Jurisprudence : CE 8/9 SSR, 13-10-1999, n° 181010

ARRÊT DU CONSEIL D'ETAT


Conseil d'Etat

Statuant au contentieux


N° 181010

8 / 9 SSR

Ministre de l'économie et des finances

Epoux Blanc

M Olléon, Rapporteur

M Arrighi de Casanova, Commissaire du gouvernement

M Genevois, Président

Lecture du 13 Octobre 1999


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu 1°) sous le n° 181010, le recours enregistré le 2 juillet 1996 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES ; le MINISTRE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES demande au Conseil d'Etat d'annuler les articles 1, 2 et 3 de l'arrêt du 7 mai 1996 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon, réformant un jugement du 26 mai 1994 du tribunal administratif de Marseille, a déchargé M Blanc des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il avait été assujetti au titre de l'année 1983 et condamné l'Etat à verser au contribuable une somme de 5 000 F au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

Vu 2°) sous le n° 181209, la requête et le mémoire complémentaire enregistrés les 10 juillet et 12 novembre 1996 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M et Mme Louis BLANC, demeurant 140, route de Marseille, Le Bosquet à Vitrolles (13127) ; M et Mme BLANC demandent au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 7 mai 1996 de la cour administrative d'appel de Lyon en tant qu'il rejette, après avoir réformé le jugement du 26 mai 1994 du tribunal administratif de Marseille, leurs conclusions tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et des pénalités y afférentes auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 1982 ;

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Après avoir entendu en audience publique :

- le rapport de M Olléon, Auditeur,

- les observations de la SCP Delaporte, Briard, avocat de M Louis Blanc,

- les conclusions de M Arrighi de Casanova, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que le recours n° 181 010 du MINISTRE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES et la requête n° 181 209 de M et Mme BLANC sont dirigés contre le même arrêt du 7 mai 1996 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon, après avoir, en réformant le jugement du 26 mai 1994 du tribunal administratif de Marseille, accordé à M BLANC la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 1983 et condamné l'Etat à lui verser une somme de 5 000 F au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens, a rejeté ses conclusions tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et des pénalités y afférentes auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 1982 ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Considérant qu'aux termes de l'article L 16 du livre des procédures fiscales : "En vue de l'établissement de l'impôt sur le revenu, l'administration peut demander au contribuable des éclaircissements Elle peut également lui demander des justifications lorsqu'elle a réuni des éléments permettant d'établir que le contribuable peut avoir des revenus plus importants que ceux qu'il a déclarés " ; qu'en vertu de l'article L 69 du même livre, sont taxés d'office les contribuables qui se sont abstenus de répondre aux demandes de justifications prévues à l'article L 16 ;

Considérant qu'à l'issue d'une vérification approfondie de la situation fiscale d'ensemble de M BLANC, l'administration a taxé d'office, pour défaut de réponse à une demande de justifications, la somme de 281 300 F au titre de l'année 1982, correspondant à des crédits bancaires dont l'origine n'avait pas été précisée, et celle de 517 000 F au titre de l'année 1983, comprenant des crédits bancaires pour 17 000 F et des revenus d'origine indéterminée ayant permis la souscription de bons anonymes à concurrence de 500 000 F ;

En ce qui concerne la requête n° 181 209 de M et Mme BLANC :

Considérant qu'après avoir relevé que les réponses fournies par le contribuable à la demande de justifications qui lui avait été adressée ont été à bon droit regardées par le vérificateur comme équivalant à un refus de répondre et que l'administration était, par suite, fondée à taxer d'office les sommes en cause, la cour a jugé que la notification des redressements, qui comportait l'indication de leur nature et de leurs motifs, était régulièrement motivée ; qu'ainsi, contrairement à ce que prétendent M et Mme BLANC, la cour a répondu au moyen tiré de ce que l'administration n'avait pas justifié, dans la notification de redressements du 14 mars 1986, le recours à la procédure de taxation d'office pour l'année 1982 ;

Considérant que la cour, en jugeant que l'écart constaté entre le total des crédits portés en 1982 aux comptes bancaires de M et Mme BLANC, d'un montant de 553 027 F, et les revenus déclarés au titre de la même année, s'élevant à 231 283 F, autorisait l'administration à demander à M BLANC de justifier l'origine de ces crédits, n'a pas commis d'erreur de droit ;

Considérant que la cour a pu, par une appréciation souveraine des faits et sans commettre d'erreur de droit, juger que la notification des bases imposées d'office comportait les mentions exigées par les dispositions de l'article L 76 du livre des procédures fiscales ;

Considérant que M et Mme BLANC ne sont, dès lors, pas fondés à demander l'annulation de l'article 4 de l'arrêt attaqué, qui rejette leurs conclusions tendant à la décharge des suppléments d'impôt sur le revenu et des pénalités auxquels ils ont été assujettis au titre de l'année 1982 ;

En ce qui concerne le recours N° 181 010 du MINISTRE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES :

