Décision n° 2001-453 DC du 18 décembre 2001
Loi de financement de la Sécurité sociale pour 2002
Le Conseil constitutionnel a été saisi, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002,
le 6 décembre 2001, par MM. Philippe DOUSTE-BLAZY, Jean-Louis DEBRÉ, Jean-François MATTEI, Pierre-Christophe BAGUET, Jacques BARROT, Claude BIRRAUX, Emile BLESSIG, Mme Marie-Thérèse BOISSEAU, MM. Loïc BOUVARD, Yves BUR, Dominique CAILLAUD, Hervé de CHARETTE, René COUANAU, Yves COUSSAIN, Charles de COURSON, Francis DELATTRE, Renaud DONNEDIEU de VABRES, Jean-Pierre FOUCHER, Claude GAILLARD, Germain GENGENWIN, Hubert GRIMAULT, Pierre HÉRIAUD, Patrick HERR, Francis HILLMEYER, Mmes Anne-Marie IDRAC, Bernadette ISAAC-SIBILLE, MM. Jean-Jacques JÉGOU, Christian KERT, Edouard LANDRAIN, François LÉOTARD, Maurice LEROY, Roger LESTAS, Christian MARTIN, Pierre MÉHAIGNERIE, Pierre MENJUCQ, Pierre MICAUX, Jean-Marie MORISSET, Dominique PAILLÉ, Henri PLAGNOL, Jean-Luc PRÉEL, Marc REYMANN, François SAUVADET, Michel VOISIN, Pierre-André WILTZER, Bernard ACCOYER, Mme Michèle ALLIOT-MARIE, MM. Philippe AUBERGER, Gautier AUDINOT, Mme Martine AURILLAC, MM. Jean BARDET, Léon BERTRAND, Bruno BOURG-BROC, Michel BOUVARD, Christian CABAL, Gilles CARREZ, Mme Nicole CATALA, MM. Richard CAZENAVE, Henri CHABERT, Jean CHARROPPIN, Jean-Marc CHAVANNE, Alain COUSIN, Jean-Michel COUVE, Charles COVA, Lucien DEGAUCHY, Patrick DELNATTE, Xavier DENIAU, Yves DENIAUD, Jean-Michel DUBERNARD, Jean-Pierre DUPONT, Nicolas DUPONT-AIGNAN, Christian ESTROSI, Yves FROMION, René GALY-DEJEAN, Michel GIRAUD, Louis GUÉDON, Jean-Claude GUIBAL, Lucien GUICHON, François GUILLAUME, Gérard HAMEL, Michel INCHAUSPÉ, Christian JACOB, Didier JULIA, Pierre LASBORDES, Thierry LAZARO, Jean-Claude LEMOINE, Thierry MARIANI, Alain MARLEIX, Jacques MASDEU-ARUS, Mme Jacqueline MATHIEU-OBADIA, MM. Gilbert MEYER, Pierre MORANGE, Jacques MYARD, Jean-Marc NUDANT, Patrick OLLIER, Robert PANDRAUD, Jacques PÉLISSARD, Dominique PERBEN, Etienne PINTE, Serge POIGNANT, Didier QUENTIN, Jean-Bernard RAIMOND, Jean-Luc REITZER, André SCHNEIDER, Bernard SCHREINER, Frantz TAITTINGER, Michel TERROT, Léon VACHET, Jean VALLEIX, Mmes Nicole AMELINE, Sylvia BASSOT, MM. Dominique BUSSEREAU, Pierre CARDO, Pascal CLÉMENT, Georges COLOMBIER, François d'AUBERT, Bernard DEFLESSELLES, Franck DHERSIN, Laurent DOMINATI, Charles EHRMANN, Nicolas FORISSIER, Gilbert GANTIER, Claude GATIGNOL, Claude GOASGUEN, François GOULARD, Michel HERBILLON, Philippe HOUILLON, Denis JACQUAT, Marc LAFFINEUR, Pierre LEQUILLER, Michel MEYLAN, Alain MOYNE-BRESSAND, Paul PATRIARCHE, Bernard PERRUT, Mme Marcelle RAMONET, MM. José ROSSI et Gérard VOISIN, députés,
et le 7 décembre 2001, par MM. Josselin de ROHAN, Alain VASSELLE, Nicolas ABOUT, Pierre ANDRÉ, Philippe ARNAUD, Jean ARTHUIS, Denis BADRÉ, Gérard BAILLY, Gilbert BARBIER, Bernard BARRAUX, Jacques BAUDOT, Michel BÉCOT, Joël BILLARD, Claude BIWER, Jacques BLANC, Paul BLANC, Maurice BLIN, Mme Annick BOCANDÉ, MM. Joël BOURDIN, Jean BOYER, Gérard BRAUN, Dominique BRAYE, Mme Paulette BRISEPIERRE, MM. Jean-Pierre CANTEGRIT, Jean-Claude CARLE, Gérard CÉSAR, Marcel-Pierre CLÉACH, Jean CLOUET, Christian COINTAT, Jean-Patrick COURTOIS, Jean-Paul DELEVOYE, Fernand DEMILLY, Marcel DENEUX, Gérard DÉRIOT, Michel DOUBLET, Paul DUBRULE, Alain DUFAUT, André DULAIT, Jean-Léonce DUPONT, Louis DUVERNOIS, Daniel ECKENSPIELLER, Jean-Paul ÉMIN, Jean-Paul ÉMORINE, Jean FAURE, Mme Françoise FÉRAT, MM. André FERRAND, Hilaire FLANDRE, Jean-Pierre FOURCADE, Bernard FOURNIER, Serge FRANCHIS, Philippe FRANÇOIS, Yves FRÉVILLE, Yann GAILLARD, Christian GAUDIN, Mme Gisèle GAUTIER, MM. Patrice GÉLARD, Alain GÉRARD, Paul GIROD, Mme Jacqueline GOURAULT, MM. Alain GOURNAC, Adrien GOUTEYRON, Louis GRILLOT, Georges GRUILLOT, Charles GUENÉ, Pierre HÉRISSON, Daniel