Directive communautaire
DIRECTIVE 98/44/CE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL
du 6 juillet 1998
relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques
LE PARLEMENT EUROPÉEN ET LE CONSEIL DE L'UNION EUROPÉENNE,
vu le traité instituant la Communauté européenne, et notamment son article 100 A,
vu la proposition de la Commission (1),
vu l'avis du Comité économique et social (2),
statuant conformément à la procédure visée à l'article 189 B du traité (3),
(1) considérant que la biotechnologie et le génie génétique jouent un rôle croissant dans un nombre considérable d'activités industrielles; que la protection des inventions biotechnologiques revêtira certainement une importance essentielle pour le développement industriel de la Communauté;
(2) considérant que, notamment, dans le domaine du génie génétique, la recherche et le développement exigent une somme considérable d'investissements à haut risque que seule une protection juridique adéquate peut permettre de rentabiliser;
(3) considérant qu'une protection efficace et harmonisée dans l'ensemble des États membres est essentielle en vue de préserver et d'encourager les investissements dans le domaine de la biotechnologie;
(4) considérant que, à la suite du rejet par le Parlement européen du projet commun, approuvé par le comité de conciliation, de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques (4), le Parlement européen et le Conseil ont constaté que la protection juridique des inventions biotechnologiques avait besoin d'être clarifiée;
(5) considérant qu'il existe des divergences, dans le domaine de la protection des inventions biotechnologiques, entre les législations et pratiques des différents États membres; que de telles disparités sont de nature à créer des entraves aux échanges et à faire ainsi obstacle au fonctionnement du marché intérieur;
(6) considérant que ces divergences risquent de s'accentuer au fur et à mesure que les États membres adopteront de nouvelles lois et pratiques administratives différentes ou que les interprétations jurisprudentielles nationales se développeront diversement;
(7) considérant qu'une évolution hétérogène des législations nationales relatives à la protection juridique des inventions biotechnologiques dans la Communauté risque de décourager encore plus les échanges commerciaux, au détriment du développement industriel de ces inventions et du bon fonctionnement du marché intérieur;
(8) considérant que la protection juridique des inventions biotechnologiques ne nécessite pas la création d'un droit particulier se substituant au droit national des brevets; que le droit national des brevets reste la référence essentielle pour la protection juridique des inventions biotechnologiques, étant entendu qu'il doit être adapté ou complété sur certains points spécifiques pour tenir compte de façon adéquate de l'évolution de la technologie faisant usage de matière biologique, mais répondant néanmoins aux conditions de brevetabilité;
(9) considérant que, dans certains cas, comme celui de l'exclusion de la brevetabilité des variétés végétales et des races animales ainsi que des procédés essentiellement biologiques d'obtention de végétaux ou d'animaux, certaines notions des législations nationales, fondées sur les conventions internationales relatives aux brevets et aux variétés végétales, ont suscité des incertitudes concernant la protection des inventions biotechnologiques et de certaines inventions microbiologiques; que, dans ce domaine, l'harmonisation est nécessaire pour dissiper ces incertitudes;
(10) considérant qu'il convient de prendre en compte le potentiel de développement des biotechnologies pour l'environnement et en particulier l'utilité de ces technologies pour le développement de méthodes culturales moins polluantes et plus économes des sols; qu'il convient d'encourager, par le système des brevets, la recherche et la mise en oeuvre de tels procédés;
(11) considérant que le développement des biotechnologies est important pour les pays en voie de développement, tant dans le domaine de la santé et de la lutte contre les grandes épidémies et endémies que dans le domaine de la lutte contre la faim dans le monde; qu'il convient d'encourager de même, par le système des brevets, la recherche dans ces domaines; qu'il convient par ailleurs de promouvoir des mécanismes internationaux assurant la diffusion de ces technologies dans le tiers monde et au profit des populations concernées;
(12) considérant que l'accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) (5), signé par la Communauté européenne et ses États membres est entré en vigueur; que cet accord prévoit que la protection conférée par un brevet doit être assurée pour les produits et les procédés dans tous les domaines de la technologie;
