TA Cergy-Pontoise, du 13-06-2024, n° 2407363
A05915IQ
Référence
Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 23 mai et 6 juin 2024, la société Colas France, représentée par Me Henochsberg, demande au juge des référés, statuant sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative🏛 :
1°) d'annuler la procédure de passation du lot n°2 du marché public relatif aux travaux de rénovation de la voirie et des espaces publics sur le territoire de Grand Paris Seine Ouest, mené par le groupement de commandes coordonné par l'établissement public territorial Grand Paris Seine Ouest à compter de l'analyse des offres ;
2°) de mettre à la charge de l'établissement public territorial du Grand Paris Seine Ouest une somme de 5000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Elle soutient que :
- les articles R. 2181-3 et R. 2181-4 du code de la commande publique🏛🏛 ont été méconnus, dès lors que le pouvoir adjudicateur n'a pas délivré une information précise ne détaillant pas les motifs présentés pour lui permettre de comprendre et de contester utilement le rejet de son offre ;
- l'établissement public territorial n'établit pas avoir obtenu de la part des sociétés attributaires les certificats et attestations exigées par les articles R. 2143-6 à R. 2143-10, R. 2144-7 du code de la commande publique🏛🏛🏛 et de l'article 4.5 du règlement de la consultation ;
- en attribuant un lot à la société Watelet TP et deux lots à la société Eurovia Ile-de-France, lesquelles constituent en réalité un seul et même opérateur économique, l'établissement public territorial a attribué trois lots au même opérateur économique et a ainsi méconnu les dispositions des articles L. 2113-10 et R. 2113-1 du code de la commande publique🏛🏛 et de l'article 2.13 du règlement de la consultation qui limitent à deux le nombre de lot attribués à un même opérateur économique ;
- à titre subsidiaire, le pouvoir adjudicateur aurait dû exclure de la procédure de passation du marché en application des dispositions de l'article L. 2141-9 de la commande publique les entreprises liées par une entente, comme en l'espèce Watelet TP et Eurovia Ile-de-France.
Par deux mémoires en défense enregistrés les 4 et 7 juin 2024, l'établissement public territorial GPSO, représenté par Me Sabattier, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société Colas une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- il n'a pas manqué à son obligation d'apporter une information suffisante à la société requérante sur les motifs du rejet de ses offres et les caractéristiques et avantages relatifs des offres retenues ;
- il n'a pas manqué à son obligation de solliciter et d'obtenir auprès des attributaires pressentis les éléments de preuve démontrant qu'ils n'entrent dans aucun des cas d'exclusion des procédures d'attribution des marchés publics ;
- il n'a pas méconnu l'article 2.13 règlement de la consultation limitant le nombre de lots susceptible d'être attribué à un même candidat, dès lors que les deux opérateurs, qui sont filiales du groupe Vinci, disposent d'une autonomie commerciale, ne peuvent être regardés comme un seul et même soumissionnaire ;
- les offres ne sont pas similaire.
Par un mémoire distinct enregistré le 4 juin 2024, l'établissement public territorial GPSO, représenté par Me Sabattier a produit des pièces, non communiquées en application des dispositions de l'article R. 611-30 et R. 412-2-1 du code de justice administrative🏛🏛.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 juin 2024, la societé Watelet TP représentée par Me Hourcabie conclut au rejet de la requête et demande en outre à ce qu'il soit mis à la charge de la société Colas France une somme de 5000 euros en application des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
-par principe les filiales d'un groupe sont des opérateurs économiques distincts, jouissant d'une autonomie commerciale, ce n'est que par exception que lorsqu'une maison mère exerce un contrôle d'une intensité telle qu'elle prive sa filiale de toute autonomie commerciale, notamment en présentant des offres identiques ;
- l'appartenance de la société Watelet TP a un groupe intégré ne correspond à aucune réalité ;
- elle n'entretient aucun lien avec Eurovia Ile-de-France ; Eurovia SA est devenue Vinci construction ; elles sont deux filiales de Vinci Construction, qui est une holding sans vocation opérationnelle ;
- Watelet TP et Eurovia Ile-de-France ne disposent ni de dirigeant commun, ni de siège social commun, ni de moyen matériel et humain commun, elles exécutent des opérations de travaux distincts, elle dispose d'une autonomie totale d'action et les sociétés du groupe Vinci sont étanches ;
- les moyens tiré de l'existence d'une entente sont inopérants devant le juge des référés pré-contractuel.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative.
Le président du tribunal a désigné Mme Edert, vice-présidente, en application des dispositions de l'article L. 511-2 du code de justice administrative🏛, pour statuer sur les requête en référés.
Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publiques du 7 juin 2024 à
14 heures.
