux une demande en paiement des indemnités qu'il avait sollicitées du conseil de prud'hommes.

L'absence de réponse de l'administration dans un délai de quatre mois valut décision implicite de rejet. En conséquence, le requérant saisit le tribunal administratif de Bordeaux, le 18 juin 1993, d'une demande d'indemnité pour rupture de son contrat de travail.

Le 10 septembre 1997, la ville de Bordeaux s'étant abstenue de produire des écritures en réponse, le tribunal administratif de Bordeaux décida de clore l'instruction de l'affaire.

Le 29 octobre 1997, la ville de Bordeaux déposa un mémoire concluant au rejet de la demande du requérant. Ce dernier, estimant que ce dépôt tardif le privait de la faculté d'y répondre utilement, déposa un mémoire de protestation le 31 octobre 1997.

Par un jugement du 9 mars 1999, le tribunal administratif de Bordeaux débouta le requérant.

Le 11 juin 1999, le requérant interjeta appel du jugement du 9 mars 1999 devant la cour administrative d'appel de Bordeaux. L'affaire est toujours pendante devant cette juridiction.


EN DROIT


I. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

10. Le requérant se plaint de la durée de la procédure. Il invoque l'article 6 § 1 de la Convention, aux termes duquel :

" Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) "

11. Le Gouvernement admet que " le cas d'espèce ne présentait pas de complexité particulière ". Il reconnaît en outre que, devant le tribunal administratif, la ville de Bordeaux a tardé à produire son premier mémoire, ne le déposant au greffe que le 14 mars 1994, soit trois ans et demi après avoir été mise en demeure de le faire par le tribunal. Le requérant aurait cependant également contribué à la durée de la procédure en déposant un nouveau mémoire le 18 février 1997, soit un an et trois mois après la réouverture de l'instruction. Le Gouvernement convient également qu'en n'ayant toujours pas, à ce jour, produit son mémoire en défense alors même que, le 15 novembre 2000, la cour administrative d'appel de Bordeaux l'a mise en demeure de le faire, la ville de Bordeaux a contribué à prolonger la procédure devant cette juridiction. Les juridictions administratives auraient par contre fait preuve de célérité.

Le gouvernement conclut que " le comportement de la ville de Bordeaux a été directement à l'origine de l'allongement de la durée de la procédure à deux reprises : la première fois devant le tribunal administratif, occasionnant un allongement considérable de la procédure de trois ans et demi ; et la seconde fois devant la cour administrative d'appel, la commune n'ayant à ce jour toujours pas produit d'observations (...) ". Il invite cependant la Cour à juger le grief du requérant mal fondé.


A. Recevabilité

12. La Cour estime que la requête soulève des questions de fait et de droit au regard de la Convention qui nécessitent un examen au fond. Elle conclut par conséquent qu'elle n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention et constate qu'elle ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.


B. Sur le fond

13. La Cour relève que le contrat de travail conclu entre le requérant et la ville de Bordeaux était un contrat dit d' " adhésion " et qu'il prévoyait expressément la compétence des juridictions civiles pour tout litige y relatif. Dans de telles circonstances, l'on ne saurait reprocher au requérant d'avoir saisi en premier lieu le juge civil (voir, mutatis mutandis, l'arrêt Allenet de Ribemont c. France, série A n° 308, § 46). La Cour en déduit que la période à considérer en l'espèce sous l'angle du " délai raisonnable " de l'article 6 § 1 débute le 18 octobre 1988, date de la saisine du conseil de prud'hommes de Bordeaux par le requérant. Toujours pendante, la procédure a donc duré à ce jour plus de treize ans et trois mois, dont plus de neuf ans à compter du dépôt de la demande préalable d'indemnisation.

La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence, en particulier la complexité de l'affaire et le comportement du ou des requérants ainsi que celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d'autres, Frydlender c. France [GC], n° 30979, § 43, CEDH 2000-VII).

Elle rappelle également que lorsqu'une Commune est partie à une procédure, les retards qui lui sont imputables sont à mettre à la charge des " autorités " au sens de la jurisprudence précitée. Ainsi, prenant acte de ce que le Gouvernement reconnaît que le comportement de la ville de Bordeaux a prolongé la procédure de manière - selon ses propres termes - " considérable ", soulignant l'absence de complexité du litige, relevant la durée particulièrement longue de la procédure dont il s'agit, et rappelant que les " litiges du travail " appellent par nature une décision rapide compte tenu de leur enjeu particulier pour les intéressés (ibidem, § 45), la Cour conclut en l'espèce à une violation de l'article 6 § 1 de la Convention.