(13) considérant que le cadre juridique communautaire pour la protection des inventions biotechnologiques peut se limiter à la définition de certains principes applicables à la brevetabilité de la matière biologique en tant que telle, principes ayant notamment pour but de déterminer la différence entre inventions et découvertes à propos de la brevetabilité de certains éléments d'origine humaine, à l'étendue de la protection conférée par un brevet sur une invention biotechnologique, à la possibilité de recourir à un système de dépôt complétant la description écrite et, enfin, à la possibilité d'obtenir des licences obligatoires non exclusives pour dépendance entre des variétés végétales et des inventions, et inversement;
(14) considérant qu'un brevet d'invention n'autorise pas son titulaire à mettre l'invention en oeuvre, mais se borne à lui conférer le droit d'interdire aux tiers de l'exploiter à des fins industrielles et commerciales; que, dès lors, le droit des brevets n'est pas susceptible de remplacer ni de rendre superflues les législations nationales, européennes ou internationales, fixant d'éventuelles limitations ou interdictions, ou organisant un contrôle de la recherche et de l'utilisation ou de la commercialisation de ses résultats, notamment par rapport aux exigences de santé publique, de sécurité, de protection de l'environnement, de protection des animaux, de préservation de la diversité génétique et par rapport au respect de certaines normes éthiques;
(15) considérant que ni le droit national ni le droit européen des brevets (convention de Munich) ne comportent, en principe, d'interdiction ou d'exclusion frappant la brevetabilité de la matière biologique;
(16) considérant que le droit des brevets doit s'exercer dans le respect des principes fondamentaux garantissant la dignité et l'intégrité de l'Homme; qu'il importe de réaffirmer le principe selon lequel le corps humain, dans toutes les phases de sa constitution et de son développement, cellules germinales comprises, ainsi que la simple découverte d'un de ses éléments ou d'un de ses produits, y compris la séquence ou séquence partielle d'un gène humain, ne sont pas brevetables; que ces principes sont conformes aux critères de brevetabilité prévus par le droit des brevets, critères selon lesquels une simple découverte ne peut faire l'objet d'un brevet;
(17) considérant que des progrès décisifs dans le traitement des maladies ont d'ores et déjà pu être réalisés grâce à l'existence de médicaments dérivés d'éléments isolés du corps humain et/ou autrement produits, médicaments résultant de procédés techniques visant à obtenir des éléments d'une structure semblable à celle d'éléments naturels existant dans le corps humain; que, dès lors, il convient d'encourager, par le système des brevets, la recherche tendant à obtenir et à isoler de tels éléments précieux pour la production de médicaments;
(18) considérant que, dans la mesure où le système des brevets s'avère insuffisant pour inciter à la recherche et à la production de médicaments issus de biotechnologies et nécessaires pour lutter contre les maladies rares ou dites "orphelines", la Communauté et les États membres ont l'obligation d'apporter une réponse adéquate à ce problème;
(19) considérant que l'avis n° 8 du groupe de conseillers pour l'éthique de la biotechnologie de la Commission européenne a été pris en compte;
(20) considérant, en conséquence, qu'il est nécessaire d'indiquer qu'une invention qui porte sur un élément isolé du corps humain ou autrement produit par un procédé technique, et qui est susceptible d'application industrielle, n'est pas exclue de la brevetabilité, même si la structure de cet élément est identique à celle d'un élément naturel, étant entendu que les droits conférés par le brevet ne s'étendent pas au corps humain et à ses éléments dans leur environnement naturel;
(21) considérant qu'un tel élément isolé du corps humain ou autrement produit n'est pas exclu de la brevetabilité puisqu'il est, par exemple, le résultat de procédés techniques l'ayant identifié, purifié, caractérisé et multiplié en dehors du corps humain, techniques que seul l'être humain est capable de mettre en oeuvre et que la nature est incapable d'accomplir par elle-même;
(22) considérant que le débat sur la brevetabilité de séquences ou de séquences partielles de gènes donne lieu à des controverses; que, aux termes de la présente directive, l'octroi d'un brevet à des inventions portant sur de telles séquences ou séquences partielles doit être soumis aux mêmes critères de brevetabilité que pour tous les autres domaines technologiques, nouveauté, activité inventive et application industrielle; que l'application industrielle d'une séquence ou d'une séquence partielle doit être exposée de façon concrète dans la demande de brevet telle que déposée;
(23) considérant qu'une simple séquence d'ADN sans indication d'une fonction ne contient aucun enseignement technique; qu'elle ne saurait, par conséquent, constituer une invention brevetable;
(24) considérant que, pour que le critère d'application industrielle soit respecté, il est nécessaire, dans le cas où une séquence ou une séquence partielle d'un gène est utilisée pour la production d'une protéine ou d'une protéine partielle, de préciser quelle protéine ou protéine partielle est produite ou quelle fonction elle assure;