Ont été entendus au cours de l'audience publique, tenue en présence de M. Grospierre, greffier d'audience :
- le rapport de Mme Edert, juge des référés ;
- les observations de Me Henochsberg, représentant la société Colas France, qui conclut aux mêmes fins et annonce renoncer aux deux premiers moyens tirés l'information insuffisante sur les motifs du rejet de son offre et de l'insuffisance des justificatifs produits en application des articles R. 2143-6 à R.2143-10, R.2144-7 du code de la commande publique et de l'article 4.5 du règlement de la consultation et fait en outre valoir qu'il existe un faisceau d'indices suffisants pour établir l'existence d'un unique opérateur économique, dès lors que l'ancien nom de Vinci Construction, maison mère des sociétés Eurovia-Ile-de-France et Watelet TP est Eurovia SA ; que Vinci Construction n'est pas une holding passive mais constitue un groupe structuré dont les sociétés attributaires appartiennent à des délégations territoriales, que leurs présidents sont placés sous la responsabilité hiérarchique de ces directeurs délégués territoriaux ; que Watelet TP ne dispose pas de service financier ni commercial et utilise notamment des enrobés produits par une société appartenant à une autre société de Vinci Construction ;
- les observations de Me Hourcabie, représentant la société Watelet TP, qui fait valoir qu'il est incorrect d'utiliser indifféremment Eurovia SA et Vinci-Construction, qu'aucune des affirmations de la société Colas n'est établie, que la circonstance que les deux entités sont des filiales de Vinci-Construction ne suffit pas à établir leur unicité économique, que Watelet TP est une petite société qui dispose d'une autonomie commerciale et que Eurovia Ile-de-France et Watelet TP ont présenté des offres chacune sur les secteurs géographiques différents ce qui établit l'existence d'une autonomie commerciale et en aucun cas une entente au sens du droit de la concurrence ;
- et les observations de Me Sabattier représentant l'établissement public territorial Grand Paris Seine Ouest, qui prend note de l'abandon des deux moyens et indique en outre que la société Colas est une filiale du groupe Bouygues et que la concurrence dans le secteur des travaux publics implique que seuls des groupes peuvent présenter des offres ; qu'il n'est pas contesté qu'Eurovia Ile de France et Watelet TP sont des filiales du groupe Vinci-Construction et qu'elles ont présenté des offres dissemblables, ainsi que les documents produits et non communicable l'établissent.
La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience publique.
1. Le groupement de commandes constitué de l'établissement public territorial Grand Paris Seine Ouest (ci-après GPSO) et les communes de Boulogne-Billancourt, Chaville, Issy-les-Moulineaux, Marnes-la-Coquette, Sèvres et Ville d'Avray a lancé une procédure de passation pour un marché public portant sur les travaux de rénovation de la voirie et des espaces publics sur le territoire de GPSO et des communes, membres du groupement de commandes. Ce marché est divisé en trois lots géographiques et le règlement de consultation limitait à deux lots maximum le nombre de lots pouvant être attribués à un même candidat et fixait un ordre d'attribution. La société Colas France a soumissionné à cette procédure en vue d'obtenir deux des trois lots de ce marché public. Par un courrier en date du 14 mai 2024, elle a été informée qu'elle avait été classée deuxième position sur chacun de ces trois lots. Par la présente requête, la société Colas France demande à la juge des référés, statuant sur le fondement de l'article L.551-1 du code de justice administrative, d'annuler la procédure de passation du lot n°2 du marché public relatif aux travaux de rénovation de la voirie et des espaces publics sur le territoire de Grand Paris Seine Ouest.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. () Le juge est saisi avant la conclusion du contrat. ".
3. Il appartient au juge administratif, saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l'administration. En vertu de cet article, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient, dès lors, au juge des référés précontractuels de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.
4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 2113-10 du code de la commande publique : " Les marchés sont passés en lots séparés, sauf si leur objet ne permet pas l'identification de prestations distinctes. L'acheteur détermine le nombre, la taille et l'objet des lots. (). ". Aux termes de l'article R.2113-1 du même code : " L'acheteur indique dans les documents de la consultation si les opérateurs économiques peuvent soumissionner pour un seul lot, plusieurs lots ou tous les lots ainsi que, le cas échéant, le nombre maximal de lots qui peuvent être attribués à un même soumissionnaire. (). ". Aux termes de l'article 2.13 du règlement de consultation litigieux : " Limitation du nombre de lots séparés attribués à un même candidat : Le soumissionnaire peut présenter une offre pour un ou plusieurs lots, sans limitation de nombre. Le nombre de lots pouvant être attribués à un même candidat sera, en toutes hypothèses, limité à deux (2)./() ".
5. Si deux personnes morales différentes constituent en principe des opérateurs économiques distincts, elles doivent néanmoins être regardées comme un seul et même candidat lorsque le pouvoir adjudicateur constate leur absence d'autonomie commerciale, résultant notamment des liens étroits entre leurs actionnaires ou leurs dirigeants, qui peut se manifester par l'absence totale ou partielle de moyens distincts ou la similarité de leurs offres pour un même lot.
6. La société Colas, candidate évincée des trois lots du marché, fait valoir que la société Watelet TP s'est vue attribuer un lot et la société Eurovia Ile-de-France deux lots, en méconnaissance de la règle fixée à l'article 2.13 du règlement de consultation, ces deux sociétés constituant en réalité un opérateur économique unique, devant les faire regarder comme un seul et même candidat.