Considérant que pour décharger M BLANC du supplément d'impôt sur le revenu auquel il a été assujetti au titre de l'année 1983, la cour administrative d'appel de Lyon s'est fondée sur l'irrégularité de la procédure d'imposition ayant résulté, d'une part, de ce que l'administration n'avait pas réuni d'éléments suffisants pour adresser à M BLANC une demande de justifications portant sur des crédits bancaires d'origine indéterminée et, d'autre part, de ce que l'administration n'avait pas informé le contribuable de l'origine et de la teneur des renseignements recueillis auprès de tiers par lesquels elle avait eu connaissance de la souscription de bons anonymes ;

Considérant que l'administration est tenue d'informer suffisamment le contribuable de l'origine et de la teneur des renseignements qu'elle recueille dans l'exercice de son droit de communication afin de le mettre en mesure de demander la communication des documents en cause avant la mise en recouvrement des impositions ; qu'en jugeant que l'administration doit porter ces informations à la connaissance du contribuable dès la demande de justifications qu'elle lui adresse en application des dispositions précitées de l'article L 16 du livre des procédures fiscales, la cour a méconnu la portée de l'obligation ainsi rappelée et entaché son arrêt d'une erreur de droit ; que, par suite, le ministre est fondé à demander l'annulation des articles 1, 2 et 3 de l'arrêt attaqué, qui ont prononcé la décharge ci-dessus mentionnée, réformé, en ce qu'il avait de contraire, le jugement du tribunal administratif de Marseille du 26 mai 1994 et condamné l'Etat à verser à M Blanc une somme de 5 000 F au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire applicationdes dispositions de l'article 11 de la loi du 31 décembre 1987 et de régler l'affaire au fond ;

Considérant que si la souscription par M BLANC de bons anonymes d'une valeur de 500 000 F, hors de proportion avec ses revenus déclarés pour 1983, permettait à l'administration d'adresser au contribuable une demande de justifications sur l'origine des fonds ayant permis cette opération, elle ne l'autorisait pas, en revanche, à lui demander également de justifier l'écart constaté entre les sommes portées au crédit de ses comptes bancaires, s'élevant à 394 274 F et ses revenus déclarés au titre de la même année, d'un montant de 250 254 F ; qu'ainsi, M BLANC est fondé à soutenir que l'emploi de la procédure prévue par l'article L 16, précité, était irrégulier à raison des sommes portées en 1983 au crédit de ses comptes bancaires ; que, par suite, l'administration ne pouvait taxer d'office la somme de 17 000 F correspondant à un crédit bancaire inexpliqué à l'issue des réponses apportées par le contribuable à la demande de justifications ;

Considérant que la connaissance par l'administration de la souscription de bons anonymes effectuée par M BLANC résultait de la communication par l'autorité judiciaire, sur le fondement de l'article L 101 du livre des procédures fiscales, d'un procès-verbal d'audition de l'intéressé lors de l'instruction d'une procédure pénale qui avait été engagée contre lui ; que, dès lors, il appartenait à l'administration d'informer le contribuable, avant la mise en recouvrement des suppléments d'impôt, de l'origine et de la teneur de ces renseignements, afin de lui permettre de les contester et, le cas échéant, d'en demander la communication ; que la circonstance que ces informations procédaient des déclarations de l'intéressé, qu'il en ait fait mention dans sa réponse à la demande de justifications et que le redressement ait été opéré dans le cadre de la procédure de taxation d'office est sans incidence sur la portée de cette obligation, qui vise à garantir les droits du contribuable ; qu'il résulte de l'instruction que l'administration n'a informé M BLANC de l'origine et de la nature des informations recueillies sur communication de l'autorité judiciaire ni dans la demande de justifications, ni dans la notification de redressements, ni dans aucun autre document adressé au contribuable avant la mise en recouvrement des suppléments d'impôt litigieux ; que, par suite, le redressement portant sur les revenus d'origine indéterminée ayant permis la souscription des bons anonymes, opéré à l'issue d'une procédure irrégulière, est lui-même irrégulier ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M BLANC est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 26 mai 1994, le tribunal administratif de Marseille a rejeté ses conclusions tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et des pénalités y afférentes auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 1983 ;

Sur les conclusions de M et Mme BLANC tendant à l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Etat à payer à M et Mme BLANC une somme de 15 000 F au titre des frais exposés par eux, tant devant la cour que devant le Conseil d'Etat, et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : La requête n° 181 209 de M et Mme BLANC est rejetée.

Article 2 : Les articles 1, 2 et 3 de l'arrêt du 7 mai 1996 de la cour administrative d'appel de Lyon sont annulés.

Article 3 : Le jugement du 26 mai 1994 du tribunal administratif de Marseille est annulé en tant qu'il rejette la demande de M BLANC tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôts sur le revenu et des pénalités y afférentes auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 1983.

Article 4 : M BLANC est déchargé des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et des pénalités y afférentes auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 1983.

Article 5 : L'Etat paiera à M et Mme BLANC une somme de 15 000 F au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.

Article 6 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et à M et Mme BLANC.

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