(25) considérant, pour l'interprétation des droits conférés par un brevet, que lorsque des séquences se chevauchent seulement dans les parties qui ne sont pas essentielles à l'invention, le droit des brevets considère chacune d'entre elles comme une séquence autonome;
(26) considérant que, si une invention porte sur une matière biologique d'origine humaine ou utilise une telle matière, dans le cadre du dépôt d'une demande de brevet, la personne sur laquelle le prélèvement est effectué doit avoir eu l'occasion d'exprimer son consentement éclairé et libre à celui-ci, conformément au droit national;
(27) considérant que, si une invention porte sur une matière biologique d'origine végétale ou animale ou utilise une telle matière, la demande de brevet devrait, le cas échéant, comporter une information concernant le lieu géographique d'origine de cette matière, si celui-ci est connu; que ceci est sans préjudice de l'examen des demandes de brevet et de la validité des droits résultant des brevets délivrés;
(28) considérant que la présente directive n'affecte en rien les fondements du droit des brevets en vigueur selon lequel un brevet peut être accordé pour toute nouvelle application d'un produit déjà breveté;
(29) considérant que la présente directive ne concerne pas l'exclusion de la brevetabilité des variétés végétales et des races animales; que, en revanche, les inventions portant sur des plantes ou des animaux sont brevetables si leur application n'est pas techniquement limitée à une variété végétale ou à une race animale;
(30) considérant que la notion de variété végétale est définie par la législation relative à la protection des obtentions végétales; que, selon ce droit, une obtention est caractérisée par l'intégralité de son génome et qu'elle est par conséquent individualisée et se différencie nettement d'autres obtentions;
(31) considérant qu'un ensemble végétal caractérisé par un gène déterminé (et non par l'intégralité de son génome) n'est pas soumis à la protection des obtentions; que, de ce fait, il n'est pas exclu de la brevetabilité, même lorsqu'il englobe des obtentions végétales;
(32) considérant que, si l'invention se borne à modifier génétiquement une variété végétale déterminée et si une nouvelle variété végétale est obtenue, elle reste exclue de la brevetabilité, même lorsque cette modification génétique n'est pas le résultat d'un procédé essentiellement biologique mais d'un procédé biotechnologique;
(33) considérant qu'il est nécessaire de définir aux fins de la présente directive quand un procédé d'obtention de végétaux ou d'animaux est essentiellement biologique;
(34) considérant que la présente directive n'affecte pas les notions d'invention et de découverte telles que déterminées par le droit des brevets, que celui-ci soit national, européen ou international;
(35) considérant que la présente directive n'affecte pas les dispositions des législations nationales en matière de brevets selon lesquelles les procédés de traitement chirurgical ou thérapeutique du corps humain ou animal et les méthodes de diagnostic pratiquées sur l'organisme humain ou animal sont exclus de la brevetabilité;
(36) considérant que l'accord ADPIC prévoit, pour les membres de l'Organisation mondiale du commerce, la possibilité d'exclure de la brevetabilité les inventions dont il est nécessaire d'empêcher l'exploitation commerciale sur leur territoire pour protéger l'ordre public ou la moralité, y compris pour protéger la santé et la vie des personnes et des animaux ou préserver les végétaux, ou pour éviter de graves atteintes à l'environnement, à condition que cette exclusion ne tienne pas uniquement au fait que l'exploitation est interdite par leur législation;
(37) considérant que la présente directive se doit d'insister sur le principe selon lequel des inventions dont l'exploitation commerciale serait contraire à l'ordre public ou aux bonnes moeurs doivent être exclues de la brevetabilité;
(38) considérant qu'il importe aussi de mentionner dans le dispositif de la présente directive une liste indicative des inventions exclues de la brevetabilité afin de donner aux juges et aux offices de brevets nationaux des orientations générales aux fins de l'interprétation de la référence à l'ordre public ou aux bonnes moeurs; que cette liste ne saurait bien entendu prétendre à l'exhaustivité; que les procédés dont l'application porte atteinte à la dignité humaine, comme par exemple les procédés de production d'êtres hybrides, issus de cellules germinales ou de cellules totipotentes humaines et animales, doivent, bien évidemment, être exclus eux aussi de la brevetabilité;
(39) considérant que l'ordre public et les bonnes moeurs correspondent notamment à des principes éthiques ou moraux reconnus dans un État membre, dont le respect s'impose tout particulièrement en matière de biotechnologie en raison de la portée potentielle des inventions dans ce domaine et de leur lien inhérent avec la matière vivante; que ces principes éthiques ou moraux complètent les examens juridiques normaux de la législation sur les brevets, quel que soit le domaine technique de l'invention;