Jurisprudence : Cass. soc., 19-10-1999, n° 97-43.088, Rejet



Cour de Cassation
Chambre sociale
Audience publique du 19 Octobre 1999
Rejet
N° de pourvoi 97-43.088
Président M. WAQUET
conseiller

Demandeur société Clinique La Lauranne, société à responsabilité limitée
Défendeur Mme Annie ... et autres
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant
Sur le pourvoi formé par la société Clinique La Lauranne, société à responsabilité limitée, dont le siège est Bouc-Bel-Air,
en cassation d'un arrêt rendu le 29 avril 1997 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (18ème chambre sociale), au profit
1 / de Mme Annie ..., demeurant Pourrières,
2 / de Mme Annie ..., épouse ..., demeurant Miramas,
3 / du syndicat CGT de ... Lauranne, Union locale CGT de Gardanne, dont le siège est Gardanne,
défendeurs à la cassation ;

LA COUR, en l'audience publique du 22 juin 1999, où étaient présents M. Waquet, conseiller doyen, faisant fonctions de président, M. Bouret, conseiller rapporteur, M. Ransac, conseiller, MM ... ... ... ..., ... ... ..., ..., conseillers référendaires, M. Martin, avocat général, Mme Ferré, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Bouret, conseiller, les observations de la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat de la société Clinique La Lauranne, les conclusions de M. Martin, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu que Mmes ... et ..., toutes deux représentants élus du personnel, travaillent en qualité d'infirmières pour la société Clinique La Lauranne, établissement psychiatrique ; que ces personnes travaillaient depuis plusieurs années au sein de la même équipe de nuit, quand, en janvier 1996, une nouvelle répartition des équipes de nuit modifiant leur affectation a été décidée par l'employeur ;
que les intéressées ont saisi la formation de référé du conseil de prud'hommes en faisant valoir une discrimination syndicale afin d'être réintégrée dans leur poste habituel ;
Sur le premier moyen
Attendu que l'employeur reproche à l'arrêt attaqué, statuant en référé, d'avoir décidé que Mme Annie ... et Mme Lucette ... effectueraient au sein de la clinique leurs prestations de travail dans une unité de nuit autre que l'unité 4 "afin que l'une et l'autre ne soient plus isolées" et que Mme ... devait être réintégrée dans l'équipe de nuit n° 2 où elle travaillait auparavant, ainsi que Mme ... et d'avoir en outre condamné la clinique ... Lauranne à verser au syndicat CGT la somme de 10 000 francs à titre de dommages-intérêts provisionnels, alors, selon le moyen, d'une part, que l'arrêt qui, pour qualifier une prétendue discrimination syndicale se détermine par la considération selon laquelle l'affectation de Mme ... et de Mme ... à l'unité n° 4 aurait été anormale, non au regard du contenu du contrat de travail ou de la convention collective, mais au regard de l'affectation des élus appartenant à une autre organisation syndicale, lesquels, selon les conseillers-rapporteurs du conseil de prud'hommes n'auraient jamais été "isolés" dans ladite unité n° 4 et auraient au contraire toujours travaillé en du° dans d'autres unités, consacre l'existence d'une discrimination à rebours des salariés protégés par rapport aux autres travailleurs, et viole ensemble les articles L 412-2, L 412-11, L 422-1, L 433-1, L. 236-5 du Code du travail, ainsi que le principe général de l'égalité dans les conditions de travail exprimé au travers des articles L133-5-4 et L 136-2-8 ; que, de surcroît, l'arrêt attaqué laisse dépourvues de toute réponse, en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, les conclusions de l'employeur prises de ce chef ; alors, d'autre part et en tout état de cause, que la perte d'un tel avantage, dont la licéité était expressément contestée, et l'affectation à l'unité n° 4 en vertu du pouvoir de direction de l'employeur, ne pouvaient constituer un trouble manifestement illicite devant être réparé par une réintégration dans le poste précédent, de sorte qu'en tranchant la question dans le cadre d'une instance de référé, le juge a violé l'article R 516-31 du Code du travail ;
alors, enfin, que prive sa décision de toute base légale au regard des articles L 412-2, L 236-7, L 424-3, L 434-1, L. 412-17 du Code du travail, l'arrêt qui décide que l'exercice des mandats syndicaux impose pour leurs titulaires le choix d'une affectation dans une unité leur permettant de ne pas être isolés de leurs collègues (affectation dans une unité autre que l'unité n° 4) et permettant aux deux intéressées de se rencontrer (affectation dans l'équipe de nuit n° 2) pendant les heures de travail, sans rechercher si une telle affectation n'aboutissait pas à perturber le travail et à ôter à l'employeur la possibilité de décider de l'organisation et de la répartition du travail dans l'entreprise ;
Mais attendu d'abord que les conditions de travail des représentants du personnel ne peuvent être modifiées sans leur accord ;
Attendu, ensuite, que sans encourir les griefs du moyen, la cour d'appel a constaté que la réorganisation litigieuse n'était pas justifiée par l'intérêt de l'entreprise, mais tendait uniquement à une discrimination aux dépens de Mmes ... et Brun° en raison de leur appartenance syndicale ;
D'où il suit que c'est à bon droit que la cour d'appel a ordonné les mesures nécessaires pour faire cesser ce trouble manifestement illicite ;
Sur le second moyen
Attendu que l'employeur fait encore grief à l'arrêt de l'avoir condamné à payer des dommages-intérêts provisionnels à la CGT ... Lauranne union locale CGT alors, selon le moyen, d'une part, que la demande initiale du syndicat CGT tendait à l'allocation, non d'une provision, mais de dommages-intérêts, ce qui excluait la compétence du juge des référés ; qu'en accueillant cependant cette demande, la cour d'appel viole derechef l'article R 516-31 du Code du travail ; alors, d'autre part et de toute façon, qu'en application de l'article R 516-31 du Code du travail, la formation de référé peut accorder une provision au créancier dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable ; qu'en l'espèce le point de savoir si l'affectation par l'employeur en vertu de son pouvoir de direction, de Mme ... et Mme ..., révélait une prétendue discrimination syndicale ou n'était qu'un litige individuel du travail excluant la défense des intérêts collectifs de la profession et la présence du syndicat au litige, constituait une difficulté sérieuse, de sorte qu'en allouant des dommages-intérêts provisionnels audit syndicat, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Mais attendu, d'abord, que la demande du syndicat devant la cour d'appel tendait à la confirmation de l'ordonnance de référé qui lui avait accordé une provision sur dommage-intérêt ;
Et attendu, ensuite, que les mesures prescrites à l'alinéa 1er de l'article L 412-2 du Code du travail, lorsqu'elles ont été prises par l'employeur en considération de l'appartenance ou de l'activité syndicale des salariés sont en elles même génératrices d'un préjudice subi par la profession à laquelle appartiennent les salariés et dont les syndicats qui représentent la profession peuvent demander réparation en vertu de l'article L 411-11 du Code du travail ; d'où il suit qu'ayant exactement jugé que l'employeur avait violé les dispositions susvisées de l'article L 412-2 du Code du travail, la cour d'appel a pu décider que la créance du syndicat n'était pas sérieusement contestable ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Clinique La Lauranne aux dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf octobre mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf.

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