7. Pour établir l'absence d'autonomie commerciale des deux sociétés attributaires, la société Colas fait valoir qu'elles sont des filiales travaux de la holding Eurovia SAS qui les détient à 100%, qu'elles partagent des dirigeants communs, le président de la société Watelet TP et le président d'Eurovia Ile-de France se présentant sur les réseaux sociaux comme directeur d'agence chez Eurovia, qu'elles dépendent hiérarchiquement du même directeur délégué d'Ile-de-France-Normandie. Il indique également qu'elles bénéficient de services supports mutualisés dans une société VCSP Route France (anciennement Eurovia Management France), dont les services achats, et que cette société dispose d'établissements secondaires dénommés direction technique et expertise, assurant l'assistance technique lors de la préparation de la réponse aux marchés publics. Enfin il fait valoir qu'elles sont associées dans deux sociétés pour la production d'enrobés, de bitume et les carrières placées fonctionnellement au sein de la direction déléguée Ile-de-France Normandie du groupe Eurovia, sous l'autorité du directeur délégué Ile-de-France Normandie. Elle en tire la conséquence que cette organisation établit l'existence d'un groupe intégré, constituant un opérateur économique unique.
8. Il n'est pas contesté que la société Eurovia SA est devenue Vinci Construction, laquelle est une holding, dont Eurovia Ile-de-France et Watelet TP sont des filiales et que Eurovia-Ile- de- France utilise des services supports d'Eurovia Management devenue Vinci Construction Services Partagés. Il ne résulte toutefois pas de l'instruction et notamment de documents soustraits à raison au principe du contradictoire, que la société Watelet TP, laquelle emploie une centaine de salariés bénéficierait des services de VCSP, qu'elle serait une entité géographique de la délégation Eurovia-Ile-de France Normandie ou d'Eurovia, qu'elle serait dépourvue de moyens techniques propres ou de matériels propres ne lui permettant pas de répondre à un appel d'offre et que son dirigeant entretiendrait des liens étroits avec la société Eurovia-Ile-de-France. Par ailleurs, il ne résulte pas plus de l'instruction que les dirigeants de Watelet TP et d'Eurovia-IDF seraient liés ou seraient placés sous la dépendance hiérarchique d'un directeur délégué d'Ile-de-France. La circonstance que ce dernier soit mandataire dans une société permettant l'exploitation commune de centrales d'enrobage ou participe à des groupement d'intérêt économique dont fait partie la société Eurovia-Ile-de-France ou Vinci Construction pour la fourniture de bitume ou d'enrobés, visant à sécuriser les approvisionnements ne peut la faire regarder comme ne disposant pas de moyens distincts. Enfin, la circonstance que les sociétés Eurovia et Watelet TP aient pu constituer des groupements d'entreprises n'est pas un élément probant d'une absence d'autonomie commerciale, alors qu'elles interviennent dans des secteurs géographiques différents et que les offres qu'elles ont présentées dans l'appel d'offre litigieux ne sont pas similaire. Par suite, le pouvoir adjudicateur a pu à bon droit attribuer le lot 2 à la société Watelet TP et sans méconnaitre l'article 2.13 du règlement de consultation.
9. En second lieu, compte tenu de ce qui a été dit au point précèdent, l'absence de présentation d'une offre sur un même lot n'obligeait pas le pouvoir adjudicateur à faire usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 2141-9 de la commande publique. En outre, si la société Colas fait valoir que la société Vinci Construction dispose d'une influence déterminante au sens du droit de la concurrence sur Eurovia Ile-de-France et Watelet TP et que ces deux sociétés se sont nécessairement concertées pour fausser le jeu de la concurrence, ce moyen est inopérant devant le juge des référés précontractuels.
10. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions présentées par la société Colas au titre des dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'établissement public GPSO qui n'est pas, dans la présente instance, la partie tenue aux dépens ou la partie perdante, la somme que la société requérante demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la société Colas une somme de 1 500 euros à verser à l'établissement public territorial GPSO et une somme de 1500 euros à verser à la société Watelet TP.
Article 1er : La requête de la société Colas est rejetée.
Article 2 : La société Colas versera une somme de 1 500 euros à l'établissement public territorial GPSO au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La société Colas versera une somme de 1500 euros à la société Watelet TP.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Colas France, l'établissement public territorial du Grand Paris Seine Ouest, la société Watelet TP, la commune de Boulogne-Billancourt et à la société Eurovia Île-de-France.
Fait à Cergy, le 13 juin 2024
La juge des référés,
signé
S. Edert
La République mande et ordonne au préfet des Hauts-de-Seine en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°2407363
Article, L551-1, CJA Article, L511-2, CJA Article, R412-2-1, CJA Article, R611-30, CJA Travaux de rénovation Espaces publics Groupement de commandes Établissement public territorial Pouvoirs adjudicateurs Entreprise liée Élément de preuve Siège social Moyens matériels Moyen inopérant Entente Faisceau d'indices Établissement de l'existence Travaux publics Mise en concurrence Prestation de service Permission de l'identification Établissements secondaires Moyens propres Mandataire Exploitation d'une centrale Présentation d'une offre