Jurisprudence : CEDH, 19-03-2002, Req. 55672/00, BEAUME MARTY

CEDH, 19-03-2002, Req. 55672/00, BEAUME MARTY

A2793AY4

Référence

CEDH, 19-03-2002, Req. 55672/00, BEAUME MARTY. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1086396-cedh-19032002-req-5567200-beaume-marty
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Abstract

La Cour européenne des droits de l'homme a condamné la France dans onze décisions datées d'hier relatives à la lenteur de ses procédures civiles et administratives.

Cour européenne des droits de l'homme

19 mars 2002

Requête n°55672/00

BEAUME MARTY



COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME


DEUXIÈME SECTION


AFFAIRE BEAUME MARTY c. FRANCE


(Requête n° 55672/00)


ARRÊT


STRASBOURG


19 mars 2002


Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Beaume Marty c. France,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. A.B. Baka, président,

J.-P. Costa,

Gaukur Jörundsson,

K. Jungwiert,

V. Butkevych,

Mme W. Thomassen,

M. M. Ugrekhelidze, juges, et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 26 février 2002,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :


PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (n° 55672/00) dirigée contre la République française et dont une ressortissante de cet Etat, Muriel Beaume Marty (" la requérante "), a saisi la Cour le 8 mars 2000 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (" la Convention ").

2. La requérante est représentée devant la Cour par Me Bertrand Favreau, avocat au barreau de Bordeaux. Le gouvernement français (" le Gouvernement ") est représenté par son agent, M. Ronny Abraham, Directeur des Affaires juridiques au Ministère des Affaires étrangères.

3. La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.

4. Le 9 janvier 2001, se prévalant des dispositions de l'article 29 § 3 de la Convention, la Cour a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le fond de l'affaire.

5. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur la recevabilité et le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).

6. Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la deuxième section ainsi remaniée (article 52 § 1).


EN FAIT

7. Le 2 mars 1983, la requérante fut engagée par la ville de Bordeaux, en qualité d'artiste du corps de ballet du Grand théâtre municipal, pour la saison lyrique 1983-1984, débutant le 16 septembre 1984.

Conformément à l'usage en matière de spectacle, ce contrat fut renouvelé d'année en année, les 6 mars 1984, 21 juin 1985, 7 avril 1986, 7 juillet 1987, 1er juillet 1988 et 15 février 1989.

8. Par une lettre du 19 juin 1990, le maire de Bordeaux informa la requérante qu'il était mis fin à ses fonctions à compter de septembre 1990. La requérante protesta contre ce licenciement par courrier du 31 juillet 1990, réclamant les indemnités de licenciement qui lui étaient dues. Il lui fut versé à ce titre la somme de 24 027.15 francs.

Naquit alors un litige sur le montant des indemnités qui ne put être résolu à l'amiable.

9. Le 9 septembre 1993, la requérante saisit le tribunal administratif de Bordeaux d'une demande d'indemnités pour licenciement irrégulier.

Le 20 avril 1994, la ville de Bordeaux mit la requérante en demeure de lui rembourser les indemnités perçues, au motif qu'elles lui auraient été versées par erreur. Elle déposa en outre un mémoire complémentaire en ce sens devant le juge administratif en date du 14 juin 1994.

Le 20 janvier 1999, aucune décision n'étant intervenue, la requérante déposa un mémoire exigeant la clôture de l'instruction et le renvoi devant la juridiction de jugement ; elle se référait notamment à l'article 6 § 1 de la Convention.

L'audience fut fixée au 15 février 1999 et, par un jugement du 15 mars 1999, le tribunal administratif de Bordeaux retint l'argumentation de la ville de Bordeaux ; considérant que la requérante ne pouvait prétendre ni à préavis et indemnité de licenciement, ni à indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, il la débouta de ses demandes.

10. Le 27 mai 1999, la requérante saisit la cour administrative d'appel de Bordeaux en appel. L'affaire est actuellement pendante devant cette juridiction.


EN DROIT


I. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

11. La requérante se plaint de la durée de la procédure. Elle invoque l'article 6 § 1 de la Convention, aux termes duquel :

" Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) "

12. La Cour constate que la période à considérer en l'espèce sous l'angle du " délai raisonnable " de l'article 6 § 1 débute le 9 septembre 1993, date de la saisine du tribunal administratif de Bordeaux (cela n'est pas controversé). Toujours pendante devant la cour administrative d'appel de Bordeaux, la procédure a donc duré à ce jour huit ans et environ cinq mois.


A. Recevabilité

13. La Cour constate que la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour constate par ailleurs que celle-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.