HOEFFEL, Jean-Jacques HYEST, Alain JOYANDET, Jean-Marc JUILHARD, Joseph KERGUÉRIS, Jean-Philippe LACHENAUD, Alain LAMBERT, André LARDEUX, Patrick LASSOURD, Jean-René LECERF, Jacques LEGENDRE, Philippe LEROY, Marcel LESBROS, Gérard LONGUET, Jean-Louis LORRAIN, Roland du LUART, Max MAREST, Jean-Louis MASSON, René MONORY, Bernard MURAT, Mme Nelly OLIN, MM. Joseph OSTERMANN, Jacques OUDIN, Mme Monique PAPON, MM. Michel PELCHAT, Jean PÉPIN, Henri de RAINCOURT, Victor REUX, Charles REVET, Henri REVOL, Philippe RICHERT, Bernard SAUGEY, Jean-Pierre SCHOSTECK, Bruno SIDO, Louis SOUVET, François TRUCY, Jacques VALADE, André VALLET, Xavier de VILLEPIN, Serge VINÇON et François ZOCCHETTO, sénateurs ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution,
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Vu la loi organique n° 96-646 du 22 juillet 1996 relative aux lois de financement de la sécurité sociale ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu les observations du Gouvernement enregistrées le 12 décembre 2001 ;
Vu les observations en réplique présentées par les sénateurs auteurs de la seconde saisine, enregistrées le 13 décembre 2001 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que les auteurs des saisines défèrent au Conseil constitutionnel la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002, en mettant en cause l'intelligibilité et la sincérité de l'ensemble de la loi, ainsi que son incidence sur l'équilibre financier des régimes de sécurité sociale ; que les députés requérants contestent plus particulièrement ses articles 12, 13, 16, 18, 20, 31, 60, 67, 68, 69, 71, 73 et 75 ; que, pour leur part, les sénateurs requérants critiquent, en tout ou partie, ses articles 12, 13, 16, 17, 18, 30-III, 42, 56, 59, 60, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73 et 76 ;
--SUR L'INTELLIGIBILITÉ ET LA SINCÉRITÉ DE LA LOI DÉFÉRÉE ET SON INCIDENCE SUR L'ÉQUILIBRE FINANCIER DES RÉGIMES DE SÉCURITÉ SOCIALE :
2. Considérant qu'il est soutenu qu'à plusieurs titres la loi manquerait à l'objectif d'intelligibilité et à l'exigence de sincérité ; qu'elle porterait également atteinte aux missions des régimes de sécurité sociale, ainsi qu'à l'équilibre financier de ces régimes ;
. En ce qui concerne l'intelligibilité de la loi déférée :
3. Considérant que, si la loi déférée se caractérise encore par la complexité des circuits financiers entre les régimes obligatoires de base de la sécurité sociale, les organismes créés pour concourir à leur financement et l'Etat, elle énonce de façon précise les nouvelles règles de financement qu'elle instaure ; qu'ainsi, elle détermine les nouvelles recettes de chaque organisme et fixe les clés de répartition du produit des impositions affectées ; que, de même, les transferts entre les différents fonds spécialisés, les régimes obligatoires de base de la sécurité sociale et l'Etat sont précisément définis ; que, dès lors, doit être rejeté le grief tiré de l'atteinte à l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi ;
. En ce qui concerne la sincérité de la loi déférée :
- Quant au réalisme des prévisions pour 2002 :
4. Considérant, en premier lieu, qu'en application du I de l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale, l'article 16 de la loi déférée fixe, pour 2002, par catégorie, les prévisions de recettes de l'ensemble des régimes obligatoires de base et des organismes créés pour concourir à leur financement ; que l'article 69 prévoit pour 2002 les objectifs de dépenses par branche des mêmes régimes ; que l'objectif national de dépenses d'assurance maladie de l'ensemble des régimes obligatoires de base pour 2002 est fixé à l'article 71 ;
