Jurisprudence : CEDH, 19-03-2002, Req. 44952/98, VAN DER KAR

CEDH, 19-03-2002, Req. 44952/98, VAN DER KAR

A2796AY9

Référence

CEDH, 19-03-2002, Req. 44952/98, VAN DER KAR. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1086399-cedh-19032002-req-4495298-van-der-kar
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Cour européenne des droits de l'homme

19 mars 2002

Requête n°44952/98

VAN DER KAR



COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME


DEUXIÈME SECTION


AFFAIRE VAN DER KAR c. FRANCE


AFFAIRE LISSAUR VAN WEST c. FRANCE


(Requêtes nos 44952/98 et 44953/98)


ARRÊT


STRASBOURG


19 mars 2002


Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Van Der Kar et Lissaur Van West c. France,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. A.B. Baka, président,

J.-P. Costa,

Gaukur Jörundsson,

L. Loucaides,

C. Bîrsan,

M. Ugrekhelidze,

Mme A. Mularoni, juges, et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 7 novembre 2000 et 26 février 2002,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :


PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouvent deux requêtes (nos 44952/98 et 44953/98) dirigées contre la République française et dont deux ressortissantes néerlandaises, Mmes Greta Van Der Kar et Greta Lissaur Van West (" les requérantes "), ont saisi la Cour le 2 décembre 1998 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (" la Convention ").

2. Les requérantes sont représentées devant la Cour par Me Anne-Victoria Fargepallet, avocate au barreau de Paris. Le gouvernement français (" le Gouvernement ") est représenté par son agent, Mme Michèle Dubrocard, sous-directrice des Droits de l'Homme à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères.

3. Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, les requérantes se plaignaient de la durée des procédures.

4. Les requêtes ont été attribuées à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.

5. La chambre a décidé de joindre les requêtes (article 43 § 1 du règlement).

6. Par une décision du 7 novembre 2000, la chambre a déclaré les requêtes recevables.

7. Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement de la Cour). Les présentes requêtes ont été attribuées à la deuxième section ainsi remaniée (article 52 § 1).


EN FAIT

8. En mai 1991, lors d'un séjour dans un hôtel de Cannes, les requérantes furent victimes du vol des bijoux entreposés dans le coffre de leur chambre.

9. Le 29 septembre 1992, elles assignèrent chacune de leur côté la société propriétaire de l'hôtel en dommages et intérêts devant le tribunal de grande instance de Grasse.

10. Le 8 juillet 1993, en ce qui concerne la première requérante, et le 1er juillet 1993, en ce qui concerne la seconde, le juge de la mise en état alloua des provisions aux requérantes d'un montant respectif de 55 400 FRF et 30 000 FRF.

11. Par un jugement du 15 septembre 1995, le tribunal de grande instance de Grasse, retenant la responsabilité illimitée de l'hôtelier, fit droit à toutes les demandes de la première requérante.

12. Par un jugement du 16 novembre 1995 rendu par le même tribunal siégeant dans une autre composition, la seconde requérante fut déboutée de sa demande en réparation totale du préjudice, au motif que la responsabilité illimitée de l'hôtelier ne pouvait être retenue et que, par conséquent, seule une somme contractuellement fixée à 100 fois le prix de la chambre (soit 39 000 FRF) pouvait lui être allouée.

13. La société propriétaire de l'hôtel interjeta appel du jugement du 15 septembre 1995. La seconde requérante interjeta appel du jugement du 16 novembre 1995. Dans leurs conclusions présentées à la cour d'appel d'Aix-en-Provence, les requérantes demandèrent la jonction des deux affaires.

14. Le 28 octobre 1999, la cour d'appel d'Aix-en-Provence infirma le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Grasse le 15 septembre 1995, et alloua à la première requérante la somme de 55 400 FRF à titre de dommages et intérêts. Par ailleurs, elle confirma le jugement du 16 novembre 1995, en motivant sa décision par l'absence de dépôt entre les mains de l'hôtelier, et par l'absence de preuve d'un refus de ce dernier de recevoir les objets et d'une faute de sa part.