B. Sur le fond

14. Le Gouvernement concède que " le présent cas d'espèce ne présentait pas de complexité particulière ". Il reconnaît également que, devant le tribunal administratif, la ville de Bordeaux a tardé à produire son premier mémoire en défense, ne le communiquant au greffe que le 12 avril 1994 et après avoir été mise en demeure de le faire ; un retard de 7 mois serait donc imputable au comportement de la partie défenderesse. Il relève en outre une période de latence devant le tribunal entre avril 1995 et octobre 1998, mais souligne la célérité avec laquelle la juridiction a rendu son jugement une fois le dernier mémoire déposé. Il admet par ailleurs que la ville de Bordeaux a déposé tardivement ses observations devant la cour administrative d'appel de Bordeaux, ne produisant son mémoire que le 14 décembre 2000 - soit un an et près de sept mois après la saisine de la cour - et après mise en demeure. Il conclut que " le comportement de la ville de Bordeaux a été directement à l'origine de l'allongement de la durée de la procédure à deux reprises : la première fois devant le tribunal administratif, occasionnant un allongement de la procédure de sept mois ; et la seconde fois devant la cour administrative d'appel, retardant le déroulement de l'instance d'un an et sept mois ", et déclare " s'en remettre à la sagesse de la Cour s'agissant de l'appréciation du bien-fondé du grief tiré de la violation de l'article 6 § 1 de la Convention ".

15. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence, en particulier la complexité de l'affaire et le comportement du ou des requérants ainsi que celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d'autres, Frydlender c. France [GC], n° 30979, § 43, CEDH 2000-VII).

Elle rappelle par ailleurs que lorsqu'une commune est partie à une procédure, les retards qui lui sont imputables sont à mettre à la charge des " autorités " au sens de la jurisprudence précitée. Ainsi, prenant acte de ce que le Gouvernement reconnaît que le comportement de la ville de Bordeaux a notablement contribué à prolonger la procédure dont il est question, soulignant l'absence de complexité du litige, notant une période de latence de trois ans et six mois devant le tribunal administratif pour laquelle le Gouvernement ne fournit pas d'explication, relevant que, huit ans et environ cinq mois après le début de la procédure, l'affaire est toujours pendante devant la cour administrative d'appel, et soulignant que les " litiges du travail " appellent par nature une décision rapide compte tenu de leur enjeu particulier pour les intéressés (ibidem, § 45), la Cour conclut en l'espèce à une violation de l'article 6 § 1 de la Convention.


II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

16. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

" Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. "


A. Dommage

17. La requérante réclame 80 000 francs (" FRF "), soit 12 195,92 euros (" EUR ") pour préjudice moral.

18. Le Gouvernement propose d'allouer 30 000 FRF (soit 4 573,47 EUR) à la requérante.

19. La Cour estime que le prolongement de la procédure litigieuse au-delà du " délai raisonnable " a sans nul doute causé à la requérante un préjudice moral justifiant l'octroi d'une indemnité. Statuant en équité, comme le veut l'article 41, elle lui alloue 7 500 EUR à ce titre.


B. Frais et dépens

20. La requérante demande 30 000 FRF (soit 4 573,47 EUR) pour frais et dépens. Elle fournit une note d'honoraires d'un montant de 18 090 FRF (soir 2 757,80 EUR), taxe sur la valeur ajoutée (" TVA ") comprise, datée du 11 février 2000, et relative à ses frais d'avocat dans le cadre de la procédure devant la Cour. Elle produit en outre une demande de provision d'un montant de 1 823,29 EUR que son avocat lui a adressée le 7 juin 2001.

21. Le Gouvernement réplique que seuls pourront être éventuellement remboursés les frais effectivement engagés par la requérante devant la Cour, sous réserve de la production des justificatifs correspondants et du caractère raisonnable de ces honoraires.

22. La Cour constate que la requérante ne démontre pas que la demande de provision du 7 juin 2001 se rapporte aux frais engagés dans le cadre de la procédure devant la Cour, et que les références figurant sur ce document tendent à indiquer qu'il concerne l'instance devant la cour d'appel de Bordeaux. Elle rappelle que lorsqu'elle constate une violation de la Convention, elle peut accorder le paiement des frais et dépens exposés devant les juridictions nationales, mais uniquement lorsqu'ils ont été engagés " pour prévenir ou faire corriger par celles-ci ladite violation " (voir, notamment, l'arrêt Zimmermann et Steiner c. Suisse du 13 juillet 1983, série A n° 66, p. 14, § 36). Tel n'est à l'évidence pas le cas en l'espèce s'agissant des frais et dépens engagés par la requérante devant la cour administrative d'appel de Bordeaux. Il y a donc lieu de rejeter cette partie des prétentions de la requérante.

La Cour estime par contre que la note d'honoraires du 11 février 2000 justifie pleinement de frais et dépens encourus devant la Cour. Jugeant par ailleurs le montant réclamé à ce titre raisonnable, la Cour décide de faire droit à cette partie des prétentions de la requérante et lui alloue en conséquence 2 757,80 EUR, TVA comprise.


C. Intérêts moratoires

23. Selon les informations dont dispose la Cour, le taux d'intérêt légal applicable en France à la date d'adoption du présent arrêt est de 4,26 % l'an.


PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,


1. Déclare la requête recevable ;


2. Dit, qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;


3. Dit,


a) que l'Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :


i. 7 500 EUR (sept mille cinq cent euros) pour dommage moral ;


ii. 2 757,80 EUR (deux mille sept cent cinquante-sept euros et quatre-vingt cents), TVA comprise, pour frais et dépens ;


b) que ces montants seront à majorer d'un intérêt simple de 4,26 % l'an à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement ;


4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 mars 2002 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
S. Dollé A.B. Baka

Greffière Président

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