5. Considérant que les auteurs des deux saisines contestent le réalisme des prévisions d'évolution de la masse salariale et de croissance du produit intérieur brut sur lesquelles se fondent les prévisions de recettes figurant à l'article 16 ; que les députés requérants invoquent le rapport présenté lors de la réunion du 20 septembre 2001 de la commission des comptes de la sécurité sociale, aux termes duquel « l'hypothèse retenue en matière de dépenses d'assurance maladie est particulièrement ambitieuse » et selon lequel la réalisation de l'objectif fixé pour 2002 « supposerait un freinage considérable par rapport à la tendance moyenne des deux dernières années », alors que, pour les sénateurs requérants, la loi déférée ne comprendrait « aucun dispositif permettant d'espérer un ralentissement des dépenses d'assurance maladie » ; que, pour les sénateurs requérants, au vu des prévisions et des réalisations des années précédentes, l'objectif de dépenses de la branche famille pour 2002 aurait été surestimé ; que, dès lors, les objectifs fixés aux articles 69 et 71 seraient entachés d'une « erreur manifeste d'appréciation » ;
6. Considérant qu'il ne ressort pas des éléments fournis au Conseil constitutionnel que les prévisions de recettes et les objectifs de dépenses, présentés pour 2002, soient entachés d'une erreur manifeste, compte tenu des aléas inhérents à leur évaluation et des incertitudes particulières relatives à l'évolution de l'économie en 2002 ; que, toutefois, s'il apparaissait en cours d'année que les conditions générales de l'équilibre financier des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale étaient remises en cause, il appartiendrait au Gouvernement de soumettre au Parlement les ajustements nécessaires dans une loi de financement de la sécurité sociale rectificative ou, à défaut, s'il en était encore temps, dans la loi de financement de la sécurité sociale pour l'année 2003 ;
7. Considérant, en second lieu, que les députés requérants mettent en cause l'insuffisance de la part affectée au fonds de réserve des retraites par l'article 67, relatif à la répartition du produit des prélèvements sociaux mentionnés aux articles L. 245-14 et L. 245-15 du code de la sécurité sociale sur les revenus du patrimoine et les produits de placement ; qu'ils allèguent que ni ce relèvement, ni l'affectation nouvelle de recettes de privatisation prévue dans le cadre du projet de loi de finances pour 2002, soumis par ailleurs à l'examen du Parlement, ne suffiraient à compenser la « réduction drastique » du prix des autorisations d'établissement et d'exploitation de réseau de téléphonie mobile de troisième génération ; que, pour contester la sincérité de ces prévisions, ils font état de l'annonce par le Gouvernement de l'affectation desdites recettes de privatisation à d'autres dépenses ;
8. Considérant que les évaluations de recettes de cession d'actifs publics figurant dans le projet de loi de finances pour 2002 apparaissent suffisantes pour compenser la perte de recettes subie par le fonds de réserve des retraites du fait de la réduction du prix des autorisations susmentionnées ; que, dès lors, la répartition fixée par l'article 67 n'est pas entachée d'insincérité ;
- Quant à la révision des prévisions pour 2001 :
9. Considérant que les sénateurs auteurs de la seconde saisine mettent en cause la constitutionnalité du « volet rectificatif pour 2001 » figurant aux articles 17, 70 et 72 de la loi déférée, « qui évite au Gouvernement de déposer un projet de loi de financement rectificatif » ;
10. Considérant que le II de l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale ne fait pas obstacle à la révision, par l'article 17 de la loi de financement pour 2002, des prévisions de recettes pour 2001, non plus qu'à celle, par les articles 70 et 72, des objectifs de dépenses des branches et de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie pour 2001 ;