II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

14. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

" Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. "


A. Dommage

15. Le requérant réclame 500 000 francs (" FRF "), soit 76 224,51 euros (" EUR "), en réparation d'un préjudice matériel. Il expose à cet égard qu'il a été privé du droit de travailler pour une collectivité territoriale pendant une durée équivalente à la durée de sa période d'indemnisation et que, pendant la durée du litige, plus aucun orchestre municipal français ne l'a plus invité (en France, toutes les structures symphoniques seraient régies par des organes publics et notamment des collectivités territoriales).

Il demande en outre 100 000 FRF (soit 15 244,90 EUR) pour dommage moral.

16. Le Gouvernement réplique que le préjudice matériel dont se prévaut le requérant est " manifestement sans rapport avec le constat de durée excessive de la procédure ". Quant au dommage matériel, il " propose de lui allouer 30 000 FRF " (soit 4 573,47 EUR).

17. La Cour n'aperçoit pas de lien de causalité entre la violation de l'article 6 § 1 de la Convention et un quelconque dommage matériel dont le requérant aurait eu à souffrir. Il échet donc de rejeter cette partie des prétentions de l'intéressé.

Elle estime par contre que le prolongement de la procédure litigieuse au-delà du délai raisonnable a sans nul doute causé au requérant un préjudice moral justifiant l'octroi d'une indemnité. Statuant en équité, comme le veut l'article 41, elle lui alloue 7 000 EUR à ce titre.


B. Frais et dépens

18. Le requérant sollicite le paiement de 60 000 FRF (soit 9 146,94 EUR) au titre de ses frais et dépens. Il fournit deux relevés de frais d'honoraires : le premier, daté du 8 mars 1999, a trait à la procédure devant les juridictions internes, et porte sur un montant de 3 679,09 EUR, taxe sur la valeur ajoutée (" TVA ") comprise ; le second, daté du 9 décembre 1999 et d'un montant de 4 136,70 EUR (TVA comprise), concerne sa représentation devant la Cour. Il produit en outre une demande de provision d'un montant de 2 734,94 EUR que son avocat lui a adressée le 7 juin 2001 dans le cadre de la présente procédure.

19. Le Gouvernement souligne que " seuls pourront être éventuellement remboursés les frais effectivement engagés par le requérant devant la Cour, sous réserve de la production des justificatifs correspondants et du caractère raisonnable de ces honoraires ".

20. La Cour constate que la demande du requérant au titre des frais et dépens engagés dans le cadre de la procédure devant la Cour est dûment justifiée par la production du relevé de frais d'honoraire du 9 décembre 1999 et de la demande de provision du 7 juin 2001. Estimant par ailleurs que les montants concernés sont raisonnables, la Cour décide de faire droit à cette partie des demandes du requérant.

Quant au reste des prétentions du requérant, la Cour rappelle que lorsqu'elle constate une violation de la Convention, elle peut accorder le paiement des frais et dépens exposés devant les juridictions nationales " pour prévenir ou faire corriger par celles-ci ladite violation " (voir, par exemple, l'arrêt Zimmermann et Steiner c. Suisse du 13 juillet 1983, série A n° 66, § 36). Tel n'est à l'évidence pas le cas en l'espèce s'agissant des frais et dépens engagés par le requérant devant les juridictions françaises.

En conclusion, la Cour alloue 6 871,64 EUR au requérant pour frais et dépens, TVA comprise.


C. Intérêts moratoires

21. Selon les informations dont dispose la Cour, le taux d'intérêt légal applicable en France à la date d'adoption du présent arrêt est de 4,26 % l'an.


PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,


1. Déclare la requête recevable ;


2. Dit, qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;


3. Dit,


a) que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :


i. 7 000 EUR (sept mille euros) pour dommage moral ;


ii 6 871,64 EUR (six mille huit cent soixante et onze euros et soixante-quatre cents), TVA comprise, pour frais et dépens ;


b) que ces montants seront à majorer d'un intérêt simple de 4,26 % l'an à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement ;


4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 mars 2002 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
S. Dollé A.B. Baka

Greffière Président

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