EN DROIT


I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

15. Les requérantes se plaignent de la durée des procédures portées devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence. Elles invoquent l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

" Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) "

16. Le Gouvernement observe que les procédures ne présentaient pas de complexité particulière. Il relève que les requérantes ont pris part activement au déroulement de leur procès. Pourtant, le temps nécessaire à l'échange des conclusions entre les parties (neuf mois) a contribué à l'allongement des procédures. Pour ce qui est du comportement des autorités, le Gouvernement note que les délais d'audiencement devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence furent excessifs, à savoir environ trois ans et un mois pour la première requérante et deux ans et sept mois pour la seconde. En revanche, une fois audiencées, les affaires ont été traitées avec diligence. Eu égard à ces éléments, le Gouvernement entend s'en remettre à la sagesse de la Cour pour l'appréciation du caractère raisonnable de la durée, soulignant toutefois que l'enjeu n'impliquait pas une diligence particulière.

17. Les requérantes soulignent que devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, les affaires étaient en état d'être plaidées dès septembre 1997, mais qu'en raison de l'encombrement de cette juridiction, elles n'ont pu être plaidées que deux ans plus tard.

18. La Cour constate que les procédures ont débuté le 29 septembre 1992, avec la saisine du tribunal de grande instance de Grasse par les requérantes, et se sont achevées le 28 octobre 1999, avec l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence. Elles ont donc duré sept ans et vingt-neuf jours.

19. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l'affaire, le comportement des requérants et celui des autorités compétentes ainsi que l'enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d'autres, Frydlender c. France [GC], n° 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).

20. La Cour constate que l'affaire litigieuse ne présentait pas de complexité particulière. Concernant le comportement des autorités, la Cour note que les requérantes se plaignent exclusivement du délai d'audiencement devant la cour d'appel, sans même évoquer la procédure de première instance. La Cour relève que devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, il s'est écoulé trois ans et un mois entre le dépôt des dernières conclusions et l'audience tenue dans l'affaire de la première requérante. En ce qui concerne l'affaire de la seconde requérante, deux ans et sept mois séparent le dépôt des dernières conclusions et la date d'audience. La Cour constate qu'aucune explication pertinente de ces délais n'a été fournie par le Gouvernement.

21. La Cour réaffirme que l'article 6 § 1 de la Convention oblige les Etats contractants à organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs cours et tribunaux puissent remplir chacune de ses exigences (voir, parmi beaucoup d'autres, l'arrêt Duclos c. France du 17 décembre 1996, § 55, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI) et, notamment, garantir à chacun le droit d'obtenir une décision définitive dans un délai raisonnable (voir, par exemple, l'arrêt Frydlender précité, § 45). La Cour déduit de ce qui précède que la durée des procédures au fond s'explique principalement par une défaillance des autorités judiciaires.

22. Dans ces circonstances, et eu égard également à la durée des procédures prises dans leur globalité (plus de sept ans pour deux degrés d'instances), la Cour conclut à une violation de l'article 6 § 1 de la Convention.


II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

23. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

" Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. "


A. Dommage

24. Les requérantes sollicitent chacune la somme de 50 000 FRF au titre du préjudice moral.

25. Le Gouvernement propose le versement de la somme de 40 000 FRF pour chaque requérante.

26. La Cour estime que la durée des procédures litigieuses au-delà du délai raisonnable a sans nul doute causé aux requérantes un désagrément notable et une incertitude prolongée justifiant l'octroi d'une indemnité au titre du préjudice moral. Statuant en équité, comme le veut l'article 41, elle alloue à chaque requérante la somme de 6 100 euros (" EUR ").


B. Frais et dépens

27. Les requérantes sollicitent la somme de 20 000 FRF au titre des frais et dépens qu'elles ont exposés devant les organes de la Convention. Elles ont produit une note d'honoraires d'un montant de 20 000 FRF, taxe sur la valeur ajoutée (" TVA ") comprise,

28. La Cour estime qu'il convient d'allouer à chaque requérante la somme demandée, soit 3 049 EUR.


C. Intérêts moratoires

29. Selon les informations dont dispose la Cour, le taux d'intérêt légal applicable en France à la date d'adoption du présent arrêt est de 4,26 % l'an.


PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l'UNANIMITÉ,


1. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;


2. Dit


a) que l'Etat défendeur doit verser à chaque requérante, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes : 6 100 EUR (six mille cent euros) pour dommage moral, et 3 049 EUR (trois mille quarante-neuf euros), TVA comprise, pour frais et dépens ;


b) que ces montants seront à majorer d'un intérêt simple de 4,26 % l'an à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement ;


3. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 mars 2002 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
S. Dollé A.B. Baka

Greffière Président

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