11. Considérant que les sénateurs requérants font plus particulièrement grief à l'article 17 de manquer au principe de sincérité du fait des modalités retenues pour relever, au titre de l'exercice 2001, l'évaluation du produit de la contribution sociale de solidarité à la charge des sociétés ;
12. Considérant que les dispositions figurant à cet effet dans la loi déférée ont pour objet de tirer les conséquences d'une mesure, figurant dans le projet de loi de finances rectificative pour 2001 actuellement examiné au Parlement, qui relève de 1,5 milliard de francs la fraction de ladite contribution affectée au budget annexe des prestations sociales agricoles en 2001 ; qu'à l'article 17, l'évaluation révisée des « impôts et taxes affectés » en 2001 est majorée en conséquence du même montant ; que le solde à reporter en 2002 est donc réduit de 1,5 milliard de francs ; que, toutefois, cette diminution du solde est partiellement compensée par une plus-value de recettes de 0,8 milliard de francs constatée en 2001 ; que, dès lors, l'article 16 réduit de 0,7 milliard de francs la rubrique « impôts et taxes affectées » pour 2002 ;
13. Considérant que la coordination ainsi opérée entre l'article 8 du projet de loi de finances rectificative pour 2001 et les articles 16 et 17 de la loi déférée ne porte pas atteinte au principe de sincérité ;
. En ce qui concerne la dégradation alléguée des comptes des régimes de base :
14. Considérant que les sénateurs requérants font valoir que la loi déférée aurait « pour principal effet, sinon pour objet, de dégrader considérablement les comptes des régimes de base pour les exercices 2000, 2001 et 2002 afin d'éviter de faire supporter au budget de l'Etat les conséquences financières des politiques décidées par le Gouvernement » ; qu'ils estiment ces mouvements contraires à l'objectif constitutionnel d'équilibre financier de la sécurité sociale découlant du dix-neuvième alinéa de l'article 34 de la Constitution ;
15. Considérant que sont critiqués à cet égard les transferts de recettes figurant aux articles 13, 16 et 67 ainsi que les changements d'imputation de charges opérés notamment par l'article 42 ;
16. Considérant que l'article 13 de la loi déférée comprend diverses mesures tendant à accroître les recettes du fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale ; qu'en particulier, son II transfère à ce fonds, à compter du 1er janvier 2002, la totalité de la contribution sur les contrats d'assurance en matière de circulation de véhicules terrestres à moteur ; que le III du même article lui affecte la totalité du droit de consommation sur les alcools dès le 1er janvier 2001 ; qu'il est allégué que, du fait de ces transferts de recettes, le déficit de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés serait aggravé de 5,9 milliards de francs en 2001 et de 11,8 milliards de francs en 2002 ; qu'en outre, il serait porté atteinte au principe du consentement à l'impôt, en raison, selon les requérants, de la «grande opacité » des nouvelles affectations ;
17. Considérant que sont également mises en cause deux dispositions au motif qu'elles aggraveraient le déficit du fonds de solidarité vieillesse, organisme créé pour concourir au financement des régimes de base ; que les requérants soutiennent, en premier lieu, que le V de l'article 13 prive le fonds, à compter du 1er janvier 2002, de la totalité du produit de la taxe sur les contributions au bénéfice des salariés pour le financement des prestations complémentaires de prévoyance, à hauteur de 2,9 milliards de francs ; qu'ils font valoir, en second lieu, que la part de la contribution sociale de solidarité des sociétés affectée au même fonds est réduite de 0,7 milliard de francs du fait de l'article 16 de la loi déférée « coordonné avec l'article 8 du projet de loi de finances rectificative pour 2001 » ;